Révélation: un rapport "confidentiel Défense" sur l'exportation des armes françaises pour les Saoudiens

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Révélation: un rapport "confidentiel Défense" sur l'exportation des armes françaises pour les Saoudiens
Les révélations de Disclose, dont la cellule investigation de Radio France est partenaire, contredisent le discours officiel sur l’absence d’armes françaises dans la guerre au Yémen. Une note du renseignement français recense celles qui sont utilisées sur le terrain et leurs conséquences sur les populations civiles.
 chars Leclerc fabriqués en France déployés près d'Aden (Yémen) le 3 août 2015, durant une opération militaire contre des révlutionnaires Houthis et leurs alliés.

"Je n’ai pas connaissance du fait que des armes [françaises] soient utilisées directement au Yémen, affirmait la ministre des Armées, Florence Parly le 20 janvier 2019, sur France Inter.

Et pourtant : elles sont présentes sur terre, sur mer et dans les airs, si l’on en croit un rapport de 15 pages classé "confidentiel Défense" de la Direction du renseignement militaire (DRM), daté du 25 septembre 2018, révélé par Disclose, en partenariat avec la cellule investigation de Radio France. Ce document précise que des armes françaises vendues à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, sont bien utilisées dans la guerre que mènent les deux pays au Yémen, contre les révolutionnaires Houthis.

Chars Leclerc, obus flèche, Mirage 2000-9, radar Cobra, blindés Aravis, hélicoptères Cougar et Dauphin, frégates de classe Makkah, corvette lance-missiles de classe Baynunah ou canons Caesar : dans cette note, le renseignement militaire français établit une liste détaillée de l’armement fourni aux Saoudiens et aux Émiriens qui serait impliqué dans le conflit.

"À ma connaissance, les armes qui ont été vendues récemment ne sont pas utilisées contre les populations civiles", disait également la ministre le 30 octobre 2018 sur BFM TV. La DRM établit cependant une carte des zones à risques dans lesquels les civils yéménites sont susceptibles d’être touchés par les canons français. Or, 28 millions de Yéménites vivent toujours sous les bombardements. Depuis le début du conflit, plus de 8 300 civils ont été tués (dont 1 283 enfants), selon les chiffres publiés en mars 2019 par Yemen data project, une ONG qui collecte et recoupe les informations sur les frappes de la coalition.

Ce document confidentiel intitulé "Yémen - Situation sécuritaire" a été transmis au chef de l’État, Emmanuel Macron, à Matignon, mais aussi à la ministre des Armées, Florence Parly, et au ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, lors du conseil de défense restreint consacré à la guerre au Yémen, qui s’est tenu le 3 octobre 2018, à l’Élysée.

Il vient contredire la version des autorités françaises d’une situation "sous contrôle" et d’une utilisation uniquement "défensive" de l’armement français au Yémen.

Des civils à portée de canons français

Depuis le début de la guerre, une batterie de canons Caesar est déployée le long de la frontière saoudo-yéménite. Fabriqué à Roanne (Loire) par l’entreprise Nexter, détenue à 100 % par l’État français, le canon Caesar, monté sur un châssis de camion, peut tirer six obus par minute, dans un rayon de 42 kilomètres.

"À ma connaissance, ces canons [Caesar] ne sont pas déployés au Yémen mais occupent des positions défensives à la frontière sud de l’Arabie saoudite, face aux houthis qui cherchent à pénétrer sur le territoire saoudien, affirmait encore la ministre des Armées, Florence Parly, le 4 juillet 2018, devant la Commission de la Défense nationale et des forces armées. Dès lors, je pense qu’il n’y a rien à redire : c’est un État qui se protège et qui se défend."

La réalité que décrit la note de la DRM est cependant différente.

La Direction du renseignement militaire y précise que ces canons Caesar déployés le long de la frontière avec le Yémen sont au nombre de "48", ajoutant qu’ils "appuient les troupes de Mansour Hadi, épaulées par les forces armées saoudienne, dans leur progression en territoire yéménite". Autrement dit : les tirs de canons français ouvrent la voie pour les blindés et les chars déployés au Yémen. Donc pas uniquement dans le cadre d’une action défensive.

S’appuyant sur une carte baptisée "Population sous la menace des bombes", le renseignement militaire français estime par ailleurs que "436 370 personnes" sont "potentiellement concernée par de possibles frappes d’artillerie." Y compris donc par les tirs de canons français.

