Dinet et Ben Ibrahim proposent enfin une typologie de l’islamophobie, en distinguant l’«islamophobie pseudo-scientifique» et l’«islamophobie cléricale». Pour illustrer ces deux types d’islamophobie, ils ne donnent qu’un seul exemple: le livre L’islam de Samuel W. Zwemer, professeur d’histoire des religions à l’université de Princeton, dont la traduction des versets du Coran conduit le lecteur à croire que l’islam est une religion polythéiste… et qui contient un véritable appel à la guerre contre l’Islam. Selon eux, «lorsqu’un savant étudie un sujet, il se passionne pour lui et il lui découvre toutes les beautés imaginables» mais «[i]l n’est qu’une seule exception à cette règle, et c’est encore l’Islam qui en est victime. En effet, il existe aujourd’hui un groupe d’Orientalistes qui n’étudient la langue arabe et la religion musulmane que dans le but de les salir et de les dénigrer». Ces «savants oublieux des principes de la science impartiale» ont «comblé de joie les missionnaires, qui, de leur côté, ont redoublé d’ardeur prosélyte».
Ils poursuivent ainsi leur critique des orientalistes entamée dans L’Orient vu par l’Occident, où ils prennent pour cible les ouvrages du jésuite belge arabisant Henri Lammens et Mohammed et la fin du monde de Paul Casanova, professeur au Collège de France.
Quand La vie de Mohammed est traduite en anglais en 1918, le terme islamophobie est traduit par l’expression « feelings inimical to Islam» et ne migre pas à ce moment du français vers l’anglais. Il apparaît pour la première fois en anglais en 1924 dans une recension de L’Orient vu par l’Occident, mais l’auteur ne fait que citer Dinet et Ben Ibrahim et ne se réapproprie pas le terme. Il réapparaît en anglais seulement en 1976 sous la plume d’un islamologue dominicain d’Egypte, Georges C. Anawati, qui lui donne une toute autre signification que celle Dinet et Ben Ibrahim. Selon lui, la tâche de l’orientaliste non-musulman est d’autant plus difficile qu’il serait «obligé, sous peine d’être accusé d’islamophobie, d’admirer le Coran en totalité et de se garder de sous-entendre la moindre critique sur la valeur du texte».
L’orientaliste Anawati est un peu l’inventeur de l’idée, qui connaîtra un succès médiatique grandissant, de «chantage à l’islamophobie».