Lettre de l’Imam Khomeyni à Mikhaïl Gorbatchev

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Au Nom de Dieu,

le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux

A Monsieur Gorbatchev[1], Président du Soviet Suprême de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, avec mes vœux de bien-être et de bonheur pour vous et pour le peuple soviétique.

Depuis votre arrivée aux affaires, on a le sentiment que dans l’analyse des événements politiques mondiaux, et particulièrement en ce qui concerne les questions soviétiques, Votre Excellence s’est engagée dans une nouvelle phase de révision, de changement et d’action, et il se peut fort bien que votre audace et votre hardiesse soient le point de départ de mutations et viennent bouleverser les rapports qui régissent actuellement le monde. De ce fait, il m’a paru nécessaire d’évoquer certaines questions, bien qu’il soit possible que votre réflexion et vos décisions nouvelles ne soient qu’une démarche visant à résoudre vos difficultés de parti et, parallèlementen marge de cela[Y1], certains des problèmes de votre peuple. Même dans cette mesure, le courage de réviser une doctrine qui a enfermé des années durant les révolutionnaires du monde entier dans des murailles d’airain serait louable, mais si votre réflexion va au-delà, le premier point qui entraînerait à coup sûr votre réussite serait de revoir la politique de vos prédécesseurs visant à l’élimination de Dieu et de la religion de la société, politique qui a sans conteste porté le coup le plus dur et le plus important à la société soviétique. Sachez qu’il n’est pas d’autre voie pour aborder de manière réaliste les questions mondiales.

Certes, il est possible qu’après les méthodes et les actions erronées des précédents dirigeants communistes dans le domaine économique, le “vert paradis” du monde occidental se montre chatoyant, mais la vérité est ailleurs. Si, à ce stade, vous vouliez simplement résoudre les nœuds gordiens de l’économie socialiste et communiste en cherchant refuge dans le club du capitalisme occidental, non seulement vous ne guéririez aucun mal de votre société, mais il faudrait encore que d’autres viennent ensuite réparer vos erreurs, car si le marxisme est aujourd’hui dans une impasse économique et sociale, le monde occidental aussi a des problèmes dans les mêmes domaines – mais d’une autre manière, bien entendu– et dans d’autres domaines encore.

Monsieur Gorbatchev,

il faut faire face à la réalité : le principal problème de votre pays n’est pas la question de la propriété, de l’économie et des libertés, votre principal problème est l’absence d’une véritable croyance en Dieu, ce même problème qui a également entraîné l’Occident – ou qui l’entraînera – dans la dégradation et dans l’impasse. Votre principal problème réside dans votre long et vain combat contre Dieu, principe de l’existence et de la création ! [2]

Monsieur Gorbatchev,

il est clair pour tous que le communisme devra désormais être cherché dans les musées de l’histoire politique du monde, cela parce que le marxisme ne répond à aucun des besoins véritables de l’homme : c’est en effet une doctrine matérialiste, or ce n’est pas avec le matéria­lisme que l’on peut faire sortir l’humanité de la crise d’agnosticisme qui est le mal le plus fondamental dont souffre la société humaine, tant à l’Est qu’à l’Ouest.

Monsieur Gorbatchev,

il se peut que, ne voulant pas à certains égards tourner le dos au marxisme, vous continuiez encore d’exprimer dans des interviews votre entière conviction en lui, mais vous savez bien vous-même qu’il n’en va pas réellement ainsi. Le dirigeant chinois a porté le premier coup au communisme et vous lui avez vous-même assené le second et apparemment dernier : le communisme n’est désormais plus de ce monde[3]. Cependant, je vous prie instamment de ne pas vous laisser prendre au piège de l’Occident et du Grand Satan[4], alors même que vous détruisez les murs des illusions marxistes. J’espère que vous aurez réellement l’honneur d’éliminer de l’histoire et de votre pays les derniers résidus putrides de soixante-dix années de déviation du monde communiste. Désormais, les Etats qui partageaient vos idées, et dont le cœur bat pour leur patrie et pour leur peuple, ne seront plus jamais disposés à utiliser encore leurs ressources agricoles et minières pour établir la réussite d’un communisme dont ils ont entendu les os se briser.

