Relations franco-syriennes : d’un passé colonial contesté à une voix incrédible et inaudible !

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Relations franco-syriennes : d’un passé colonial contesté à une voix incrédible et inaudible !

Par Ghorbanali Khodabandeh

Depuis la fin du mandat français en Syrie en 1946, les relations entre la France et la Syrie ont connu des fluctuations importantes, reflétant les complexités géopolitiques du Moyen-Orient et les débats internes français.

Au lendemain de l’indépendance, le 17 avril 1946, la Syrie a cherché à s’émanciper de l’influence française, tout en maintenant des liens culturels et linguistiques. Les décennies suivantes ont vu une alternance entre coopération et tensions, la France tentant de préserver son influence régionale.

Les violences terroristes de 2011 ont profondément bouleversé la donne. La France a officiellement soutenu les groupes armés opposés au gouvernement Assad et rompu les relations diplomatiques. Cependant, cette position n’a pas fait l’unanimité sur la scène politique française. Le Rassemblement National et La France Insoumise ont exprimé un soutien plus ou moins explicite à Bachar al-Assad. Ces partis ont justifié leur position par divers arguments : lutte contre le terrorisme, stabilité régionale, ou opposition à l’interventionnisme occidental.

Les relations entre la France et la Syrie semblent aujourd’hui entrer dans une nouvelle phase. Le dirigeant de facto de la Syrie Ahmed Al-Sharaa, arrivé à la tête du pays à la suite d’un coup de force, a reçu une invitation du président français Emmanuel Macron pour se rendre en France, avait déclaré 12 février l’Elysée dans un communiqué.

La conférence internationale sur la Syrie qui s’est déroulée jeudi à Paris marque une nouvelle étape dans l'engagement de la France qui essaie désormais de se faire une place sur le nouvel échiquier diplomatique et sécuritaire syrien.

Le Mandat français en Syrie : une domination coloniale sans cesse contestée

Au terme de la Première guerre mondiale, la toute jeune Société des Nations (SDN) donna mandat au Royaume-Uni (en Irak et Palestine) et à la France (en Syrie et au Liban) d’administrer cette région, relevant auparavant de l’autorité de l’Empire Ottoman vaincu, à condition de rendre compte régulièrement de leur politique et de leurs actions, jusqu’au terme de la mission, l’indépendance.

Mais les deux puissances gérèrent de façons radicalement différentes ces mandats.

La brutalité – la France bombarda Damas en 1925 et en 1945 – et le refus obstiné d’envisager l’indépendance exigée par les nationalistes marquèrent la politique française, contribuant à une dégradation de l’image internationale du pays.

Tout au long de la période des mandats, les Français présenteront leur politique comme correspondant à une mission très anciennement ancrée dans le temps, justifiée par des relations culturelles étroites et une présence (réelle) de la langue française dans la région.

Il est évidemment une autre raison à l’intérêt de la France pour la région : de solides intérêts économiques, installés bien avant 1914 dans cette partie de l’ex-Empire ottoman.

L’entrée de l’Empire ottoman dans la guerre, dès octobre 1914, aux côtés de l’Allemagne, va ouvrir l’ère des tempêtes pour cette région. Dès ce moment, Britanniques et Français réfléchissent à la politique à suivre, après la victoire espérée face à cette coalition. En mai 1916, un mémorandum secret entre Sir Mark Sykes et François Georges-Picot envisage le partage futur en zones d’influence. Le Levant est considéré comme une aire d’influence de la France, l’Irak et la Palestine revenant au Royaume-Uni. Mais le nationalisme arabe, entré en effervescence, ne veut pas qu’à l’emprise turque succède une domination occidentale.

En fait, dès leur prise de mandat, les Français façonnent la région, selon le vieux principe diviser pour régner : Il y eut une permanence du regard français sur la Syrie, durant toute la période : ce pays n’avait pas d’unité ethnique, religieuse et, partant, nationale. Ainsi, la France divise la Syrie en quatre États sur des bases confessionnelles : État alaouite, État druze, États sunnites d’Alep et de Damas.