En croisant les zones de tirs des canons Caesar indiquées sur la carte de la DRM, avec les informations fournies par la base de données de l’ONG Acled (Armed Conflict Location and Event Data Project) qui recense tous les bombardements au Yémen on constate qu’entre mars 2016 et décembre 2018, 35 civils sont morts au cours de 52 bombardements localisés dans le champ d’action des canons français.

Itinéraire d’une livraison secrète

Bien qu’étant informé de ces risques, l’État français poursuit ses livraisons.

Ainsi, 147 canons devraient être expédiés vers le royaume saoudien d’ici 2023. Disclose a remonté la piste d’une de ces livraisons expédiée en septembre 2018 : 10 canons Caesar chargés depuis le site de production de Nexter à Roanne (Loire). Direction : Le Havre. Avant d’être embarqués dans les cales du Bahri Jazan, un cargo de la compagnie saoudienne Bahri. Le navire lève l’ancre le 24 septembre 2018, puis arrive à destination 19 jours plus tard, dans le port de Jeddah, en Arabie saoudite.

Par ailleurs, toujours selon nos informations, un contrat secret baptisé ARTIS, signé en décembre 2018, par Nexter avec l’Arabie saoudite, prévoit la livraison de véhicules blindés Titus (la dernière génération des blindés Nexter), mais aussi de canons tractés 105LG.

Ces informations contredisent là encore la version officielle des autorités françaises. Interrogée le 20 janvier 2019 sur France Inter, Florence Parly affirmait : "Nous n’avons récemment vendu aucune arme qui puisse être utilisée dans le cadre du conflit yéménite." Après avoir dit trois mois auparavant le 30 octobre 2018, sur BFM TV : "Nous n’avons pas de négociations avec l’Arabie saoudite."

Quatre zones où des chars français sont présents au Yémen

L’équipement français fourni à la coalition engagée au Yémen ne s’arrête pas là. Il concerne aussi les chars de combat.

"À ma connaissance, les équipements terrestres vendus à l’Arabie saoudite sont utilisés non pas à des fins offensives mais à des fins défensives, à la frontière entre le Yémen et l’Arabie saoudite" expliquait la ministre des Armées, le 4 juillet 2018, devant la Commission de la Défense nationale.

La note de la Direction du renseignement militaire datée du 25 septembre 2018 indique pourtant, là encore, que le char Leclerc, vendu dans les années 90 aux Émirats arabes unis, est bien utilisé sur le champ de bataille au Yémen.

Pour le comprendre, il faut entrer dans le détail de cette note de 15 pages. Si la DRM écrit qu’"aucun élément ne permet de conclure à la présence de matériel français sur les fronts actifs" du conflit, elle précise plus loin que de l’armement français se retrouve bien dans certaines zones de cette guerre.

Selon le renseignement militaire, 70 chars de combat Leclerc sont ainsi mobilisés dans le cadre d’un "engagement principalement défensif". "Dans le cadre des opérations loyalistes et de la coalition vers la ville portuaire d’al-Hudaydah , les Leclerc émiriens ne sont pas observés en première ligne", peut-on lire. Mais le document ajoute cette précision d’importance : "Ils sont néanmoins déployés sur l’emprise d’al-Khawkhah, à 115 kilomètres d’al-Hudaydah."

Sur une carte intitulée "Matériels terrestres de la coalition au Yémen", la DRM identifie quatre zones du Yémen où des chars français sont présents : à "al-Khawkhah" et "Mocha", deux localités le long de la Mer rouge, ainsi qu’à "Ma’rib", à l’intérieur du pays, et à "Aden" ; dans ces deux derniers cas, la DRM se fait plus prudente en notant : "Leclerc possible".

Dans un tableau récapitulatif, le renseignement militaire français écrit au sujet de ces chars Leclerc :
Selon la note "confidentiel Défense", les chars Leclerc ont pu être observés "au Yémen et déployé en position défensive", ou pour certains "en attente de déploiement au Yémen".

D’après les recherches effectuées par Disclose à partir d’images tournées sur les lignes de front, puis recoupées par des vues satellites, les chars Leclerc ont participé à plusieurs grandes offensives de la coalition saoudienne, à l’image de l’assaut qui s’est déroulé entre juin et décembre 2018 sur la côte ouest. En novembre 2018, les chars français sont au cœur de la bataille d’Al-Hodeïda qui a fait 55 victimes civiles, selon l’Acled.

