La dernière lettre qu'al-Hussayn a reçue des habitants de Kûfa portait ces mots rédigés dans un style télégraphique:
«Au nom de Dieu... A al-Hussayn fils de 'Ali, Commandeur des croyants... De la part de ses chutes et des chutes de son père le Commandeur des croyants...
»Les gens t'attendent. Leur opinion ne s' arrête sur personne d'autre que toi. Dépêche-toi, ô fils du Messager de Dieu. Les environnements ont verdi, les fruits ont mûri, la terre s'est couverte d'herbes, les arbres ont revêtu leur feuillage. Viens vers nous si tu veux. Tu verra en nous des soldats mobilisés pour toi...»(92)
Al-Hussayn lut et relut cette lettre. Il l'examina longuement et interrogea les deux messagers qui l'avait portée, sur les personnes qui s'étaient associées à sa rédaction et la rédaction du pacte qu'elle renfermait. La lettre lui paraissait tout à fait satisfaisante. Elle équivalait à une prestation de serment d'allégeance effective et à un pacte. Elle traduisait aussi une appréciation de la situation et une incitation à sa venue rapide à Kûfa.
Cette lettre lui permit de se fixer sur son point de départ. Toutefois, comme nous l'avons vu plus haut, al-Hussayn ne voulait pas se précipiter, en raison de la mauvaise expérience des Ahl-ul-Bayt avec les Irakiens. Aussi décida-t-il de se faire précéder par un délégué, un représentant qui lui préparerait le terrain, aplanirait les éventuelles difficultés, et surtout étudierait de plus près la situation et lui en ferait part avec précision, afin qu'il puisse prendre lui-même en conséquence la décision définitive qui s'imposerait.
Une tâche aussi difficile, exigeait un homme d'une fidélité insoupçonnable envers al-Hussayn, envers le Message et envers la Umma, ainsi que bien d'autres qualités. Le choix d'al-Hussayn se porta sur son cousin, Muslim Ibn 'Aqil. Il lui fit part de sa décision et de la tâche qu'il entendait lui confier. Il le mit au courant de la teneur des messages qu'il avait reçus des gens de Kûfa, et lui expliqua la nature du travail qui l'attendait, en tant que son ambassadeur et son représentant. Les quelques mots suivants résument assez bien ce qu'al-Hussayn attendait de son cousin et messager, Muslim Ibn 'Aqil:
«Va à la rencontre des gens de Kûfa pour voir. Si ce qu'ils m'ont écrit est vrai, fais-le-moi savoir afin que je te suive...»
Muslim Ibn 'Aqil, accompagné de ses hommes et de deux guides, quitta la Mecque pour Kûfa, vers la mi-Ramadan de l'an 60 hégirien. Le voyage était long, difficile et périlleux. L'été battait son plein: il fallait traverser des déserts arides, supporter la chaleur brûlante du soleil. Les deux guides moururent à mi-chemin, et Muslim Ibn 'Aqil fut contraint de s'arrêter et d'envoyer un messager à al-Hussayn pour lui faire part de la difficulté du trajet et de son désir d'abandonner cette entreprise périlleuse.(93) La réponse d'al-Hussayn ne tarda pas à arriver: il faut poursuivre le voyage. Muslim Ibn 'Aqil s'exécuta et continua son chemin. Il arriva à destination le cinq Chawwâl. Là, il s'installa dans la maison de Mukhtâr Ibn 'Obaida al-Thaqafi et en fit le siège de ses activités politiques à Kûfa.
Les délégations commencèrent à affluer vers lui, lui exprimant leur joie et leur satisfaction de son arrivée et de celle attendue d'al-Hussayn, et renouvelant leur allégeance et leur soutien à ce dernier. Les gens pleuraient de joie lorsque Muslim Ibn 'Aqil leur lisait le message d'al-Hussayn et l'annonce de sa venue prochaine.
Muslim Ibn 'Aqil multiplia les contacts avec les gens et continua à mobiliser les Musulmans pour la cause défendue par al-Hussayn, jusqu'à ce qu'il se fût assuré que le nombre d'hommes prêts à se battre pour elle ait atteint environ 18,000 combattants. Une fois assuré du nombre suffisant de combattants, et de la sincérité du soutien des musulmans de Kûfa à l'Imam al-Hussayn, il écrivit à ce dernier pour lui brosser un portrait réel de la situation dans cette province de la nation islamique, et lui conseiller de venir.
