COMMENT EST NÉ LE CHIISME 2

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LA DEUXIÈME VOIE

 

La seconde voie que le Prophète pouvait choisir vis-à-vis de l'avenir de l'Appel, c'était d'adopter une «attitude active» et de préparer un plan pour sa succession, qui consisterait à confier la tutelle de l'Appel et la direction de l'Expérience à la Ummah elle-même, laquelle serait représentée, selon le système de Choura(concertation), par la première génération doctrinale qui comprenait l'ensemble des Muhâjirine et des Ançâr. Cette génération qui est la représentante de la Ummah serait le fondement du pouvoir et l'axe de la direction de l'Appel dans le cours de son développement.

 

Mais là encore, un examen sérieux de la situation générale (qui prévalait à l'époque du Prophète) et des faits incontestables qu'on connaît du Messager, de l'Appel et de l'avant-garde islamique réfute cette supposition et nous conduit à constater que le Prophète n'a pas confié à la Ummah - représenté par sa génération d'avant-garde (les Muhâjirine et les Ançâr) - le soin de désigner la direction de l'Appel selon le principe de Chourâ.

 

Ci-après quelques points explicatifs et démonstratifs (de cet examen):

 

I -S'il était vrai que le Prophète avait adopté une attitude positive vis-à-vis de l'avenir de l'Appel, en préconisant l'application d'un système de Choura- directement après sa mort - ayant le pouvoir de désigner une direction pour l'Appel, une telle attitude exigé du Prophète - et c'eût été la moindre des choses, ou la chose la plus évidente à faire - qu'il s'appliquât à familiariser la Ummah et les pionniers de l'Appel avec le système de Choura, ses règles et ses détails, à conférer à celui-ci un caractère religieux sacré, afin de préparer - intellectuellement et spirituellement - la société islamique à s'en accommoder, sachant que celle-ci se constituait de tribus qui n'avaient pas vécu, avant l'Islam, une situation politique basée sur le Choura, mais sous un système clanique et tribal où prévalaient, dans une grande mesure, la force, la fortune et le facteur de l'hérédité.

 

Or, il est facile de constater que le Prophète (P) n'a pas mené une action de nature à préparer les gens à un régime de Chouraet à ses détails législatifs. Car, si une telle action avait été accomplie, elle aurait été tout naturellement reflétée dans les hadith du Messager, dans la mentalité de la Ummah, ou, tout au moins, dans celle de la génération d'avant-garde censée être responsable de l'application du système de Choura. Or, en cherchant dans les hadith du Prophète, nous ne trouvons aucune image législative précise du système de Choura, et lorsque nous examinons la mentalité de la Ummah ou celle de sa génération d'avant-garde, nous n'y remarquons aucune trace ni aucun reflet précis d'une action quelconque de préparation à ce système.

 

En effet, la génération d'avant-garde comprenait deux tendances:

 

1- La tendance dirigée, par Ahl-ul-Bayt(25)

 

2- La tendance représentée par la Saqîfah(26)et le califat qui a pris le pouvoir effectif après la décès du prophète.

 

En ce qui concerne la première tendance, elle croyait à la «prédésignation»(27)et à l'Imamat, et met l'accent sur la parenté (avec le Prophète). Elle n'a rien fait qui puisse laisser entendre qu'elle croyait à l'idée de Choura.

 

Quant à la seconde, tous les faits dans la vie pratique et dans les actes de ses tenants, montrent indubitablement que ceux-ci ne croyaient pas au principe de Chouraet qu'ils n'avaient pas fondé leur exercice du pouvoir sur ce principe. Il en va de même de tous les secteurs musulmans contemporains de la période du décès du Prophète.

 

Citons quelques exemples pour étayer cette assertion:

 

Lorsque l'état de santé d'Abû Bakr s'est aggravé, il a désigné Omar Ibn al-Khattâb pour sa succession (au califat) et a demandé à Othmân de rédiger son testament que voici: «Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Voici ce que le calife (successeur) du Messager de Dieu, Abû Bakr a confié aux Croyants et aux Musulmans: Que la paix soit sur vous. Louange à Dieu (vous, dis-je). J'ai désigné pour vous, Omar Ibn al-Khattâb. Ecoutez-le donc et obéissez-lui».

 

Et lorsque Abdul Rahmân Ibn 'Awf s'est rendu auprès de lui et lui a demandé: «comment vas-tu, ô Calife du Messager de Dieu?», celui-ci a répondu: «Je suis mourant. Et vous, vous avez aggravé ce dont je souffre, lorsque, voyant que j'ai désigné l'un d'entre vous, chacun de vous a eu le nez enflé et chacun de vous demandait la désignation pour soi».(28)

 

Ce procédé de succession au califat et la protestation qu'il a suscitée chez l'opposition, montrent que le calife (Abû Bakr) ne pensait pas avec une mentalité de Choura, qu'il estimait être en droit de nommer son successeur t que cette nomination imposait aux Musulmans obéissance; c'est pourquoi il leur a ordonné de l'écouter et de lui obéir. Il ne s'agissait donc pas d'une simple suggestion ni d'une simple proposition de candidature, mais d'une obligation et d'une nomination.