Monsieur Gorbatchev,

lorsque des minarets des mosquées de certaines de vos républiques s’est élevé l’appel « Allâh akbar ! Dieu est plus grand ! » et l’attestation de la mission de Sa Seigneurie le Sceau* des Prophètes, que Dieu prie sur lui et sa famille et leur donne la Paix, cela a fait pleurer d’émotion tous les partisans du pur islam de Mohammad. Il m’a paru alors nécessaire de m’adresser à vous pour que vous reconsidériez les deux visions du monde : la vision matérialiste et la vision métaphysique.

Considérant dans leur vision du monde que les sens sont le critère de la connaissance, les matérialistes excluent du domaine du savoir tout ce qui n’est pas perceptible par les sens, et considérant que l’existence va de pair avec la matière, ils n’accordent pas d’existence à ce qui n’a pas de matière. Inévitablement, ils considèrent sans distinction comme “mythe” tout ce qui relève du domaine suprasensible, comme l’existence de Dieu le Très-Haut, la Révélation, la Prophétie, la Résurrection…

Dans la vision métaphysique, par contre, le critère de la connaissance comprend à la fois les senset l’intelligence, et ce qui est perceptible par l’intelligence appartient au domaine du savoir, bien que ce ne soit pas perceptible par les sens. Ainsi, l’existence comprend à la fois le sensible et le suprasensible, et une réalité immatérielle peut fort bien exister. Et de même que l’existant matériel a un fondement immatériel, la connaissance sensible repose également sur la connaissance intelligible.

Le Noble Coran critique le fondement de la pensée matérialiste et à ceux qui s’imaginent que Dieu n’est pas, car sinon on le ver­rait – [comme ceux qui disaient au Prophète*] « nous ne croirons pas en toi tant que nous ne verrons pas Dieu de nos propres yeux » (Cor. 2.55) –, il répond : « Les regards ne le saisissent pas, mais Lui saisit les regards : Il est le Subtil, l’Informé ! » (Cor. 6.103). Mais laissons de côté le Noble et Précieux Coran et ses arguments à propos de la Révélation, de la Prophétie et de la Résurrection, car vous n’en êtes qu’aux préliminaires de cette recherche.

Je n’ai aucunement l’intention de vous plonger dans les complexités des questions traitées par les philosophes, en particulier par les philosophes mu­sulmans. Je me contenterai de deux exemples simples, relevant de la nature et de la conscience humaines, et dont même les politiciens peuvent tirer profit :

1. Il est évident que la matière et le corps, quels qu’ils soient, sont inconscients d’eux-mêmes : chaque partie d’une statue de pierre – ou d’une autre matière –représentant un homme est inconsciente des autres parties. Or nous constatons que l’homme et l’animal ont conscience de ce qui les entoure : ils savent où ils se trouvent, ce qui se passe autour d’eux, quelle animation remplit le monde… Il y a donc en l’animal et en l’homme quelque chose d’autre qui est au-delà de la matière, qui n’appartient pas au monde matériel et qui ne meurt pas avec la matière mais survit.

2. De par sa nature originelle, l’homme veut toute perfection de manière absolue. Vous savez fort bien vous-même que l’homme veut être la puissance mondiale abso­lue et qu’il ne s’attache à aucune puissance imparfaite : même s’il tenait le monde entier en son pouvoir et qu’on lui disait qu’il existe encore un autre monde, il voudrait, de par sa nature, tenir aussi cet autre monde en son pouvoir. Et aussi savant que soit un homme, si on lui disait qu’il existe encore d’autres savoirs, par nature, il voudrait les apprendre. Il faut donc bien, pour que l’homme s’y attache ainsi, qu’il y ait une “puissance absolue” et un “savoir absolu” : il s’agit de Dieu le Très-Haut, vers qui nous sommes tous orientés, même si nous l’ignorons. L’homme veut atteindre la Réalité absolue afin de se fondre en Dieu. Et, de fait, l’ardente aspiration à une vie éternelle qui se trouve au fond de tout homme est un signe qu’il existe un monde éternel où la mort n’a pas de place.

