L'Islam et les musulmans ont un rôle très important dans l'évolution des idées philosophiques et politiques de l'Europe depuis longtemps. La plupart des grands penseurs européens sont d'avis que l'Europe a toujours profité des sources originales de la culture musulmane pour développer la civilisation européenne, en se servant des acquis scientifiques, techniques et intellectuels des musulmans.
De nos jours encore, les penseurs et les philosophes occidentaux accordent une importance toute particulière à la place et au statut de l'Islam et aux intérêts que les Européens portent à la religion musulmane. Au-delà des événements récents tels que les attentats du 11 septembre 2001, l'invasion américaine en Afghanistan, l'exagération en ce qui concerne le danger des Talibans et d'Al-Qaïda, qui ont attiré l'attention des Européens sur l'Islam et les événements concernant le monde musulman, il faut souligner l'intérêt exprimé par les penseurs européens pour mieux connaître le rôle de l'Islam et de ses aspects pragmatiques à l'intérieur des structures sociales et politiques du continent européen.
Par ailleurs, au-delà des points de vue anciens – pour ne pas dire désuets et archaïques – comme l'idée de l'établissement d'une culture laïque dans les structures sociales et politiques de l'Europe, aujourd'hui, le Vieux continent est témoin du développement et du progrès d'une "nouvelle identité" fondée sur le discours de l'Islam. En effet, ce discours propose un regard nouveau et plus réaliste sur le passé du continent européen.
Il est également à noter que les populations musulmanes résidant dans les pays membres de l'Union européenne (les musulmans représentent près de 10% de la population en France, ils constituent également des communautés minoritaires importantes dans d'autres pays européens) ne sont plus considérés aujourd'hui comme des communautés composées d'immigrés, car la quatrième (et parfois la cinquième) génération des musulmans sont désormais des citoyens à part entière et des Européens de confession musulmane. Les populations musulmanes peuvent, sans aucun doute, jouer un rôle de premier plan dans la vie sociale, politique et économique des sociétés européennes. En d'autres termes, il serait regrettable d'ignorer le poids des populations musulmanes au sein des sociétés européennes, et ce d'autant plus que le nombre des musulmans d'Europe ne cesse d'augmenter de jour en jour, causant une croissance démographique considérable.
Il est évident que les populations musulmanes introduisent de nouvelles revendications et de nouvelles exigences dans la sphère intellectuelle, sociale et politique de l'Europe. Il est certain que ces nouveaux éléments seraient très importants pour les systèmes européens.
La nouvelle configuration sociale et économique de l'Europe et le développement des frontières de l'Union européenne vers les pays à majorité musulmane comme l'Albanie et la Turquie, ont conduit les Européens à essayer d'établir une nouvelle interaction avec la culture et le discours islamiques. Par ailleurs, l'apparition et le développement de nouvelles relations politiques et économiques entre les pays membres de l'Union européenne avec les Etats musulmans, ainsi que la distance de plus en plus remarquable entre l'Union européenne et les Etats-Unis, ont tous contribué à la création d'un nouveau climat qui pourrait favoriser une nouvelle lecture de la question de la coexistence entre l'Islam et le christianisme. Pendant une période historique donnée, l'Europe a été dominé par la culture et la logique de la modernité qui se fondait sur le développement et l'expansion du capitalisme et de la domination de la classe capitaliste. Pendant cette période, l'Europe s'est emprisonnée dans le cadre strict des règles de la modernité. A bien des égards, le modernisme était parfois plus obscurantiste que la culture du Moyen-Âge. Le modernisme a sérieusement porté atteinte à l'esprit et à l'âme de la spiritualité en Europe. Il a fondé le nouveau système de distribution du travail et le machinisme, éloignant les hommes de leur origines spirituelles et morales. Cependant, l'ère du rationalisme européen n'a pas anéanti totalement les fondements de la religiosité et de la spiritualité dans le Vieux continent. Il est vrai que le rationalisme était le principal noyau du modernisme, mais l'esprit moral et le spiritualisme ont pu subsister en Europe, sous forme d'un discours philosophique et ethnique.