 

On peut remarquer que Omar Ibn al-Khattâb, lui aussi, estimait qu'il avait le droit d'imposer aux Musulmans un successeur au califat; c'est pourquoi il a désigné six personnes à qui il a demandé de choisir l'une d'entre elles pour être calife, sans laisser à l'ensemble des Musulmans aucune rôle réel dans cette «élection».

 

C'est dire que ni le procédé adopté par le premier (calife Abû Bakr) pour assurer sa succession, ni celui du second calife (Omar ibn al-Khattâb), ne reflétaient un esprit de Choura. De même, en nous référant (des deux califes), nous n'y remarquons pas de traces de cet esprit de Choura.

 

Ainsi, lorsqu'on a posé à Omar la question de sa succession, il a dit: «Si l'un de ces deux hommes (Salîm Mawlâ Ibn Abî Huthayqah et Abî 'Ubaydah al-Jarrah) était là, je la(29)lui avais confiée et j'aurais confiance en lui. Et si Salîm était vivant, je l'(30)aurait faite sans Choura».(31)

 

Quant à Abû Bakr, il confiait (de son lit de mort) à Abdul Rahmân Ibn 'Awf: «J'aurais aimé demander au Messager de Dieu à qui revenait cette affaire (la succession). De cette façon, personne ne l'aurait contestée».(32)

 

Lorsque des Ançâr, réunis à la Saqîfah, décidèrent de désigner l'un des leurs pour commander les Musulmans après le décès du Prophète, l'un d'eux s'inquiéta:

 

- Et si les Muhâjirine de Quraych(33)s'y opposaient en faisant valoir leur droit (à la succession, au califat), en leur qualité de Muhâjirine, de fidèles Compagnons du Prophète et de membres de sa famille?

 

- Nous leur dirions alors: «L'un (calife) des nôtre et l'un des vôtres. C'est notre dernier mot», lui répondit-on.

 

Effectivement, Abû Bakr s'adressa à eux (Ançâr) et fit le discours suivant : «Nous les Musulmans Emigrés (Muhâjirine), étions les premiers à nous convertir à l'Islam. Les gens nous ont suivis. Nous sommes la tribut du Messager de Dieu et nous descendons des plus honorables des arabes».

 

Et lorsque les Ançârs suggérèrent que le califat revînt alternativement aux Ançâr et aux Muhâjirine, Abû Bakr répondit : «Lorsque le Messager de Dieu fut révélé, les arabes ne voulurent pas renoncer à la religion de leurs ancêtres. C'est pourquoi, ils s'opposèrent à lui et lui créèrent des difficultés. Dieu désigne les premiers Emigrés de sa tribu (du Prophète) pour le croire. Ils sont donc les premiers à adorer Allah sur la terre. Ils sont les fidèles compagnons du Prophète et les membres de sa famille. Ils ont plus que quiconque, le droit à sa succession. Ne peut leur disputer ce droit qu'un injuste».

 

Et lorsque, al-Habbâb Ibn al-Munthir s'adressa aux Ançârs pour les inciter à rester sur leur position en leur disant : «Tenez bien ce que vous avez entre vos mains. Les gens vivent sous votre ombre et sur votre terre. Si ceux-ci (les Emigrés) refusent(34), alors un prince à nous et un prince à eux».

 

Omar Ibn al-Khattâb lui répondit: «Jamais deux épées ne se réunissent dans un fourneau... Celui qui nous dispute le pouvoir et la succession de Muhammad, dont nous sommes pourtant les compagnons fidèles et la tribut, n'est peut-être qu'un faux, tendant au péché ou compromis dans une grande faute».(35)

 

Le procédé de désignation d'un successeur, adopté par le premier et le second califes, l'absence de protestation contre ce procédé, l'esprit général qui prévalait le jour de la Saqîfahchez les deux ailes rivales de la génération de l'avant-garde (les Muhâjirine et les Ançâr), la tendance manifeste des Muhâjirine à limiter le pouvoir à eux-mêmes en en excluant les Ançâr, leur insistance sur les conditions héréditaires, selon lesquelles la tribu du Prophète avait la priorité dans la succession sur les autres Arabes, la disposition de beaucoup d'Ançâr à accepter l'idée de deux émirs (califes), l'un parmi les Ançâr, l'autre parmi les Muhâjirine, le fait qu'Abû Bakr a manifesté, le jour où il était porté au califat, son regret de n'avoir pas demandé au Prophète à qui reviendrait la succession... tout cela montre d'une façon indiscutable que cette génération d'avant-garde de la Ummah islamique - y compris le secteur qui a eu le pouvoir après le décès du Prophète - ne pensait pas dans un esprit de Chouraet qu'elle n'avait pas une idée précise du système de Choura. Comment peut-on, dès lors, concevoir que le Prophète ait oeuvré en vue de préparer les Musulmans - au système de Choura, et qu'il ait formé la génération de Muhâjirine et d'Ançâr pour qu'elle se charge de la direction de l'Appel selon ce système, alors que nous ne remarquons aucune application consciente, ni aucune idée précise de ce système chez cette même génération! D'un autre côté, on ne saurait concevoir que le Messager ait institué ce système et en ait défini la notion et la législation, sans s'appliquer à y préparer les Musulmans.

