On peut dire que le Chiisme est le produit naturel de l'Islam et la représentation de la thèse vers laquelle l'Appel islamique aurait dû s'acheminer pour sauvegarder (un développement sain après le décès du Prophète).
Cette thèse, il est possible de la déduire logiquement du déroulement de l'Appel islamique qui, en raison de la nature de sa formation et des circonstances qu'il vivait, fut dirigé par le Prophète lui-même. Celui-ci se chargeait en effet de la direction d'une mission révolutionnaire et menait une opération de changement radical de la société, de ses normes, de ses règlements et de ses conceptions. Pour réussir cette entreprise, la route à parcourir n'était pas courte, lion de là, elle devait prolonger la longue série d'énormes disparités morales entre la jâhiliyyah(la société antéislamique) et l'Islam.
L'Appel islamique entrepris par le Prophète avait la tâche ardue de rééduquer l'homme Jâhilite(antéislamique), de le façonner à l'image de l'Islam, en lui faisant porter une lumière nouvelle, et en en extirpant toutes les racines et les séquelles du passé Jâhilite.
Le Prophète a franchi, en un court laps de temps, des pas gigantesques dans cette opération révolutionnaire. Il fallait que l'action qu'il avait entreprise se poursuive après sa mort. Or, quelque temps avant sa mort, le Prophète avait pressenti que ses jours étaient comptés; et cela, il l'avait annoncé clairement et publiquement dans Hujjat al-Wadâ' (le Pèlerinage d'Adieu). La mort ne l'a donc pas pris au dépourvu. Cela signifie que même si nous ne tenons pas compte du facteur de la Révélation et de la Providence et leur rôle dans l'orientation du Prophète quant à l'avenir de l'Appel après sa disparition.
Cela dit, on peut remarquer logiquement que le Messager se trouvait devant trois vois, dot il devait choisir une, pour l'avenir de l'Appel.
LA PREMIÈRE VOIE
La première voie qui se présentait au Prophète consistait
Or, une telle passivité de la part du Prophète ne saurait être envisagée, car elle découle de deux hypothèses qui ne correspondent guère à l'état d'esprit du Messager:
1- Penser que le fait de ne rien entreprendre pour assurer l'avenir de l'Appel n'aura aucune incidence sur cet avenir et que la Ummah qui hériterai de cet Appel sera capable d'en assurer la protection et de l'empêcher de dévier.
Or, une telle vision de l'avenir de l'Appel n'est guère conforme à la réalité de la situation qui prévalait. Celle-ci incitait plutôt à avoir une vision contraire. Car l' «Appel», ayant consisté en une action de transformation révolutionnaire (radicale)(8), au stade embryonnaire, visant à édifier la Ummah et à en extirper les racines Jâhilite, aurait été exposé à toutes sortes de graves dangers, si son Guide (le Prophète) avait disparu de la scène sans rien prévoir pour sa succession. Il y a tout d'abord es dangers découlant d'une situation où il faudrait envisager un vide pour lequel on n'avait rien prévu, et de la nécessité d'improviser hâtivement sous le grand choc que provoquerait la disparition du Prophète. Car si celui-ci quittait la scène sans planifier l'avenir de l'Appel, la Ummah aurait pour responsabilité première de confronter, sans Guide, les problèmes les plus graves qui se poseraient à l'Appel, alors qu'elle ne serait guère préparée à une telle situation. Aussi, cette situation imposerait-elle à la Ummah de prendre une décision hâtive et impromptue, malgré la gravité du problème auquel elle serait confrontée, car le vide créé ne pourrait attendre. Or, que vaut une telle décision hâtive, prise sous l'effort du choc qu'éprouve la Ummah, à la disparition de son grand Guide? Le choc que la Ummah a subi en perdant son Prophète a créé une telle émotion qu'il fut de nature à troubler l'acheminement normal de la pensée, et qu'il conduisit un Compagnon bien connu à déclarer sous le coup de l'émotion: «Non! Le Prophète n'est pas mort et il ne mourra pas».
Il y a ensuite les dangers provenant du fait que la Ummah n'avait pas atteint un degré de maturité doctrinale, qui permettrait au Prophète de s'assurer préalablement de l'objectivité de l'attitude qui serait adoptée après sa mort, de la concordance de cette attitude avec le cadre missionnaire de l'Appel, de sa capacité à vaincre les contradictions latentes qui, au fond, habitaient des Musulmans divisés en «Muhâjirine»(9)(Emigrés) et «Ançâr»(10)(Partisans), Arabes «Quraychites»(11)et les Arabes non Quraychites, Mequois(12)et Médinois(13).
Puis, il y a aussi les dangers provenant des faux convertis qui complotaient secrètement et constamment contre 'Islam du vivant du Messager. Il s'agit de ceux que le Coran désigne sous le vocable d' «hypocrites». Et si on ajoute à ceux-ci un grand nombre d'individus qui se sont convertis à l'Islam après la Conquête(14)moins par conviction que par soumission au fait accompli, on pourra imaginer les dangers que représenteraient de tels éléments lorsqu'ils se trouvaient subitement les mains libres dans une situation de vide du pouvoir et d'absence e Guide!
La gravité de la situation qui devrait prévaloir après la disparition du Prophète n'aurait donc pu échapper, aucun dirigeant ayant exercé une action missionnaire, et a fortiori au «Sceau des prophètes»(15)(le Prophète Muhammad-P).
