L'héritage de l'esclavage aux États-Unis et les nouvelles formes d'exploitation dans la société américaine

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L'héritage de l'esclavage aux États-Unis et les nouvelles formes d'exploitation dans la société américaine

Par la rédaction de Press TV français

L'esclavage a profondément marqué l'histoire des États-Unis, laissant des cicatrices indélébiles dans la société américaine. Abraham Lincoln, le 16e président américain, souvent célébré comme l'un des architectes de la liberté aux États-Unis, a également été un homme d'État dont les actions ont soulevé des questions morales profondes.

Bien que Lincoln ait joué un rôle crucial dans l'abolition de l'esclavage avec la Proclamation d'émancipation promulguée le 1er janvier 1863, l'héritage de cette institution inhumaine perdure sous diverses formes d'exploitation. Cet article explore les conséquences de l'esclavage, l'impact des politiques de Lincoln et les nouvelles manifestations de l'exploitation qui continuent d'affecter les Afro-Américains et d'autres groupes marginalisés aux États-Unis.

L'esclavage a été une institution centrale dans le développement économique et social des États-Unis. Pendant plus de deux siècles, des millions d'Africains ont été enlevés de leur terre natale et réduits en esclavage, contribuant à la richesse des plantations du Sud. Cette exploitation a créé un système de racisme systémique qui persiste encore aujourd'hui.

Les plantations de coton, de tabac et de sucre ont généré d'énormes profits, reliant l'économie américaine à celle de l'Europe. Ce système a également créé des inégalités de richesse qui perdurent.  L'esclavage a engendré des divisions raciales profondes, créant des stéréotypes et des préjugés qui ont été institutionnalisés dans la culture américaine.

Les débuts d'Abraham Lincoln

Né le 12 février 1809 dans une cabane en bois dans l'État du Kentucky, Abraham Lincoln a grandi dans un environnement modeste. Sa famille a déménagé dans l'Indiana, où il a reçu une éducation limitée mais a développé un goût pour la lecture et l'apprentissage. En 1830, il s'installe à Springfield, dans l'Illinois, où il commence sa carrière politique en tant que membre du Parti Whig. Lincoln a rapidement gagné en notoriété grâce à sa capacité à articuler des idées et à débattre des questions politiques de son temps.

Au cours des années 1850, la question de l'esclavage est devenue un sujet de division majeur aux États-Unis. Lincoln, bien qu'opposé à l'esclavage, n'a pas initialement plaidé pour son abolition immédiate. Son objectif principal était de préserver l'Union. En 1860, Abraham Lincoln est élu président, ce qui provoque la sécession de plusieurs États du Sud et le déclenchement de la guerre civile en 1861.

La guerre de Sécession ou guerre civile américaine est une guerre civile survenue entre 1861 et 1865. Elle oppose le gouvernement fédéral des États-Unis d'Amérique (« l'Union » ou « le Nord ») rassemblant principalement des États situés au Nord, dirigés par le président des États-Unis Abraham Lincoln, et les États confédérés d'Amérique (« la Confédération » ou « le Sud »), dirigés par Jefferson Davis et rassemblant onze États du Sud qui avaient fait sécession des États-Unis. La guerre résulte du débat de l'abolition de l'esclavage, souhaitée par le Nord. Les habitants de l'Union désignaient ceux de la Confédération sous le nom de « rebelles ».

La moralité de la politique de Lincoln

Abraham Lincoln est souvent célébré comme le « Grand Émancipateur », mais son approche de l'esclavage était complexe et nuancée. Bien que sa Proclamation d'émancipation ait libéré les esclaves dans les États rebelles, il n'a pas aboli l'esclavage dans l'ensemble des États-Unis. Cela a conduit à des critiques selon lesquelles Lincoln n'était pas entièrement engagé dans la lutte pour l'égalité.

Lincoln a souvent été motivé par des considérations stratégiques plutôt que par une véritable conviction morale. La préservation de l'Union était sa priorité, et l'émancipation des esclaves était un moyen d'atteindre cet objectif.  En effet, l'émancipation a marqué un tournant, mais elle n'a pas mis fin à l'exploitation raciale.