 

Il ressort de ce qui précède que le Prophète n'a pas proposé à la Ummah le système de Chourâ, comme solution à sa succession. Car il n'est pas possible normalement qu'un projet de cette importance ait pu être débattu d'une façon proportionnelle à son importance, et qu'il ne laisse aucune trace nulle part.

 

Récapitulons pour mieux expliquer notre raisonnement:

 

a) - Le système de Chourâétait, de par sa nature, une nouveauté pour le milieu des Musulmans de l'époque, milieu qui n'avait connu aucun régime gouvernemental structuré. Il était donc indispensable de mener une campagne intensive d'explication sur ce thème, comme nous l'avons expliqué.

 

b) - Le Chourâ, en tant qu'idée, est une notion floue. Pour l'appliquer, il ne suffisait donc pas de l'énoncer sans en expliquer les détails, les règles et les critères de nature à faire pencher la balance d'un côté ou d'un autre au cas d'un désaccord dans le Choura, et sans préciser si ces critères devaient être fondés sur le nombre et la quantité ou sur la qualité et l'expérience. Bien d'autres détails de nature à déterminer les différents aspects de l'idée de Chouraet à la rendre praticable et applicable directement après le décès du Prophète, auraient dû être mis en évidence, si le Guide de l'Appel avait vraiment lancé et choisi cette idée pour résoudre la question de sa succession.

 

c) - Le Chourâest, en vérité, l'expression de l'exercice du pouvoir, d'une façon autre, par la Ummah, et de la détermination du sort du gouvernement par la concertation. Il s'agit donc d'une responsabilité que doit assumer un grand nombre de citoyens, c'est-à-dire tous ceux qui sont concernés par le Choura; ce qui signifie que s'il constituait une prescription canonique (légale), destinée à être appliquée après le décès du Prophète, le plus grand nombre de ces citoyens auraient dû en être informés, étant donné qu'ils avaient le devoir d'y participer activement et que chacun d'eux y assumait sa part de responsabilité.

 

Tout cela prouve que si le Prophète opté pour le système de Chouracomme moyen d'assurer la direction de la Ummah après sa disparition, il lui aurait été indispensable de lancer largement et profondément l'idée de Choura, d'y préparer tout le monde psychologiquement, d'en colmater toutes les failles, d'en expliquer tous les détails de nature à la rendre pratiquer. Or, il est impossible que le Prophète ait lancé l'idée de Chouraà ce niveau - de profondeur, de qualité et de quantité - et qu'il ne restât de celle-ci aucune trace sur tous les Musulmans qui ont vécu avec lui (le Prophète) jusqu'à sa mort.

 

On pourrait échafauder une autre hypothèse à ce propos, à savoir que le Prophète aurait lancé l'idée de Chouraaussi amplement et aussi largement que la situation l'aurait exigé, et que les Musulmans l'auraient bien assimilée, mais que des motivations politiques apparues subitement auraient dissimulé la vérité et imposé aux gens de garder le silence sur ce qu'ils auraient entendu du Prophète, concernant le Choura, ses statuts et ses détails.

 

Mais une telle hypothèse ne résiste guère à l'examen, car de telles motivations, quoi qu'on en dise, ne comprennent pas les compagnons qui n'avaient pas participé aux événements politiques qui se sont déroulés après la mort du Prophète, ni à la réunion de la Saqîfah. Ils s'étaient tenus à l'écart de ces événements. Ces Musulmans représentent, numériquement, une grande partie de toute société, quel que soit le degré de sa politisation. Si l'idée de Chouraavait été lancée par le Prophète de la façon que nous avons soulignée, elle n'aurait pas eu de motivations politiques, mais serait répandue naturellement par les Compagnons, comme ce fut le cas des textes prophétiques concernant les vertus de l'Imam Ali et sa qualité de régent (waçyy) par l'intermédiaire de ces compagnons. Pourquoi les motivations politiques n'ont-elles pas empêché les centaines de hadith du Prophète concernant les vertus de Ali, sa qualité de régent et son autorité, de nous parvenir grâce aux compagnons, bien que cela (ces hadith) ne fût pas favorable à la situation qui prévalait à l'époque - alors qu'elles auraient empêché les hadith relatifs à l'idée de Chourade nous être transmis! N'est-ce pas un paradoxe insoutenable! Mieux même ceux, qui représentaient la tendance dominante à l'époque, n'invoquaient pas le slogan de Choura- comme une référence attribuée au Prophète - lorsque des divergences politiques les opposaient souvent les uns aux autres, alors qu'ils se trouvaient dans une situation où cette invocation aurait pu les favoriser! Prenons-en un exemple. Talha s'est révolté contre la désignation de Omar par Abû Bakr pour la succession et l'a désapprouvée publiquement; pourtant il n'a pas songé à jouer la carte de Chouracontre cette nomination en faisant valoir que l'attitude d'Abû Bakr serait contraire aux hadith du Prophète concernant le Chouraet l'élection. Si un tel argument était fondé, aurait-il manqué de l'utiliser?

