L'intense campagne médiatique autour de la Ghouta orientale où les Américains cherchent à renforcer les terroristes pour investir la banlieue de la capitale syrienne a presque éclipsé un événement majeur : le veto russe au Conseil de sécurité des Nations unies, lundi, destiné à bloquer une résolution franco-anglo-saxonne condamnant l’Iran. Son motif? La violation présumée des sanctions que l'Occident impose depuis 2015 au peuple yéménite, victime à la fois de l'agression saoudienne et de complicité criminelle des marchands d'armes occidentaux.
Le veto russe a été sans précédent : pour la première fois dans l'histoire du droit international, la Russie a rejeté au Conseil de sécurité une initiative dirigée par les Américains au sujet d'un conflit régional où elle n'est pas partie prenante. On se rappelle fort bien de l'indifférence russe en 2003 quand les États-Unis ont fait voter leur action militaire contre l’Irak ou leur apathie en 2011 au moment où l'OTAN préparait son plan d'invasion de la Libye. Dans l'un et l'autre cas, les intérêts russes étaient toutefois impliqués, mais Moscou avait choisi de s'abstenir. C'est qu'à l'époque les Russes avaient peut-être leur mot à dire, mais ils n'étaient pas suffisamment forts.
Selon des experts, le veto russe de lundi dernier entre dans une catégorie à lui seul, qui renvoie à "l’impasse russo-américaine en matière d’influence mondiale". Il s'agit donc d'un réel tournant dans l’après-guerre froide qui prend d'ailleurs de plus en plus d'ampleur.
Le texte que la Grande-Bretagne de May avait proposé contre l'Iran a été des plus puérils : Londres, Paris et Washington, qui occupent le peloton des pays vendeurs d'armes au régime de Riyad, ne s'étaient pas même souciés de fournir la moindre preuve empirique sur "le soutien iranien " aux Houthis qui subissent comme une majorité de Yéménites, un blocus maritime, terrestre et aérien total depuis bientôt trois ans. Il n'était donc pas question pour la Russie de se laisser faire.
Le veto historique de Moscou a fait passer un message à plusieurs niveaux
Les États-Unis et leurs alliés occidentaux ne peuvent plus dominer le système international, car la Russie est désormais déterminée à s’opposer par principe à l’hégémonie américaine. À vrai dire, la Russie de Poutine a très bien vu où voulait en venir l'Amérique de Trump, en poussant Londres et Paris à jouer son jeu au Conseil de sécurité. La résolution anti-iranienne visait moins les Houthis pour leur supposée alliance avec l'Iran que l'Iran lui-même. Après s'être presque retirés de l'accord nucléaire signé en 2015 avec l'Iran, les USA comptaient sur ce vote pour faire condamner les missiles conventionnels iraniens.
La démarche de Moscou a fait échouer une tentative peu scrupuleuse de l’Occident consistant à isoler l’Iran en terme géopolitique, comme le souhaitent les Américains. Pour le reste, la position occidentale à l'égard du conflit yéménite est on ne peut plus cynique. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France participent virtuellement au conflit en fournissant une assistance militaire aux forces saoudiennes et en identifiant pour elles les cibles de leurs attaques aériennes brutales et accusent l'Iran d'ingérence.
Ce qui ressort en dernier lieu de cette analyse, c’est aussi la résilience de l’alliance russo-iranienne dans la politique du Moyen-Orient. La thèse occidentale selon laquelle un Iran « monté en puissance » s’opposera à la Russie au Moyen-Orient ne tient donc pas debout. Lundi dernier, La Russie a fait part de ses qualités uniques pour jouer un rôle d'arbitre non seulement dans la fin du conflit au Yémen, mais aussi dans ce qui pourrait être qualifié de "fin de l'unilatéralisme". Dans un geste de défi d'une rare violence, le ministre russe des Affaires étrangères Sergeï Lavrov a affirmé mardi à Moscou qu' « il est nécessaire de mettre pleinement en œuvre le Plan d’action global conjoint [l’accord nucléaire iranien]. S’il y a une volonté de discuter d’autres questions concernant l’Iran dans ce format ou dans un autre format, cela devrait se faire avec la participation volontaire de l’Iran et sur la base du consensus plutôt que par le biais d’ultimatums. »
Si la France de M. Macron qui envoie dès ce dimanche son chef de la diplomatie en Iran croit pouvoir, sur les pas de Washington, reproduire le scénario à la libyenne en Iran, elle se trompe lourdement: il ne suffit plus de faire voter des textes au Conseil de sécurité pour déposséder les États souverains de leur souveraineté.