En déclarant libres les esclaves des États en rébellion, Lincoln espérait affaiblir l'effort de guerre du Sud. Cette approche utilitariste soulève des questions sur la moralité de ses motivations. Est-ce que Lincoln a agi par conviction morale ou par nécessité politique ? En d'autres termes, a-t-il utilisé l'émancipation comme un outil pour atteindre ses objectifs militaires, plutôt que comme un acte de justice ?
De plus, la Proclamation ne s'appliquait pas aux États frontaliers qui avaient choisi de rester dans l'Union. Cela a conduit à des accusations d'hypocrisie, car Lincoln semblait privilégier la préservation de l'Union au détriment de la liberté des esclaves. Cette dichotomie entre ses idéaux et ses actions pose la question de savoir si Lincoln a véritablement agi en faveur des droits humains ou s'il a simplement utilisé l'émancipation comme un moyen de maintenir le pouvoir.

Après la Reconstruction (la période de reconstruction débute dès 1863 avec la proclamation d'émancipation de Lincoln et prend fin au niveau fédéral par le compromis de 1877), des lois discriminatoires ont été mises en place pour maintenir la ségrégation raciale et l'inégalité. Ces lois ont perpétué un système d'exploitation économique et social. De nombreux Afro-Américains ont été contraints de travailler dans des conditions similaires à l'esclavage à travers des systèmes comme le « sharecropping » (il s’agit d’un contrat par lequel le propriétaire d'un domaine agricole improductif charge une personne d'en exploiter tout ou partie en échange d'une part sur la production), qui les maintenaient dans un cycle de pauvreté.

En effet, Lincoln reste une figure emblématique, mais son parcours illustre les dilemmes moraux auxquels sont confrontés les leaders en temps de crise. Cette complexité fait de lui un personnage fascinant et controversé, dont les décisions continuent d'être débattues et analysées aujourd'hui.

Nouvelles formes d'exploitation aux États-Unis

L'héritage de l'esclavage se manifeste aujourd'hui à travers diverses formes d'exploitation qui touchent les Afro-Américains et d'autres groupes marginalisés aux États-Unis.

Malgré des avancées dans l'éducation et l'emploi, des études montrent que les Afro-Américains gagnent toujours moins que les Blancs pour des emplois similaires. Le manque d'accès à des ressources économiques et à des opportunités de carrière contribue à maintenir des cycles de pauvreté.

Des études menées par l'Urban Institute montrent que le patrimoine net des ménages afro-américains est considérablement inférieur à celui des ménages blancs. Par exemple, en 2016, le patrimoine médian des ménages noirs était de 17 600 dollars, contre 171 000 dollars pour les ménages blancs, illustrant les effets durables de l'esclavage et des politiques discriminatoires.

Le système pénal américain soulève des préoccupations majeures concernant l'exploitation des Afro-Américains. La surreprésentation des Noirs dans les prisons et les conditions de détention déplorables mettent en lumière des parallèles troublants avec l'esclavage. Les détenus sont souvent contraints à travailler pour des salaires dérisoires, voire sans rémunération, ce qui constitue une forme moderne d'exploitation.

Des témoignages d'anciens détenus, comme ceux recueillis dans le livre « Slavery by Another Name » de Douglas A. Blackmon, exposent les abus subis par les prisonniers afro-américains. Ces récits décrivent des conditions de travail inhumaines et un traitement dégradant qui rappellent les horreurs de l'esclavage.

Les pratiques de redlining (une pratique de discrimination résidentielle consistant à refuser ou limiter les prêts aux populations situées dans des zones géographiques déterminées) et de discrimination sur le marché du logement continuent d'affecter les Afro-Américains. L'accès limité à des logements de qualité et à des quartiers sûrs contribue à des inégalités économiques et sociales, perpétuant ainsi les effets de l'esclavage.

Une étude de cas sur le redlining à Chicago montre comment les quartiers afro-américains ont été délibérément dévalorisés, ce qui a conduit à une accumulation d'inégalités en matière d'éducation, d'emploi et de santé. Les cartes de redlining des années 1930 montrent une corrélation directe entre la race et l'accès au crédit immobilier, avec des effets durables sur les générations suivantes.

De nombreux Afro-Américains se trouvent dans des emplois précaires et informels, souvent sans protections ni droits. Cela inclut des secteurs comme la restauration, la construction, et l'agriculture, où les travailleurs peuvent faire face à des abus et à des conditions de travail dangereuses.