 

II -Si le Prophète avait vraiment décidé de confier à a génération d'avant-garde, qui comprenait les Emigrés et les Partisans parmi les Compagnons, la responsabilité de poursuivre l'action du changement islamique, il aurait été obligé de mobiliser largement cette génération, sur les plans missionnaire et intellectuel, afin qu'elle puisse posséder profondément la théorie (islamique), la traduire consciemment, par la suite dans la pratique, et trouver des solutions conformes au Message, aux différents problèmes qui se poseraient continuellement à l'Appel. Une telle action de mobilisation intensive et générale eût été d'autant plus indispensable que le Prophète qui avait déjà prédit la chute de Cyrus et de César, savait pertinemment que de grandes conquêtes attendaient l'Appel, que la Ummah devrait par conséquent se préparer à assumer la responsabilité d'initier les peuple conquis à l'Islam, et de se prémunir contre les dangers de cette ouverture sur le monde, d'appliquer les prescriptions de la législation islamique dans les pays conquis et chez leurs peuples. Or, bien que la génération d'avant-garde ait été la plus probe de celles qui ont hérité successivement de l'Appel après elle, et la plus disposée d'entre elles au sacrifice, on n'y remarque pas les reflets de cette préparation spéciale susceptible de la rendre apte à assumer la responsabilité de l'Appel et l'Assimilation profonde de ses concepts.

 

Notons à ce propos que le total de hadith prophétiques rapportés par les Compagnons et concernant le domaine de la législation, ne dépasse pas quelques centaines, alors que nombres de Compagnons était selon les livres d'histoire, d'environs 12.000, qui vivaient pourtant matin et soir avec le Prophète dans un même pays, et dans une même mosquée. Lorsqu'on compare ces deux chiffres, peut-on y voir des indices d'une préparation spéciale en vue de diriger un pouvoir islamique?(36)

 

Prenons un autre exemple qui soit à même de corroborer notre affirmation de l'inexistence d'une telle préparation. On sait en effet que les Compagnons évitaient de prendre l'initiative de poser des questions au Prophète; et ce à tel point que l'un d'eux, lorsqu'il avait quelque chose à lui demander, préférait la venue d'un visiteur (d'un bédouin venant de l'extérieur de la ville), dans l'espoir qu'il poserait la question dont il voulait lui-même connaître la réponse. Ils estimaient que c'était un superflu à éviter que de poser des questions sur les statuts des problèmes qui n'existaient pas encore. En témoignent ces propos que Omar prononça de sa chaire:

 

«Par Dieu, j'interdis qu'un homme pose des questions sur ce qui n'existe pas, car le Prophète a expliqué ce qui existe».(37)Et «Il n'est pas permis que l'on pose des questions sur ce qui n'est pas (arrivé). Dieu a pris Sa décision sur ce qui est (existe effectivement)».

 

Ibn Omar a répondu à un homme venu lui poser une question sur un problème donné: «Ne pose pas de question sur ce qui n'est pas arrivé, car j'ai entendu Omar Ibn al-Khattâb maudire celui qui pose des questions sur ce qui ne s'est pas encore produit».(38)

 

De même lorsque quelqu'un interrogea Abî bin Ka'b sur une affaire, celui-ci lui dit:

 

- Le problème sur lequel tu me poses la question s'est-il produit ?

 

- Non, dit l'interlocuteur.

 

- Attends donc jusqu'a ce qu il se produise.(39)

 

Un jour, alors que Omar lisait le Coran, il s'est arrêté sur ce verset: «... Nous en avons fait sortir des céréales, des vignes et des légumes, des olives et des palmiers, des jardins touffus, des fruits et des pâturages...», en se demandant: « Bon, tout cela nous l'avons compris, mais que veut dire "pâturages"?», avant de trancher lui-même: «C'est, par Dieu, une peine inutile. Si vous ne savez pas ce que veut dire "pâturages", cela n'est pas grave. Cherchez ce que Dieu vous a expliqué dans le Livre et suivez-le. Quant à ce qui ne vous est pas connu, confiez-le à Dieu».

 

Tous ces exemples montrent donc qu'il y avait chez les Compagnons une tendance à ne poser des questions que dans la limite des problèmes précis et posés effectivement. Et c'est cette tendance qui était la cause du nombre limité de hadith qu'ils ont rapportés du Prophète, concernant la législation, et la raison pour laquelle les musulmans ont eu recours à des sources de législation autres que le Coran et la Sunnah, telles que l' «istihsan» (jugement prudentiel)(40), le «qiyâs» (analogie)(41)et bien d'autres types d'ijtihâd(jugement personnel), dans lesquels l'élément personnel du Mujtahid (docteur de la Loi) joue un rôle; ce qui a conduit à l'infiltration de la personnalité de l'homme, de ses goûts et conceptions particulières, dans la Législation (divine).

