Il s'agit de répondre maintenant à la troisième question de la série: Comment la formation du Guide Attendu a-t-elle pu se parachever alors qu'il n'avait vécu auprès de son père, l'Imam al-'Askari, que jusqu'à l'âge de cinq ans à peine, donc pendant la première enfance, ce qui ne saurait suffire normalement à la maturation de sa personnalité?
La réponse en est qu'al-Mahdî est devenu Imam des Musulmans en succédant à son père, à un âge très jeune. Or il ne pouvait accéder à cette dignité (l'Imamat) que s'il jouissait des qualités intellectuelles et spirituelles requises.
Notons à cet égard que l'Imamat prématuré était un phénomène courant chez ses grands parents, puisque plusieurs d'entre eux l'ont connu avant lui. Ainsi, l'Imam Muhammad Ibn 'Alî al-Jawâd s'est chargé de cette dignité à l'âge de 8 ans, l'Imam 'Alî Ibn Muhammad al-Hâdî à l'âge de 9 ans, l'Imam Abû Muhammad al-Hassan al-'Askari, le père du Guide Attendu, à l'âge de 22 ans.
Nous disons "Phénomène" de l'Imamat, car l'Imamat avait pris, sous quelques-uns des grand-parents d'al-Mahdî, une signification concrète et pratique que les Musulmans ont vécu dans leur expérience avec ces Imams. Aussi est-il absurde de chercher la preuve ou la démonstration d'un phénomène aussi évident et clair que l'expérience de toute une nation.
Nous nous expliquons la-dessus, à travers les points suivants:
A. - L'Imamat des Imams d'Ahl-ul-Bayt ne constituait pas un centre de pouvoir et d'influence transmis héréditairement, de père en fils, et soutenu par un gouvernement, comme c'était le cas des Fatimides et des Abbassides. Loin de là. L'Imam obtenait l'allégeance des bases populaires en les pénétrant spirituellement et en les convainquant intellectuellement du mérite de son Imamat et de son aptitude à guider et à diriger la Umma sur des bases spirituelles et intellectuelles.
B. - Ces bases populaires se sont formées depuis la première époque de l'Islam, et elles se sont épanouies et élargies sous les Imamats d'al-Bâqer et de son fils al-Sâdiq. L'école que ces deux Imams ont patronné parmi ces bases constituait un courant intellectuel largement répandu dans le monde islamique et comprenant des centaines de faqîh, de théologiens, d'exégètes et de savants spécialisés dans les divers domaines du savoir islamique et humain, connus à l'époque. A ce propos al-Hassan Ibn 'Alî al-Wacha a dit: «Je suis entré dans la mosquée d'al-Kûfa et j'ai vu neuf cents cheiks qui citaient tous Ja'far Ibn Muhammad».
C.- Les conditions que cette école représentative des bases populaires de la société islamique posait à la nomination d'un Imam et afin de s'assurer de sa qualification et de sa compétence pour un tel poste, sont très sévères, car elle croyait qu'un Imam ne méritait ce titre que s'il était le plus savant des savants de son époque1.
D. - L'école et ses bases populaires ont offert de grands sacrifices pour pouvoir défendre sa foi en l'Imamat, car celui-ci représentait, pour le califat2 de l'époque, un danger menaçant sa conception, tout au moins sur le plan idéologique; et c'est ce qui a conduit les autorités à organiser régulièrement des campagnes de liquidation et de persécution contre les adeptes de cette école, lesquels seront assassinés, emprisonnés ou éteints par centaines dans les ténèbres des geôles. Cela signifie que croire à l'Imamat d'Ahl-ul-Bayt coûtait cher à ces adeptes et ne leur offrait comme récompense que le rapprochement supposé de Dieu.
E.- Les Imams auxquels ces bases ont prêté serment d'allégeance n'étaient pas à l'écart de leurs partisans, ni cloîtrés dans des tours d'ivoire comme le font les sultans avec leurs peuples. Ils ne s'en séparaient que lorsque les autorités les en éloignaient, en les mettant en prison ou en les bannissant. On peut constater l'existence de ces contacts permanents entre les Imams et leurs adeptes, à travers leurs correspondances, à travers les visites que les fidèles rendaient aux Imams lorsqu'ils venaient à Médine pendant la saison du Pèlerinage, à travers les voyages que les Imams effectuaient, à travers les représentants qu'ils envoyaient aux quatre coins du monde islamique. Un grand nombre de rapporteurs et de transmetteurs de hadîth font état des divers contacts qui montrent qu'il y avait un échange constant entre chaque Imam et ses bases ramifiées à travers les différentes régions de la nation islamique et les différentes catégories sociales.
F. - Le Califat contemporain des Imams considérait ceux-ci et leur autorité spirituelle comme une source de danger pour son entité et son pouvoir. C'est pourquoi, il a tout fait pour entamer cette autorité et a été conduit même à commettre des abus, à se montrer cruel et tyrannique, lorsque la nécessité de renforcer ses positions se faisait sentir. Les campagnes d'emprisonnement et de persécution contre les Imams eux-mêmes, n'ont jamais cessé; bien que de tels agissements aient suscité le mécontentement et l'indignation des Musulmans et des partisans des Imams, de tous niveaux.