Quant aux munitions, "les [chars] Leclerc n’emploieraient que des munitions françaises, les munitions chinoises n’ayant pas été qualifiées", estime le renseignement français : des "obus flèches et [des] obus explosifs." "La maintenance des véhicules émiriens, dont les Leclerc, est réalisée, après rapatriement par mer, aux EAU [Émirats arabes unis]", précise encore la note.
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Dans cette guerre, ce sont les attaques aériennes qui sont les plus meurtrières.

"Ryad conduit depuis mars 2015 une campagne de frappes aériennes massive et continue contre les territoires tenus par la rébellion houthie au Yémen : elle réalise en moyenne 120 sorties aériennes quotidiennes", écrivent les analystes du renseignement militaire français. Depuis 2015, la coalition aurait "réalisé environ 24 000 frappes, dont 6 000 au cours de l’année 2018", précise la DRM.

"Nous ne fournissons rien à l’armée de l’air saoudienne. Il vaut mieux que les choses soient dites de manière définitive pour éviter qu’il y ait de la répétition sur le sujet", affirmait le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le 13 février 2019 .

Pourtant, quatre mois plus tôt, la note de la DRM, adressée notamment au cabinet du ministre, précise que certains avions de chasse saoudiens sont bien équipés du dernier cri de la technologie française en matière de guidage laser : le pod Damoclès, fabriqué par Thalès. Fixé sous les avions de combat, ce dispositif permet aux pilotes de guider tous les types de missiles, y compris le missile américain Raytheon qui, selon une enquête de la chaine CNN, a tué 12 enfants et trois adultes yéménites, le 20 septembre 2016, dans le district d’Al-Mutama, dans le nord du Yémen.

Cette technologie française figure dans un tableau de la DRM intitulé : "Principaux matériels saoudiens engagés dans le cadre du conflit yéménite", même si le document nuance plus loin : "pourrait être employé au Yémen".

Les pods Damoclès équipent aussi des avions de combat émiriens vendus par la France, comme le Mirage 2000-9 au sujet duquel la DRM n’a aucun doute : il "opère au Yémen" (sans préciser avec quel missile) depuis une base militaire, en Erythrée.

Principaux matériels émiriens engagés dans le cadre du conflit yéménite : le Mirage 2000-9 opère au Yémen, et le Damoclès "pourrait être employé au Yémen".

Des éléments confirmés par un rapport britannique de la Chambre des communes qui a enquêté sur les licences d’exportation de composants de pods Damoclès à destination de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis.

Mais la liste ne s’arrête pas là. L’hélicoptère de transport d’assaut AS-532 A2 Cougar chargé du transport des troupes saoudiennes fait également partie du matériel militaire français utilisé au Yémen, tout comme l’avion ravitailleur A 330 MRTT, capable de ravitailler en kérosène plusieurs chasseurs de la coalition en même temps.

L'hélicoptère de transport d'assaut AS-532 A2 Cougar "opère au Yémen depuis la base de Khamis Mushait (Arabie saoudite)" et l'avion-ravitailleur A330 MRTT FRA "opère au Yémen, probablement depuis la base de Jedda

Des bateaux français au cœur du blocus maritime

"C’est la priorité de la France que la situation humanitaire s’améliore et que l’aide humanitaire puisse passer", déclarait la ministre des Armées, Florence Parly, le 30 octobre 2018, sur BFM TV.

Pourtant, là encore si l’on en croit la note, deux navires de fabrication française "participe[nt] au blocus naval" de la coalition peut-on lire. Ce qui empêche l’aide humanitaire de nourrir et de soigner 20 millions de Yéménites. Selon le document, la frégate saoudienne de classe Makkah (Naval Group) et la corvette lance-missiles émiratie de classe Baynunah (Constructions mécaniques de Normandie, CMN), participent à ce blocus. La corvette Baynunah appuierait même "des opérations terrestres menées sur le littoral yéménite", précise le renseignement militaire. Autrement dit : des bombardements sur la côte.

Une troisième frégate al-Madinah de fabrication française a également participé à ce blocus, estime la DRM, avant d’être la cible d’une attaque des rebelles houthis, en janvier 2017.

Extraits du document "confidentiel Défense" qui indique que certaines frégates et corvettes vendues par la France à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis ont participé au blocus naval au Yémen.
 
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