 

Cette tendance est le contraire d'une préparation missionnaire spéciale nécessitant une large action de formation culturelle et une prise de conscience des problèmes qui ne tarderaient pas à se poser à la direction et auxquels celle-ci devrait trouver des solutions conformes à la Loi islamique.

 

De même que les Compagnons ont évité d'interroger le Prophète de leur propre chef, de même ils ont omis d'enregistrer ses paroles et sa Sunnah, bien que celle-ci constitue la seconde source de la législation islamique et que l'enregistrement soit le seul moyen susceptible de la conserver et de la prémunir contre les risques de perte et de déviation.

 

A ce propos, al-Harawi, citant, dans son "Tham al-Kalam", Yahiyâ Ibn Sa'd, a rapporté ce témoignage de Abdullah ibn Dinar: «Ni les Compagnons ni les Suivants (al-Tabi'în)(42)n'enregistraient les hadith du Prophète. Ils se sont contentés de les apprendre oralement et de les mémoriser». Selon "Tabaqât" d'Ibn Sa'd, le deuxième calife (Omar) réfléchissait pendant un mois sur la meilleure décision (ou attitude) à prendre vis-à-vis de la Sunnah du Prophète. Il a fini par interdire de l'enregistrer. Il s'en est suivi que cette Sunnah, la plus importante référence de l'Islam après le noble Livre (le Coran), reste pendant environ 250 ans à la merci du destin, risquant tantôt l'oubli, tantôt la déviation et tantôt la mort des «Mémorisateurs» (hafidoun).(43)

 

Cela dit, comment peut-on concevoir, un instant, que les tenants de cette tendance naïve - encore s'il s'agissait vraiment de naïveté - qui dédaignaient de poser des questions sur un problème avant qu'il ne se produise effectivement, et refusaient d'enregistrer les Sunan(44)du Prophète une fois celles-ci décrétées, soient compétents pour diriger le nouveau Message, pendant l'étape la plus importante et la plus difficile de sa longue marche? Pis, comment peut-on imaginer que le Prophète ait pu laisser sa Sunnah dispersée, sans enregistrement ni précision, tout en ordonnant à ses fidèles de s'y attacher?

 

S'il préparait les Musulmans vraiment à l'idée de Choura, n'aurait-il pas été nécessaire de fixer la constitution du Chouraet de préciser sa Sunnah afin que le Chourasuive une direction précise et déterminée, à l'abri des caprices.

 

La seule explication rationnelle de l'attitude du Prophète n'est-elle pas que celui-ci avait préparé l'Imam Ali pour être la haute autorité et le dirigeant de l'expérience islamique après lui, en lui apprenant «mille chapitres du savoir» et en lui confiant l'intégralité de sa Sunnah? Car la seule exception à la règle ou à la tendance dominante celle qui omettait d'enregistrer les hadiths du Prophète - se trouvait incarnée par Ahl-ul-Bayt. En effet, selon les récits rapportés des Imams d'Ahl-ul-Bayt, ceux-ci s'étaient appliqués dès le début à enregistrer tous les hadiths prophétiques. Ils avaient conservé, selon ces récits, un livre volumineux contenant toutes les Sunan (coutume juridico religieuse) prophétiques, dictées par le Messager et écrit de la main de l'Imam Ali ibn Talib.

 

Les événements survenus après la mort du Prophète ont prouvé que la génération des Emigrés et des Partisans ne possédaient pas de prescriptions précises concernant beaucoup de problèmes que l'Appel devait rencontrer inéluctablement après la disparition du Guide, et ce à tel point que le Calife attitré et ses conseillers ne savaient pas exactement quel était le statut canonique (légal) à appliquer sur une grande superficie de territoires conquis par l'Islam, et si ceux-ci devaient être partagés entre les combattants et devenir le legs pieux des Musulmans. Comment peut-on penser, dès lors, que le Prophète affirme aux Musulmans qu'ils conquerront les territoire de Cyrus et César, et qu'il confie à la génération des Muhâjirine et Ançâr la tutelle de l'Appel et la responsabilité de cette conquête, sans pour autant les informer du statut à appliquer à cette grande superficie du monde sur laquelle l'Islam s'étendra?

 

Pis encore, nous pouvons constater que la génération contemporaine du Prophète n'avait pas d'idées claires et précises même sur des questions d'ordre religieux (cultuel), en l'occurrence la prière de morts. Bien que cette prière constituât une pratique cultuelle que le Prophète accomplit des centaines de fois n public et devant les foules qui assistaient aux funérailles et aux prières, beaucoup de Compagnons ne semblaient pas croire à la nécessité d'en connaître la forme exacte, tant que le Messager le faisait lui-même et en tant qu'ils pouvaient se contenter de le suivre passivement et pas à pas dans ses mouvements. La preuve en est qu'ils n'ont pas tardé à diverger sur le nombre de takbîr(45)dans cette prière.