Les témoignages de travailleurs agricoles afro-américains révèlent des conditions de travail difficiles, souvent marquées par de longues heures, des salaires bas, et un manque de protection contre les abus. Ces témoignages soulignent comment ces travailleurs sont souvent exploités par des employeurs qui profitent de leur vulnérabilité.

L'appropriation de la culture afro-américaine par des industries dominantes soulève des questions d'exploitation. Les artistes et créateurs noirs sont souvent sous-rémunérés ou non reconnus pour leurs contributions, tandis que des éléments de leur culture sont commercialisés sans crédit.

Résistance et lutte pour la justice

Des mouvements comme Black Lives Matter illustrent la résistance contre les inégalités raciales et l'exploitation. Ces mouvements cherchent à dénoncer la violence policière, le racisme systémique, et à revendiquer des droits égaux pour tous.

Le mouvement Black Lives Matter a catalysé des discussions sur la brutalité policière et les inégalités raciales aux États-Unis. Des études montrent que le mouvement a eu un impact significatif sur la sensibilisation du public et sur les politiques publiques liées aux droits civiques et à la réforme de la police.

L'éducation joue un rôle clé dans la lutte contre l'exploitation. La prise de conscience des injustices historiques et contemporaines permet aux individus et aux communautés de revendiquer leurs droits et de travailler vers un changement social.

De nombreux enseignants afro-américains témoignent de l'importance d'un curriculum inclusif qui aborde l'histoire de l'esclavage et ses conséquences. Ces éducateurs soutiennent que la sensibilisation à ces questions est essentielle pour préparer les jeunes à comprendre et à combattre le racisme.

Des efforts pour réformer le système pénal, améliorer l'accès à l'éducation et à des soins de santé de qualité, et lutter contre les discriminations sont essentiels pour aborder les conséquences de l'héritage de l'esclavage.

Les initiatives de réforme sont souvent entravées par des intérêts politiques et économiques. Les critiques soulignent que sans un engagement véritable des décideurs et une mobilisation des communautés, les réformes peuvent rester superficielles et ne pas aborder les racines des inégalités raciales.

Tout porte à croire que l'avenir des Afro-Américains et des groupes marginalisés dans un contexte politique complexe, comme celui de l'arrivée au pouvoir d’un président raciste comme Donald Trump, peut susciter des préoccupations majeures aux États-Unis.

Peu après la victoire de Donald Trump face à Kamala Harris en novembre dernier, des habitants afro-américains ont rapporté avoir reçu des SMS anonymes à caractère raciste. Selon la NAACP, une des principales organisations de défense des droits des Afro-Américains, des habitants noirs de Caroline du Nord, de Virginie, d'Alabama et de Pennsylvanie ont reçu des messages leur demandant de « se présenter à une plantation pour ramasser du coton ». Une référence au passé esclavagiste du pays que l'organisation a vivement condamnée. « La triste réalité d'avoir élu un président qui a historiquement adopté, et parfois encouragé, (les discours de) haine se matérialise devant nos yeux », a déclaré Derrick Johnson, à la tête de la NAACP.

La presse américaine a aussi fait état de SMS racistes envoyés à des étudiants afro-américains dans plusieurs États, dont certains étaient signés par « un supporter de Trump ». « Vous avez été sélectionné pour être un esclave de maison à la plantation d'Abingdon», peut-on lire sur une capture écran d'un de ces messages relayée sur les réseaux sociaux.

« Le message envoyé à de jeunes Afro-Américains, dont des étudiants de l'université de l'Alabama, est une démonstration publique de la haine et du racisme qui se moque de notre passé sur les droits civiques », a condamné Margaret Huang, responsable du groupe de défense de ces droits Southern Poverty Law Center.

En 2023, 11.447 crimes motivés par la haine ont été enregistrés aux États-Unis, selon le FBI, dont plus de la moitié motivés par l'ethnicité. Depuis 2020, au moins 30% de ces crimes ont visé des Afro-Américains.

La lutte pour les droits civiques et l'égalité raciale doit se poursuivre, car l'héritage de l'esclavage aux États-Unis ne sera véritablement surmonté que lorsque toutes les formes d'exploitation auront été abolies.

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