Frappes aériennes de Balakot : une analyse des images satellite

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Frappes aériennes de Balakot : une analyse des images satellite

Le 14 février dernier, une attaque terroriste a fauché 40 membres des forces de police indiennes à Pulwama. Elle a été revendiquée par Jaish e-Mohammed, le groupe jihadiste qui avait attaqué le Parlement indien en 2001 et tenté d’assassiner le président pakistanais en 2003. En représailles, l’Inde a bombardé ce qu’elle considère être le siège de cette organisation au Pakistan. JeM est activé lorsque les relations Inde-Pakistan s’améliorent. Pour Great Game India, ce bombardement par l’Inde semble être une fausse opération sans victime, ce que semble confirmer la libération par le Pakistan du pilote d’un avion indien abattu.

En représailles suite à l’attaque de Pulwama [1], des avions de chasse indiens ont mené des frappes contre des cibles sur territoire pakistanais incontesté, cependant des éléments de preuve de source ouverte ont suggéré que ces frappes n’ont pas atteint leur objectif.

Aux environs de 3h30 heure locale le 26 février 2019, une escadrille de 12 chasseurs multi-rôles Mirage 2000 aurait [2] attaqué des sites du groupe terroriste Jaish e-Mohammed (JEM) près de la ville de Balakot dans le district de Mansehra au Pakistan. En nous appuyant sur des éléments de preuve de source ouverte, nous sommes parvenus à géolocaliser le site de l’attaque et produire une évaluation préliminaire des dégâts.

Si la plupart des sources [3] estimaient sur le moment que les frappes avaient eu lieu dans la ville pakistanaise de Balakot, d’autres [4] les situaient sur le « sommet de Jaba », probablement une référence à une montagne près du village de Jaba à environ 10 kilomètres au Sud de Balakot.

Identification

Le 26 février aux aurores, un porte-parole des Forces armées pakistanaises, le major-général Asif Ghafoor, a tweeté des images de ce qu’il a déclaré être la zone d’impact des bombes indiennes.

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Ghafoor a affirmé que les bombes avaient été larguées précipitamment et avaient explosé dans une zone inoccupée. Les images immédiates semblaient corroborer cette affirmation car elles montraient une zone boisée et dénuée de structure endommagée.

Sur deux de ces photographies figurent notamment des fragments des munitions ayant été supposément larguées par les chasseurs indiens. Sur l’une de ces images semble figurer un ensemble d’ailettes d’empennage et une autre ce qui semble être un élément du système de ciblage.

La photographie la plus identifiable est celle des ailettes qui ressemblent de près à celles des munitions à guidage laser (PGM) SPICE-2000 produites en Israël. Les SPICE emploient les coordonnées INS/GPS pour la navigation autonome et des têtes chercheuses électro-optiques pour l’identification des cibles et la navigation terminale. D’après Rafael, le fabriquant des PGM de la gamme SPICE, le capteur électro-optique établit une correspondance entre la scène et des images pré-chargées pour l’acquisition d’objectif et la direction.

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Eléments de bombe comparés à un modèle de SPICE 2000 parmi d’autres produits Rafael montés sur un modèle de F-16 lors du show aérien de Paris.
Source : AIN Online/archive

Les rapports initiaux indiquaient que des Mirage 2000 avaient largué des bombes d’une tonne sur leurs cibles, ce qui correspond au poids des SPICE 2000. Cela a été confirmé par des rapports ultérieurs [5] stipulant [6] que le SPICE 2000 avait été utilisé pour les frappes. Ces munitions sont compatibles avec les avions de chasse, ce qui donne de la crédibilité à cette affirmation.

Site des frappes

L’Inde a déclaré [7] que les frappes avaient eu lieu en territoire du Kashmir administré par le Pakistan, près de la ville de Jaba qui a été en grande partie détruite, entraînant la mort de centaines de militants.

Les images satellite obtenues par Planet Labs Inc. le matin du 27 février remettent en question ces déclarations. Aucune preuve de dégâts sur ce site ou les zones avoisinantes n’est visible sur ces images. Les médias locaux se sont rendus sur le site et publié des photographies [8] de plusieurs petits cratères dans les environs, mais ils ne se sont pas vus autoriser l’accès au site qui était censé être la cible. Les images satellite présentées et analysées ci-dessous ne montrent aucune preuve apparente de dégâts plus étendus et en elles-mêmes ne valident pas les affirmations indiennes quant aux effets des frappes.

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Sites des frappes aériennes de Balakot

En analysant les zones de végétation dense sur les images, j’ai été en mesure d’identifier trois zones d’impact claires entre 150 et 200 mètres du périmètre du site. Cela correspond aux photographies communiquées par les journalistes locaux et confirme les lieux des frappes.

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Sites des frappes aériennes de Balakot

En plus des images publiées par le porte-parole des Forces armées pakistanaises, une séquence vidéo de la zone avoisinant les frappes a émergé et montre un second point d’impact. Dans cette vidéo figurent également des locaux parlant des frappes et affirmant qu’un seul homme a été blessé car il a été effrayé par l’explosion des bombes.