 

Selon al-Tahawî, citant Ibrâhim: «Le Prophète a rendu l'âme et les Musulmans n'étaient pas d'accord sur le nombre de takbirà prononcer sur la dépouille mortelle. L'un disait: "J'ai entendu que le Messager de Dieu faisait sept takbir", l'autre affirme: "J'ai entendu que le Messager de Dieu faisait cinq takbir". Ils sont restés sur leur désaccord jusqu'à la mort d'Abû Bakr. Et lorsque Omar a accédé au califat et constaté ce désaccord, il en a été très peine. Il a convoqué quelques Compagnons du Messager de Dieu et leur dit: "Vous, Compagnons du Messager de Dieu, lorsque vous tombez en désaccord, les gens vous suivent dans ce désaccord, et lorsque vous vous mettez d'accord sur une affaire, les gens se mettez eux aussi d'accord. Voyez donc sur quoi vous vous accordez!" C'était comme s'il les avait réveillés. Ils ont dit: «Vous avez bien raison».(46)

 

Cela confirme que les Compagnons comptaient souvent sur la personne du Prophète, de son vivant, et n'éprouvaient pas la nécessité d'assimiler les statuts et les concepts de la législation tant qu'il s'en occupait lui-même.

 

Peut-être objectera-t-on que le portrait, ainsi brossé, des Compagnons - avec tout ce qu'il comporte de faits montrant leur incompétence de diriger l'Appel - est en contradiction avec ce que nous connaissons tous: à savoir que l'éducation que le Prophète avait donnée aux Compagnons a enregistré un grand succès et permis de former une génération missionnaire merveilleuse!

 

Nous répondons à cette objection que le portrait réel que nous avons dessiné de la génération d'avant-garde ne s'oppose en rien à la haute appréciation que nous faisons de l'action éducative que le Messager avait menée durant sa noble vie. Car tout en croyant que l'action éducative prophétique constituait le modèle éducatif divin par excellence et l'exemple caractéristique de révélations missionnaires tout au long de l'histoire de l'action prophétique, nous estimons que pour parvenir à cette croyance et faire une appréciation juste du résultat de cette éducation, il faut éviter de dissocier ce résultat des circonstances et des péripéties de l'éducation, et de voir la quantité séparément de la qualité. Pour nous expliquer, prenons l'exemple suivant. Lorsque nous voulons apprécier l'aptitude d'un professeur qui dispense l'enseignement de la langue et de la littérature anglaises, nous ne nous bornons pas à examiner le degré de connaissance - en matière - auquel sont parvenus ses étudiants, mais nous devons tenir compte du nombre de cours qu'il leur a fait, du degré de leur connaissance en la matière avant le commencement de ces cours, du degré de leur éloignement ou de leur proximité des ambiances de la langue et de la littérature anglaises, de la somme de difficultés et d'obstacles exceptionnels auxquels l'opération de l'enseignement s'est heurtée, du but que le professeur avait fixé en enseignant à ses étudiants cette langue et cette littérature, du coefficient déterminé du résultat final de l'opération de l'enseignement en question par rapport à d'autres opérations d'enseignement.

 

Revenons au sujet de l'appréciation de l'opération éducative menée par le Prophète. Dans ce domaine, nous devons tenir compte de ce qui suit:

 

1)- La courte durée pendant laquelle le Prophète a pu exercer son action éducative. Elle ne dépasse pas deux décennies, en ce qui concerne les rares Compagnons qui l'ont accompagné dès ses débuts, une décennie, pour la plupart des Partisans, trois ou quatre ans pour les très nombreux Musulmans qui se sont convertis au Message islamique à partir de la Réconciliation de Hudaybiyyah et en passant par la Conquête de la Mecque.

 

2)- La situation antérieure dans laquelle vivait ces Compagnons sur les plans intellectuel, spirituel, religieux et comportemental avant que le Prophète n'ait entrepris son action missionnaire, la naïveté, la spontanéité et le vide qui caractérisaient les différents domaines de leur vie. On n'a pas besoin d'une explication supplémentaire de ce dernier point, car il est évident; si l'on tient compte que l'Islam ne consistait pas en une action de changement superficiel dans la société, mais en une transformation radicale et une restructuration révolutionnaire d'une nouvelle Ummah; c'est dire combien était profond le fossé moral qui séparait la situation antérieure à l'action du Messager et la situation nouvelle où il a entrepris son action.

 

3)- Du fait que la période pendant laquelle le Prophète diffusait le Message était riche en événements, en luttes politiques et militaires sur différents fronts; c'est ce qui fait que la nature de la religion entre le Messager et ses Compagnons était différente de celle de la relation entre Jésus christ et ses disciples, la première relation étant caractérisée par la position du Prophète en tant qu'éducateur, commandant des campagnes militaires et chef d'État, la seconde par la position de Jésus en tant que professeur et éducateur disponible et se consacrant à la formation de ses disciples.

 

4)- Les incidences sur les Musulmans, des confrontations qu'ils ont eues avec «Les Gens du Livre» et avec les différentes cultures religieuses qu'ils côtoyaient. En effet, ce contact permanent entre l'Islam et les idées que propageaient les adversaires du nouveau Message, en L'occurrence les adeptes des cultures religieuses antérieures, constituaient une source d'inquiétude et de troubles constants, et ont conduit, comme on le sait, à la formation d'un courant de pensée israélite qui s'est infiltré, involontairement ou par malveillance, dans beaucoup de domaines de la pensée. Il suffit de jeter un coup d'oeil scrutateur sur le noble Coran, pour découvrir l'ampleur du contenu de la pensée contre-révolutionnaire, et combien la Révélation prenait soin de la souligner et de réfuter.