Les hommes politiques les plus lucides, en France, se rendent à l’évidence : contrairement aux affirmations du début du mandat, le sentiment national, dans la région, est une force ; le Corps expéditionnaire ne contrôlera jamais réellement le pays, et les rares Syriens qui acceptent de collaborer avec la puissance mandataire sont isolés.

Le 14 février 1946, le Conseil de sécurité de l’ONU demande à toutes les forces militaires étrangères de quitter le Levant ; pour les troupes françaises, le retrait s’acheva le 30 avril (Syrie) et le 31 août (Liban).

Les Français, arrivés dans la région, après la Première guerre mondiale, avec la fierté des vainqueurs, en sont évincés sans gloire au terme de la Seconde.

Pourquoi la France reprend ses relations diplomatiques avec la Syrie ?

Les relations entre la France et la Syrie ont évolué au fil des décennies, jalonnées par des accords de coopération, des tensions politiques et des crises humanitaires. Depuis le déclenchement des violences en 2011, l'UE a suspendu toute coopération bilatérale avec l'État syrien de Bachar al-Assad.

La chute du président syrien le 8 décembre 2024, après une offensive fulgurante menée par des groupes armés, ouvre aussi la voie à une révision des rapports entre l'Union européenne en général et la France en particulier et la Syrie à la situation géographique hautement stratégique.

Pour l'heure, l'Union européenne n'a pas annoncé de changements immédiats à la politique de longue date menée à l'égard de la Syrie. La priorité est donnée au dialogue et à l'apaisement.

Depuis la chute de Bachar al-Assad en décembre dernier, de nombreux ministres et responsables européens ont rencontré le nouvel homme fort de la Syrie.

Le président français était le premier dirigeant européen à échanger avec le nouveau dirigeant syrien, cet ancien chef du front Al-Nosra, ex-membre d'Al-Qaïda et de Daech. Peu importe pour le locataire de l'Elysée, qui, même pour cet interlocuteur, a gardé la même méthode : lorsqu'il s'entretient pour la première fois avec un nouvel homologue il l'invite en France.

Paris veut ainsi ouvrir la voie à un réchauffement de la relation diplomatique avec la Syrie malgré le CV de son nouveau dirigeant.

Macron avait lancé une invitation à Ahmed Al-Charaa, pour une visite en France lors d’un entretien téléphonique entre les deux hommes, le 5 février, dans la perspective de la conférence internationale pour la Syrie, qui s’est tenue le 13 février à Paris.

Conférence internationale sur la Syrie: nouvel acte dans les relations franco-syriennes

La conférence internationale sur la Syrie, qui s’est achevée à Paris le 13 février, marque également une étape importante dans la refonte des relations entre la France et la Syrie post-Assad. Il s’agissait de la troisième réunion du genre depuis la chute de Bachar el-Assad le 8 décembre. Le ministre des Affaires étrangères syrien Assad al-Chibani a fait le déplacement ainsi que des représentants de nombreux pays arabes, du G7 et de plusieurs pays européens. Pas d'annonces concrètes, mais seulement une volonté d'accompagner le nouveau pouvoir pour reconstruire le pays.

Dans son discours de clôture, Emmanuel Macron a notamment parlé sécurité, à l'heure où des combats ont encore lieu dans en Syrie. De nombreux groupes terroristes qui ont aidé Golani à renverser le gouvernement de Bachar Assad, attaquent quotidiennement diverses régions de Syrie, pillant les biens des citoyens, arrêtent les éléments de l'ancien régime syrien et s’en prennent aux communautés chiites, alaouites et druzes.

Les lieux saints chiites et alaouites sont également constamment menacés par les groupes takfiristes. Des rapports font également état d'affrontements entre la population et les éléments armés au pouvoir en Syrie dans diverses régions du pays.

Le président français a appelé la communauté internationale à soutenir la transition politique en cours dans le pays et a insisté sur l’importance de garantir la souveraineté syrienne, tout en accompagnant les nouvelles autorités dans leur lutte contre le terrorisme et la mise en place d’un cadre institutionnel inclusif.