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La vidéo publiée sur les réseaux sociaux montrait une vallée similaire à celle communiquée par le porte-parole des Forces armées pakistanaises. Un seul groupe de bâtiments est visible au sommet de la crête montagneuse. Les images publiées par le professeur de l’université d’Uppsala et représentant à l’UNESCO Ashok Swain sur Twitter montrent un plan rapproché de ces bâtiments et offrent une vue plus claire de la zone.

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En utilisant ces images plus détaillées nous avons pu confirmer de manière concluante que ces frappes ont bien eu lieu près du sommet de Jaba. Une comparaison entre les groupes d’arbres et les bâtiments visibles sur les images a donné un résultat positif.

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Comparaison entre l’image satellite et la séquence vidéo sur le terrain

En utilisant ces informations nous avons par ailleurs été en mesure de vérifier que les images initialement communiquées par le porte-parole des Forces armées pakistanaises montraient le même site. Selon le schéma ci-dessous, la séquence vidéo aurait été filmée depuis la structure numéro deux, comme indiqué sur les vues satellite et sur le terrain.

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Comparaison entre l’image satellite et l’image sur le terrain

Dans un article publié immédiatement après l’attaque, le colonel indien retraité Vinayak Bhat semblait être d’accord avec ces conclusions et s’appuyait sur des images satellite [9] du même site.

Des prises de vue supplémentaires du site ciblé ont été publiées sur Twitter. Dans l’un de ces tweets, Asian News International (ANI) a publié une image de ce qui semble être une barrière et un poste de garde à l’entrée du site. Comme l’a également souligné Bhat, cette structure présentait une forte ressemblance avec les images satellite montrant un point sur la route menant au site.

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Comparaison entre l’image satellite et l’image sur le terrain

Le toit bleu associé au demi-toit recouvrant la route et le bord de route à droite ont contribué à la conclusion avec forte certitude que ces structures sont les mêmes.

Estimation des dégâts

Une autre vidéo du principal point d’impact nous a permis de mieux examiner l’étendue des dégâts. Cette vidéo montrait un vaste pan de zone boisée affecté par le bombardement mais aucun signe de structure endommagée ou de blessé.

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À l’examen des images satellite de Planet, un petit changement est visible dans la zone affectée, ce qui indique le point d’impact. Les images du 26 février n’étaient pas disponibles, mais une comparaison entre le 25 et le 27 février était possible et a permis une comparaison fiable des images de l’objectif avant et après les frappes.

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Images satellite de la zone ciblée avant et après l’attaque.
Source : @DFRLab via Planet Labs

Le changement visible sur les images montre des impacts uniquement dans la zone boisée et aucun dégât n’est visible sur les structures environnantes.

Conclusion

À l’aide d’éléments de source ouverte et d’images satellite, nous avons été en mesure de confirmer que le site des frappes aériennes indiennes était près de Balakot, plutôt que dans cette ville, et nettement en territoire pakistanais. L’objectif était censé être une madrassa dirigée par JEM, mais nous n’avons pas été en mesure de confirmer qu’une quelconque bombe a atteint les bâtiments qui y sont associés.

Les récentes tensions en l’Inde et le Pakistan ont été émaillées de désinformations des deux parties. La couverture par les médias locaux de faits et rumeurs non étayés, ainsi que les activités de trolls en ligne, ont compliqué le discernement de la réalité de la situation. Les images satellite suggèrent que les affirmations du ministère des Affaires étrangères indien faisant référence à « un très grand nombre » de militants tués lors des frappes sont probablement fausses.

La bombe SPICE-2000 est une munition guidée précise qui n’aurait pas dû rater son objectif d’environ 100 mètres, à savoir la distance entre les cratères d’impact et les structures les plus proches. La nature autonome de la SPICE-2000 ajoute du mystère à la raison pour laquelle les bombes semblent avoir raté leur cible. Les images satellite ne suggèrent pas que de quelconques dégâts ont été subis par les bâtiments avoisinants. La végétation et la faible résolution des images pourraient hypothétiquement obscurcir les dégâts structurels, mais cela reste très peu probable. Il semble que quelque chose s’est mal déroulé dans le processus de ciblage, mais quoi exactement, cela reste un mystère d’après les éléments de source ouverte dont nous disposons.

[1] Référez-vous au wiki de Great Game India sur l’attaque de Pulwama.

[2] “Pak reacts to 12 Mirage 2000 jets destroying terror camps across LoC”, DNA

[3] “Balakot : Indian air strikes target militants in Pakistan”, BBC, February 26, 2019.

[4] “Surgical strike on Pakistan : Exact target of IAF operation identified as Jaba Top ; air force carried out several hits around site”, First Post, February 26, 2019.

[5] “India used Israeli arms for strike inside Pakistan — report”, Judah Ari Gross, Times of Israel, February 26, 2019.

[6] “All about IAF’s SPICE-2000 bomb used in Balakot attack”, Shaurya Karanbir Gurung, Economic Times, February 27, 2019.

[7] “Indian Statement on the Strike on JeM training camp at Balakot”, by Sushma Swaraj, Voltaire Network, 26 February 2019.

[8] “At raid site, no casualties and a mysterious school”, Asad Hashim, Al-Jazeera, February 28, 2019.

[9] “This hill-top near Balakot is the possible location of the IAF’s strike on Jaish camp”, Colonel Vinayak Bhat, The Print, February 27, 2019.

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