 

5)- Le but que le grand Educateur (le Prophète) poursuivait sur le plan général et pendant cette période était de former une base populaire saine avec laquelle la nouvelle direction du Message pouvait traiter (de son vivant et après sa disparition) et poursuivre l'Expérience islamique. Le but (transition) du Prophète à cette époque, n'était point d'amener la Ummah au niveau où elle pouvait se charger elle-même de la direction de l'Appel, c'est-à-dire à un niveau où elle aurait assimilé parfaitement le Message, en une connaissance jurisprudentielle profonde et intégrale de ses statuts (du Message) et une fusion complète avec ses conceptions. La détermination du but pour cette période de la façon que nous venons de signaler, était tout à fait logique et s'imposait par la nature de l'action de changement. Car il n'était raisonnable de fixer un but que selon les possibilités pratiques existantes, et il n'y avait de possibilités pratiques dans un cas comme celui auquel était confronté l'Islam, que dans les limites que nous avons soulignées, étant donné que le fossé moral, spirituel, intellectuel et social entre le nouveau Message et la réalité corrompue qui prévalait à l'époque ne permettait pas d'élever la Ummah au niveau où elle pouvait diriger elle-même, directement, le Message. C'est ce que nous expliquons dans le point suivant pour démontrer que, soumettre la direction de l'expérience de la transformation à une régence assurée par l'Imams d'Ahl-ul-Bayt et le Califat de l'Imam Ali, était une nécessité qu'imposait la logique de l'action révolutionnaire tout au long de l'histoire.

 

6)- Une grande partie de la Ummah, lors de la disparition du Prophète, se constituait de ce qu'on appelle les Musulmans de la Conquête, c'est-à-dire ceux qui s'étaient convertis à l'Islam après la Conquête de la Mecque et une fois que le Nouveau Message était le maître de la situation, politiquement et militairement parlant, dans la Péninsule Arabie. Ces Musulmans-là, le Prophète n'a pu avoir que peu d'échanges avec eux, pendant la courte période qui s'étendait entre la Conquête de la Mecque et sa disparition. De même, ce peu d'échanges qu'il a eus avec les dits Musulmans, il les a eus surtout en tant que Gouvernant, en raison de la nature de la phase que traversait l'État islamique. C'est pendant cette phase que l'idée des «Cours à rallier»(47)était apparue et a trouvé sa place dans la législation de la Zakâtet dans d'autres domaines. Or, cette partie de la Umma n'était pas séparée de ses autres parties. Au contraire, elle y était intimement liée, elle les influençait et en subissait les influences.

 

Au vu de ces six points, nous pouvons constater que l'éducation prophétique était très fructueuse, qu'elle a réalisé une transformation inégalable et qu'elle a formé une génération répondant au but du Prophète de constituer une base populaire, prête à entourer la direction de la Nouvelle Expérience et à la soutenir. C'est pourquoi on remarque que cette génération accomplissait bien son rôle de base populaire irréprochable tant que le Prophète assurait la direction du Message. Et si cette direction avait conservé, après le décès du Prophète, la voie que Dieu lui avait tracée, la base aurait continué son rôle parfait. Mais cela ne signifie en aucun cas que celle-ci était effectivement préparée à assurer elle-même la direction de la Nouvelle Expérience. Car une telle préparation aurait nécessité chez cette génération plus de fusion spirituelle avec le Message, plus de foi en lui, une plus large connaissance de ses prescriptions, ses conceptions et ses différents points de vue sur la vie, une plus grande épuration dans les rangs des Musulmans afin de se débarrasser des Hypocrites, des intrus et des éléments subversifs, et des «Coeurs à rallier» (al-mu'allafa qulubulum) qui constituaient encore une grande partie de cette génération - que ce soit par leur nombre ou par les positions historiques qu'ils qu'ils occupaient - et exerçaient des influences d'autant plus négatives que le noble Coran le relate lorsqu'il parle des Hypocrites, de leurs complots et de leurs attitudes. Certes, cette génération comptait quelques très bons éléments tels que Salmân, Abû Tharr, 'Ammâr, etc. auxquels l'Expérience islamique a pu donner une formation missionnaire d'un niveau sublime en les fusionnant dans son creuset. Mais la présence de ces quelques très bons éléments parmi la vaste génération en question ne prouve pas que celle-ci ait atteint dans son ensemble le degré de formation qui justifie qu'on lui confie la mission de diriger l'Appel sur la base de Chourâ.