Et si l'on admet:
- qu'Abû Bakr ne s'est pas permis de quitter la scène (de la vie) avant d'intervenir activement dans le sort de sa succession afin de garantir l'avenir du califat, en prétextant une mesure de précaution;
- que les Musulmans ont accouru à Omar lorsqu'il a été blessé en l'implorant: «Si tu nous faisais une promesse(16)(si tu désignait un successeur)», craignant le vide qui serait créé après sa mort, et ce, bien qu'une certaine maturité politique et sociale ait commencé à se dessiner chez la Umma, dix ans après la disparition du Messager, et que Omar, partageant leur appréhension, ait désigné six successeurs possibles;
- que Omar était conscient de la gravité de la situation le Jour de la Saqîfah(17), et des complications que pourrait créer la désignation improvisée d'Abû Bakr au Califat, puisqu'il a déclaré à ce propos: «C'était une erreur et Allah nous en a évité les conséquences fâcheuses»(18); et puisqu'Abû Bakr lui-même a justifié sa hâte à accepter du Prophète, par la gravité de la situation (créée à la suite de la mort du Prophète) et de la nécessité de lui trouver une solution rapide, en déclarant (lorsqu'on l'a blâmé d'avoir accepté le pouvoir): «Le Messager de Dieu a rendu l'âme alors que les fidèles n'avaient pas assez de recul pour oublier la jâhiliyyah. C'est pourquoi, mes amis m'ont chargé de cette responsabilité».(19)
Si tout cela est donc vrai, il est tout naturel et évident que le Précurseur et Prophète de l'Appel islamique, était encore plus conscient que tout autre de l'Islam après sa mort, et qu'il comprenait mieux que quiconque la nature de la situation et les exigences de l'action de transformation révolutionnaire qu'il exerçait auprès d'une Umma qui venait de quitter la jâhiliyyahde fraîche date, selon l'expression d'Abu Bakr.
2- La seconde hypothèse absurde qui expliquerait la prétendue passive du Prophète vis-à-vis du sort et de l'avenir de l'Appel après sa mort, c'est de penser que, bien qu'i fût conscient du danger que comporte cette passivité, il ne fit rien qui pût prévenir l'Appel de ce danger, et ce parce qu'il aurait considéré l'Appel dans un esprit intéressé, se contentant de le protéger tant qu'il vivait lui-même, afin d'en tirer profit et de jouir de ses avantages, sans guère se soucier de la suivre de l'Appel après sa propre disparition.
Hypothèse d'autant plus insensée que, même si l'on dépouillait le Prophète de sa qualité de Messager de Dieu et que l'on oubliait qu'il était en contact permanent avec la Providence pour tout ce qui concerne l'Appel, même si nous nous contentions de le considérer comme un dirigeant missionnaire, pareil à l'autres dirigeants de message, cette hypothèse ne pourrait s'appliquer à lui, dirigeant missionnaire inégalé dans le dévouement qu'il montrait pour l'Appel, dans la fidélité qu'il lui vouait et dans les sacrifices qu'il lui offrait jusqu'au dernier moment de sa vie.
Toute son histoire en porte témoignage. Même lorsqu'il était sur son lit de mort et que sa maladie s'aggravait sérieusement, il n'a cessé de se préoccuper d'une bataille dont il avait établi des plans et pour laquelle il avait préparé l'armée de Usâmah. C'était de son lit de mort qu'il ne cessait de donner les ordres suivants, entrecoupés de pertes de conscience répétées: «Prépares l'armée de Usâmah! Mettez-la sur pied de guerre...»(20).
Si le Prophète s'est montré si préoccupé par l'un des aspects militaires de l'Appel, alors même qu'il s trouvait sur son lit de mort, et tout en sachant qu'il mourrait avant d'avoir cueilli les fruits de cette bataille, comment peut-on concevoir qu'il ne se souciait pas de l'avenir de l'Islam et qu'il n'établissait pas des plans pour le prévenir des dangers qui le guetteraient après sa mort?
Enfin, un seul faut survenu lors de la dernière maladie du Messager suffit à prouver que celui-ci n'avait pas choisi cette première voie et qu'il était à mile lieues d'adopter une attitude passive vis-à-vis de l'avenir de l'Appel, d'ignorer le danger d'une telle attitude ou de ne pas s'en soucier. Ce fait, tous les Çihâh(ouvrages spécialisés reproduisant les Hadiths(21)authentiques) des Musulmans, Sunnites et Chiites, l'ont rapporté: il s'agit de ce que le Prophète a dit au moment de mourir, en présence de plusieurs témoins dont Omar Ibn al-Khattâb: «Apportez-moi l'épaule (la planche) et l'encrier pour que je vous écrive une lettre (testament) grâce à laquelle vous ne vous égarerez pas».(22)
Ces gestes du Guide, dont l'authenticité fait l'unanimité des Musulmans, montre clairement que le Prophète pensait aux dangers qui planaient sur l'avenir et qu'il était profondément conscient de la nécessité d'immuniser la Umma contre la déviation et de protéger l'Appel des risques de relâchement t d'écroulement. Donc, en aucun cas on ne peut envisager l'hypothèse d'une attitude passive de la part du Prophète à l'égard de l'avenir de l'Appel.