L'avènement de Muslim à Kûfa continua à susciter un climat d'effervescence populaire et un courant d'opposition affichée, de plus en plus agité et de plus en plus menaçant pour le pouvoir central et ses représentants dans cette ville.
Le gouverneur de Kûfa, al-Nu'mân tenta de pallier pacifiquement à la situation, mais en vain. Cette attitude pacifique face à une volonté populaire résolument hostile aux Omayyades ne plut pas aux agents et partisans du pouvoir, car ils craignaient sérieusement de perdre les privilèges économiques, politiques et sociaux dont ils jouissaient au détriment des masses populaires. Aussi, l'un d'eux ('Abdullah Ibn Muslim), écrivit-il à Yazid un rapport détaillé sur l'évolution dangereuse de la situation et lui conseilla de destituer al-Nu'mân qu'il accusa de faiblesse et de manque de fermeté, et de le remplacer par un élément rompu aux méthodes de la terreur et de la répression pour pouvoir rétablir le prestige du Pouvoir. D'autres agents omayyades(94) envoyèrent des rapports similaires à la capitale califale. Dans son rapport, ledit 'Abdullah Ibn Muslim écrivait notamment:
«Muslim Ibn 'Aqil est venu à Kûfa. Les chutes ont prêté devant lui, serment d'allégeance à al-Hussayn Ibn 'Ali Ibn Abi Tâlib. Si tu tiens encore à Kûfa, envoies-y un homme fort capable d'exécuter tes ordres et de faire ce que tu fais avec tes ennemis. Al-Nu'mân est un homme faible, ou bien il fait montre de faiblesse».(95)
Lorsque Yazid reçut cette lettre ainsi que d'autres messages alarmants, il se mit à la recherche d'un homme sans scrupules, habitué à la terreur, aimant le pouvoir à tout prix, dévoué aux Omayyades et haineux à l'égard des Ahl-ul-Bayt.
Ses recherches dans ce sens le conduisirent à 'Obeidullah Ibn Ziyâd, gouverneur de Basrah à l'époque. Le facteur déterminant dans ce choix fut l'opinion favorable de Serjoun, maître de Mu'âwîyah. Serjoun dit à Yazid que Mu'âwîyah avait écrit de son vivant une promesse de nomination de 'Obeidullah comme gouverneur de Kûfa, qu'il conservait cette lettre dont le contenu n'était pas encore exécuté et qu'il était temps de le faire, puisque personne d'autre n'était aussi dévoué que lui au trône omayyade. Yazid décida, sans plus attendre, de notifier à l'intéressé, qui occupait la fonction de gouverneur de Basrah (en Irak), son affectation à Kûfa. Il lui écrivit à cet effet une lettre dans laquelle il lui ordonna de mettre Muslim Ibn 'Aqil hors d'état de l'inquiéter, par tous les moyens:
«... Mes partisans à Kûfa m'ont écrit pour me dire qu'Ibn 'Aqil y rassemble les masses populaires pour faire scission au sein des Musulmans. Dès que tu auras lu cette lettre, va à Kûfa... pourchasse Ibn 'Aqil jusqu'à ce que tu le captures. Après quoi, enferme-le, tue-le ou bannis-le...».(96)
Notes:
91. . Le cousin d'al-Hussayn
92. Ibn Tâwûs, "Maqtal al-Hussayn", pp. 15-16
93. . Voir, Ibn Kathir, "Istich-hâd al-Hussayn", op. cit., p. 29
94. . Tels que 'Amara Ibn 'Oqbah, 'Omar Ibn Sa'ad Ibn Abi al-Waqqâç
95. . Al-Cheiki al-Mufid, op. cit., p. 205. Voir aussi Abi Ishaq al-Asfarâïnï, "Nour al-'Ayn fi Mach-had al-Hussayn", op. cit., pp. 20-21
96. . Ibn Kathîr, " Istich-hâd al-Hussayn", op. cit. p. 31; et
al-Cheikh al-Mufid, op. cit., p. 206
Le livre "Imam Hussein et le jour de Achoura
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