 

Même chez ceux qui ont atteint un haut niveau d'endoctrinement parmi cette génération, la plupart ne possédaient pas les qualités requises qui permettent de supposer leur aptitude missionnaire à diriger l'Expérience sur le plan intellectuel et culturel, et ce malgré leur dévouement et leur attachement profond et sincère à l'Islam. Car celui-ci n'est pas une théorie humaine susceptible de se préciser intellectuellement avec la pratique et l'application et dont les concepts peuvent se cristalliser à travers l'expérience. L'Islam est, avant tout, un message divin dans lequel les prescriptions et les notions sont prédéterminées, et que Dieu a pourvu de toutes les législations générales que l'Expérience nécessite. Pour diriger donc cette Expérience il faut absolument assimiler toutes les limites et tous les détails du Message, et avoir une conscience profond de toutes ses conceptions. Autrement, on risquerait d'interpréter d'une façon personnelle ses axiomes et ses postulats, ce qui pourrait conduire l'Expérience à subir des revers dans son cheminement, risque d'autant plus grave que l'Islam et le Message divin final ou «le Sceau des Messages divins», et que de ce fait, il doit s'étendre à la longueur du Temps et dépasser les limites de «temporel», du «régional» et du «national». C'est pourquoi, il ne faut pas que sa direction qui constitue le fondement de cette étendue, soit basée sur le principe de «l'essai et l'erreur», lequel principe comporte le risque de l'accumulation des erreurs (à travers l'étendue du Temps), et par conséquent de la naissance de failles et de l'écoulement de l'expérience.

 

On peut formuler les conclusion que nous venons de tirer, de la façon suivante: l'action éducative que le Prophète a exercée sur un plan général auprès des Muhâjirine et des Ançâr n'était pas de nature à préparer une direction consciente, intellectuelle et politique pour l'avenir de l'Appel et la poursuite de l'opération du changement entrepris par le Messager, mais à édifier une base populaire consciente, susceptible de soutenir la direction de l'Appel, du vivant du Prophète et après sa mort.

 

Toute supposition visant à faire croire le Prophète avait oeuvré en vue de confier la Direction et la Tutelle de l'Appel directement après sa disparition à la génération des Muhâjirine et des Ançâr, accuserait implicitement le plus grand et le plus clairvoyant Guide missionnaire de toute l'histoire des expériences révolutionnaires (de transformation), d'être incapable de distinguer de conscience requis au niveau de la base populaire de l'Appel, du degré de conscience requis au niveau de la Direction de l'Appel ou de son Imamat(48)(avant-garde) idéologique et politique.

 

III -L'Appel est une opération de transformation et un mode de vie nouveau. Il comporte donc la reconstruction de la Ummah t l'extirpation des racines et des séquelles de la jâhiliyyah(la société préislamique).

 

La Ummah islamique - dans son ensemble - n'avait vécu cette opération de changement que pendant une décennie tout au plus. Or, cette courte période ne suffit pas normalement et selon la logique des messages doctrinaux et des mouvements révolutionnaires (de changement), à former, chez la génération qui n'a vécu que pendant dix ans l'expérience du changement, un niveau de conscience, d'objectivité, de libération des séquelles du passé, et d'assimilation des données du nouveau message, susceptible de la qualifier pour la tutelle du Message et la responsabilité de poursuivre sans dirigeant l'opération du changement. Pour que la Ummah ait pu atteindre le niveau qui la qualifie pour assurer cette tutelle, elle avait besoin d'une plus longue période de régence. C'est là la logique de tous les messages doctrinaux.

 

Mais cette affirmation ne traduit pas seulement une simple déduction. Elle exprime aussi une vérité que les événements survenus après la mort du Prophète Dirigeant corroborent et qui est apparue au grand jour, un demi-siècle (ou même moins) plus tard à travers l'exercice du pouvoir (la direction ou la tutelle de l'Appel) par la génération des Muhâjirine et des Ançâr. En effet, un quart de siècle à peine après que cette génération s'est chargée de la tutelle de l'Appel, le «Califat bien dirigé»(49)et l'Expérience missionnaire ont commencé à s'écouler sous les coups violents des anciens ennemis de l'Islam - mais opérant cette fois-ci de l'intérieur et non pas de l'extérieur de l'Appel - qui avaient pu s'infiltrer progressivement dans les centres d'influence, et s'emparer insolemment et violemment de la direction en profitant de son inconscience. Ils n'ont pas tardé à obliger la Umma, ainsi que sa génération d'avant-garde, de renoncer à sa personnalité et à sa direction. Il s'en est suivi que la direction du Message s'est transformée en une propriété héréditaire qui bafouait la dignité des fidèles, assassinait les innocents, gaspillait les biens de la Umma, suspendait les peines prescrites, gelait les dispositifs de la Loi, disposait à sa guise des destinées des Musulmans, que les dépouilles (al-fay') et les biens sont devenus une ferme privée des Quraych, et le califat, un ballon avec lequel jouaient les gamins des Omayyades.

 

Ainsi, l'Expérience de l'Appel après la mort du Prophète et les résultats auxquels elle a Abûti un quart de siècle plus tard corroborent ;a conclusion que nous avons tirée plus haut et selon laquelle: «confier la direction» (ou l'imamat) intellectuelle et politique à la génération des Ançâr et Muhâjirine, directement après la mort du Prophète, est une mesure prématurée et que par conséquent, il n'est pas raisonnable de penser que le Prophète ait pris une telle mesure.

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