Si nous tenons compte de ces six points, lesquels constituent des vérités historiques incontestables, nous pouvons aboutir à la conclusion suivante: le phénomène de l'"Imamat prématuré" est un phénomène bien réel et n'a rien de fictif; car lorsqu'un Imam monte sur la scène de la vie publique alors qu'il est tout jeune, et s'annonce comme l'Imam spirituel et intellectuel des Musulmans, et qu'il parvient à constituer un mouvement suivi par tant d'adeptes, il doit nécessaire-ment faire preuve d'une connaissance remarquable dans le domaine de la science et du savoir, et de largeur d'esprit et de compétence dans le domaine du Fiqh (jurisprudence islamique), de l'exégèse et des doctrines; sinon les bases populaires de l'Imamat (qui étaient comme nous l'avons indiqué, en contact permanent avec leurs Imams, et pouvaient par conséquent connaître les détails de leur vie et de leur personnalité) ne l'auraient pas accepté comme Imam.
Comment peut-on, en effet imaginer que les masses, dont se composaient ces bases populaires, soient acquises à un "Imam-enfant" qui s'annonçait devant elles, et au vu et au su de tout le monde, comme étant l'Imam des Musulmans et l'Étendard de l'Islam, et acceptent de sacrifier pour lui leur sécurité et leur vie, sans se donner la peine de vérifier de quoi il était capable et sans qu'elles soient suffisamment frappées par son Imamat prématuré pour être tentées de sonder la réalité de ses qualifications et d'évaluer sa personnalité?
Même si l'on suppose que ces masses n'aient rien tenté pour sonder sa qualification, aurait-il été possible qu'elles n'aient pas fini par connaître la vérité après des mois ou des années pendant lesquels elles étaient en contact permanent avec cet "Enfant-Imam"? Celui-ci aurait-il pu dissimuler sa pensée et son savoir d'enfant, malgré les contacts fréquents qu'il avait avec les fidèles, si sa pensée et son savoir étaient vraiment ceux d'un simple enfant? A supposer que les bases populaires de l'Imamat d'Ahl-ul-Bayt n'aient pas eu l'occasion de découvrir la vérité de la situation (le fait que l'enfant fût réellement un enfant et rien de plus, et qu'il n'eût pas les qualités d'Imam), pourquoi le califat de l'époque (pour qui l'Imam représentait un véritable danger) s'est-il tu sur cette vérité et ne l'a-t-il pas exploitée à son profit?
Pourtant, cela aurait été tellement facile pour les autorités de l'époque - le califat - si l'Imam al-Mahdî avait été réellement un enfant dans sa pensée et sa culture, comme tout enfant ordinaire de cet âge! Quelle meilleure dénonciation que de montrer aux Chî'ites et aux autres que le prétendant à l'Imamat aurait été un enfant et rien de plus, et de démontrer ainsi son incompétence pour le leadership spirituel et intellectuel des Musulmans?
S'il était difficile de convaincre les gens de l'incompétence - pour l'Imamat - d'un homme de quarante ou de cinquante ans, imbu de la culture de son époque, une telle difficulté ne se fût pas présentée, s'il s'était agi de les convaincre de l'incapacité d' un enfant - quelles que fussent son intelligence et sa sagacité - d'assumer la responsabilité d'un Imamat si exigeante et si lourde chez les Chiites Imâmites!
Cela aurait été beaucoup plus facile, en tout cas, que les méthodes compliquées et risquées que les autorités de l'époque ont adoptées pour combattre l'Imamat.
La seule explication de l'abstention du califat de l'époque de jouer cette carte, est qu'il savait que l'"Imamat prématuré" était une réalité et n'avait rien d'artificiel. En fait, il est arrivé à cette conclusion après avoir essayé vainement de le discréditer.
L'histoire nous relate des tentatives de ce genre, vouées toutes à l'échec, sans mentionner aucune situation dans laquelle l'"Imamat prématuré" eût été ébranlé ou inquiété, ni aucun cas où l'"Enfant-Imam" eût rencontré une difficulté dépassant sa compétence ou entamant la confiance des fidèles.
Ainsi s'explique notre affirmation que l'"Imamat prématuré" était un phénomène réel dans la vie d'Ahl-ul-Bayt et non une simple supposition.
Rappelons, en outre, que ce phénomène réel n'est pas un fait sans précédent: on lui retrouve des racines et des cas similaires dans le patrimoine divin apparu à travers les différents messages célestes, Yahya (Jean) en est un exemple:
«... Ô Jean! Tiens le Livre avec force! Nous lui apportâmes la Sagesse, - alors qu'il n'était qu'un tout petit enfant -» Coran XIX, 12.
Ayant établi que l'"Imamat prématuré" était un phénomène qui a existé réellement dans la vie d'Ahl-ul-Bayt, il ne nous reste aucune objection à l'Imamat prématuré d'al-Mahdî et au fait qu'il ait succédé à son père dès son enfance.