L’appel de Macron à lutter contre Daech et sa réticence à reconnaître la nature terroriste de Tahrir al-Cham démontrent une fois de plus son double langage face au terrorisme. Pour rappel, la France est l’un de ces pays qui, selon certains de ses anciens responsables, a joué un rôle important dans la déstabilisation de la Syrie. En effet, depuis le début de la crise en Syrie, la France a été l'un des pays qui misait sur la chute immédiate de « Bachar al-Assad ». Et dans ce contexte, les services de renseignements français ont fourni des aides militaires et de renseignements aux groupes d’opposition armés en Syrie.

Par ailleurs, la réunion de Paris prétend agir pour une Syrie unie et unifiée, mais elle n’a fait aucune mention de l’occupation de la Syrie par le régime sioniste ou de l’occupation d’une partie du territoire syrien par les États-Unis et la Turquie.

Le retour des réfugiés est un défi. Quinze millions de réfugiés et de déplacés pendant ces 14 années de guerre. Seuls 200 000 sont rentrés pour l'instant.

Le volet économique et humanitaire a également occupé une place centrale dans son intervention. Rappelant que la Syrie sort d’une décennie de guerre, Emmanuel Macron a annoncé que la France tiendra son engagement de consacrer 50 millions d’euros à l’aide humanitaire et à la stabilisation du pays.

La France tente de se placer dans le jeu des puissances au Moyen-Orient

Au printemps 2025, Emmanuel Macron a proposé l’organisation d’une conférence internationale sur la paix au Moyen-Orient. Cette initiative, annoncée depuis Paris, vise à réunir à New York l’ensemble des acteurs régionaux et des puissances mondiales impliquées dans les crises en cours. L’objectif déclaré est de créer un espace diplomatique multilatéral permettant de réactiver la dynamique de paix israélo-palestinienne, en lien avec les tensions au Liban, en Syrie, et autour de Gaza. Le président français insiste sur la nécessité de « revenir au droit international et à l’esprit des résolutions de l’ONU », estimant que l’absence de cadre global alimente le chaos régional. Ce projet s’inscrit dans la continuité des précédentes initiatives françaises, tout en cherchant à imposer une dynamique nouvelle.

Au-delà du dossier israélo-palestinien, la conférence internationale voulue par Emmanuel Macron s’inscrit dans un cadre géopolitique beaucoup plus large. La France cherche à repositionner son rôle sur la scène internationale, à la fois comme médiateur crédible et comme puissance capable de rassembler au-delà des clivages traditionnels.

Marginalisée dans la crise au Proche-Orient, captée par Donald Trump, et en deuxième rideau par les pays arabes de la région, la France se réengage au Liban et en Syrie, où son rôle dans l’histoire récente et moins récente a été réduit mais lui laisse toutefois quelques leviers d’influence.

La tâche est donc ardue pour la diplomatie française qui doit repositionner ses pions face aux acteurs régionaux, à commencer par le parrain turc d'HTC, le groupe armé dont est issu Ahmed Al-Charaa. Ankara et Paris n'ont pas les mêmes objectifs sécuritaires en Syrie.

Pour les Européens et la France en particulier, la question des éléments terroristes semble centrale. Une centaine de terroristes français sont toujours recherchés en Syrie. La plupart sont retenus dans des prisons au Nord-est de la Syrie sous contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS). Une coalition dominée par les Kurdes et soutenue par les Occidentaux dont la France.

La France se veut un partenaire-clé du redressement du pays, tout en exigeant des garanties précises sur la gouvernance, la sécurité et la reconstruction.

En renouant le dialogue avec les nouvelles autorités syriennes, la France entend jouer un rôle central dans l’immense tâche de reconstruction après des années de guerre et de violences terroristes, soutenues en grande partie par les pays occidentaux.

Même si la diplomatie française n'est pas marginalisée en Syrie, mais son influence a été réduite, limitant l'impact des initiatives françaises. Néanmoins, la France reste un acteur clé dans les discussions internationales, notamment au sein de l'UE et des Nations Unies.

Cependant, le peuple syrien reste prudent envers l'Occident, ayant vu sa souffrance ignorée pendant 14 ans, ce qui a engendré une perte de confiance en Occident, en particulier dans la capacité de la France à soutenir concrètement le peuple syrien.

Ghorbanali Khodabandeh est un journaliste et analyste politique iranien basé à Téhéran.

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