Le drame des migrants à Lampedusa vu par Gianfranco Rosi

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Le drame des migrants à Lampedusa vu par Gianfranco Rosi
Ours d'or à la dernière Berlinale, le documentaire italien "Fuocoammare, par-delà Lampedusa" de Gianfranco Rosi, en salles mercredi, montre de façon saisissante le quotidien des migrants qui arrivent en Europe, sujet à l'actualité brûlante.Gianfranco Rosi, déjà lauréat en 2013 du Lion d'or à Venise pour le documentaire "Sacro Gra" (consacré aux personnes vivant près du périphérique romain), a passé plus d'un an sur l'île italienne de Lampedusa pour ce film.

Il raconte le parcours de ces milliers de migrants, qui arrivent par bateau dans des conditions catastrophiques sur ce petit morceau de terre de 20 km2 situé entre Malte et la Tunisie, interceptés directement en mer.

"Je crois que ce film est le témoignage d'une tragédie qui se déroule sous nos yeux", avait déclaré le réalisateur au Festival de Berlin en février.

"Je pense que nous sommes tous responsables de cette tragédie, peut-être la plus grande que nous ayons vue en Europe depuis l'Holocauste", avait-il ajouté. "Nous sommes complices si nous ne faisons rien".

Brut, sans voix off ni commentaire, mais avec des images au cadre et à la lumière très travaillés, "Fuocoammare" ("mer en feu", titre d'une chanson populaire de l'île) raconte aussi la vie d'habitants de Lampedusa, qui pour la plupart ne croisent jamais ces réfugiés.

Parmi eux, Samuele, un garçon de 12 ans qui aime chasser avec un lance-pierre, sa famille, un pêcheur d'oursins ou le médecin Pietro Bartolo, qui porte secours à des migrants à Lampedusa depuis les années 90.

La narration se fait "à travers ces personnes, devenues des personnages", dont les histoires "ne se croisent pas, mais se soutiennent mutuellement", explique Gianfranco Rosi.

Ce cinéaste bourlingueur, formé aux Etats-Unis et dont le credo est de se distinguer d'une approche purement journalistique, raconte s'être "immergé" dans la vie locale.

- "Parler de ces choses me fait mal" -

Il a notamment accompagné les garde-côtes secourant des bateaux en détresse, après avoir reçu des appels à l'aide par radio.

Portant masques et combinaisons blanches, ils évacuent un à un les réfugiés de bateaux bondés dont ils extirpent aussi parfois des cadavres, comme lors d'une opération filmée où la cale était remplie de corps.

"Au total, j’ai dû filmer une soixantaine d’opérations de sauvetage, cela devenait de la routine. Mais ce jour-là, la mort est venue jusqu’à moi", a expliqué Gianfranco Rosi.

Il donne aussi à voir l'arrivée des migrants, accueillis dans des centres où ils sont médicalement pris en charge.

"J'ai vu tellement de choses horribles, épouvantables", a témoigné le docteur Bartolo à Berlin. "J'ai vu tellement d'enfants morts, de femmes enceintes mortes, de femmes qui ont été violées", a-t-il poursuivi. "J'en fais des cauchemars très souvent".

"Parler de ces choses me fait mal à chaque fois (...), mais j'accepte parce que j'ai l'espoir qu'à travers ces témoignages, on pourra sensibiliser des personnes" à ce qui est "devenu un problème dramatique, de portée universelle", a-t-il encore dit.

Dans une scène particulièrement forte du documentaire, le médecin décrit la déshydratation, la malnutrition, les graves brûlures dues à l'essence ou les états d'asphyxie dus aux émanations de moteurs dont sont victimes certaines des personnes qu'il doit secourir, ainsi que le difficile travail d'examen des cadavres repêchés en mer.

Pour Gianfranco Rosi, son film "ne peut pas changer les choses, au sens où il est limité à l’interaction avec les quelques dizaines de milliers de personnes qui le verront". Mais, estime-t-il, "Fucocoammare" amène "celui qui le regarde à un état intérieur bien plus fort que ce que peuvent susciter des informations sur un sujet similaire".
 
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