Si Votre Excellence souhaitait faire des recherches en ces domaines, vous pourriez ordonner aux spécialistes de ce genre de sciences de se référer, en sus des livres des philosophes occidentaux en ce domaine, aux écrits de philosophie péripatéticienne[5] de Fârâbî[6] et d’Avicenne[7], que Dieu leur fasse miséricorde, pour qu’il apparaisse clairement que le principe de causalité – sur lequel repose toute forme de connaissance – est d’ordre intelligible et non pas sensible, et que la perception des idées et des principes universels – sur lesquels se fonde toute forme d’argumentation – est intelligible et non pas sen­sible.

En se référant également aux livres de philosophie illuminative de Sohrawardî[8], que Dieu lui fasse miséricorde, qu’ils expliquent à Votre Excellence que le corps et tout autre existant matériel ont intrinsèquement besoin [pour exister] de la Pure Lumière qui est au-delà du domaine sensible, et que la conscience intuitive que l’homme a de sa propre réalité n’a rien à voir avec un phénomène sensible.

Et demandez aux grands professeurs de se référer à la philosophie transcendante de Sadr al-Mota’allehîn[9], que Dieu le Très-Haut soit satisfait de lui et le ressuscite avec les Prophètes et les vertueux, pour bien comprendre que la connaissance est en réalité une existence immatérielle et que toute pensée, quelle qu’elle soit, trans­cende la matière et n’est pas assujettie aux lois de la matière.

Je ne vais pas vous importuner plus et je ne citerai pas les livres des gnostiques*, en particulier de Mohye d-dîn Ibn ‘Arabî[10]. Si vous souhaitiez prendre connaissance des questions traitées par cet homme éminent, envoyez à Qom[11] quelques uns de vos experts à l’esprit pénétrant et ayant une solide maîtrise de ce genre de questions, afin qu’en quelques années, en s’en remettant à Dieu, ils prennent connaissance de la profon­deur spirituelle et des subtilités extrêmement fines des étapes de la Connais­sance gnostique*, car il n’est pas possible de prendre connaissance de cela sans ce voyage.

Monsieur Gorbatchev,

après ces questions et préliminaires, je vous demande de faire sérieusement des recherches et investigations sur l’islam, cela non parce que l’islam et les musulmans auraient besoin de vous, mais en raison des su­blimes valeurs universelles de l’islam qui sont capables d’apporter quiétude et délivrance à tous les peuples et de résoudre tous les problèmes fondamentaux de l’humanité. Un examen sérieux de l’islam pourrait vous délivrer définitivement de la question d’Afghanistan et d’autres questions du même ordre de par le monde. Quant à nous, nous considérons les musulmans du monde entier du même œil que ceux de notre pays et nous nous considérons toujours associés à leur destin.

En accordant une relative liberté de culte dans certaines républiques soviétiques, vous avez montré que vous ne pensiez plus que la religion est l’opium du peuple. Vraiment, une religion qui a fait de l’Iran une montagne inébranlable face aux superpuissances est-elle l’opium du peuple ? Est-ce qu’une religion qui aspire au règne de la justice dans le monde et tient à ce que l’homme soit affranchi des chaînes matérielles et immatérielles est l’opium du peuple ? Certes, une religion qui sert à livrer les richesses matérielles et immatérielles des pays musul­mans et non-musulmans entre les mains des grandes et superpuissances et qui crie aux masses que la religion n’a rien à voir avec la politique, [une telle religion] est l’opium du peuple ! Mais ce n’est plus alors la véritable religion : c’est ce que notre peuple appelle “la religion à l’américaine” !

Pour finir, j’exprime clairement que, en tant que plus grande et plus puissante base du monde musulman, la République isla­mique d’Iran peut aisément combler le vide de conviction re­ligieuse qui touche votre régime. Quoi qu’il en soit, comme par le passé, notre pays croit aux règles de bon voisinage et de relations bilaté­rales et les respecte.

« Que la Paix soit avec ceux qui suivent la guidance » (Cor. 20.47)

Rûhollâh al-Mûsawî

al-Khomaynî

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