Dans ce cadre, nous pouvons dire que certains thèmes des écoles philosophiques de Hegel, de Kant et des penseurs et des philosophes post-modernes ont contribué à la sauvegarde des fondements spiritualistes, pendant la période du modernisme, en essayant d'émanciper les Européens du machinisme.
Paradoxalement, le point fort et le talon d'Achille du modernisme étaient le rationalisme. En réalité, les penseurs et les philosophes post-modernes ont réussi à prouver que le principe du rationalisme n'était pas parfait et irréprochable comme le prétendait les partisans du modernisme européen. Cette prise de conscience, qui s'était manifesté sous forme du rationalisme, avait permis aux Européens de se libérer du spectre de l'obscurantisme et des superstitions d'antan, en plaçant la culture générale à un niveau plus élevé. La logique moderne et la philosophie des Lumières avaient ouvert la voie vers le progrès et le bien-être matériel des habitants du continent européen. Mais l'approche dominante et unilatérale du rationalisme a considérablement affaibli les piliers et les fondements de la spiritualité et de la religiosité dans le Vieux continent.
La culture moderne et le rationalisme avaient appris, certes, aux Européens de pouvoir dominer leur environnement et maîtriser la nature, pour pouvoir déterminer eux-mêmes leur sort dans la vie matérielle. Ils sont arrivés à dominer la nature pour assurer leur progrès et leur développement, et atteindre un niveau plus élevé de la vie matérielle. Cette approche moderne leur a permis indiscutablement d'aplanir le chemin vers le progrès et le développement de l'humanité tout entière, mais dans le même temps, le rationalisme et le modernisme ont barré la route vers l'élévation et la perfection spirituelles. Les approches unilatérales du modernisme ont engendré de grandes et profondes crises structurelles dont le point culminant était la crise du nihilisme.
Le nihilisme était une conception quasi-philosophique qui niait les critères de base de la raison et du rationalisme. Mais il ne pouvait pas, certes, libérer l'Europe des crises créées par le modernisme. En réalité, le recours au nihilisme ne pouvait que changer la forme de la question, sans pouvoir pour autant la résoudre, car le nihilisme souffrait, à son tour, de ses paradoxes fondamentaux. Par conséquent, le recours de l'Europe au nihilisme ne lui a pas permis de trouver une alternative appropriée pour les crises du rationalisme.
Au-delà des défis théoriques et pratiques du modernisme dans le Vieux continent, les Européens n'ont jamais cessé de fixer leur regard sur la vie et la pensée de leurs voisins musulmans. En effet, pendant plusieurs siècles, des milliers de livres et d'essais ont été écrits en Europe sur l'Islam, l'histoire des musulmans, la culture et la civilisation islamiques. Dans ces ouvrages, les penseurs européens se sont penchés, en adoptant des points de vue différents, sur les aspects particuliers de l'Islam, notamment sa véritable quête de la vérité, de la signification de la vie et de l'identité.
Dans le même temps, il y avait certainement certains penseurs européens qui ont essayé de falsifier les réalités de la culture et du discours islamiques, afin de pouvoir le défier en tant que qu'antagoniste culturel ou civilisationnel. Dans ce droit fil, certains penseurs européens ont avancé la théorie du choc des civilisations, en visant tout particulièrement la culture et la civilisation islamiques. Pendant longtemps, ils ont essayé par leurs méthodes intellectuelles et par leurs moyens propagandistes d'insister sur une lecture marginale et radicale de l'Islam, afin de ternir l'image de l'Islam et des musulmans. Cependant, cette conception erronée de la religion musulmane n'a jamais pu influencer l'esprit des Européens qui s'intéressaient de plus en plus aux pensées islamiques. En d'autres termes, malgré le pouvoir politique et les propagandes médiatiques qui se sont mobilisés pour ternir l'image de l'Islam et des musulmans en Europe, et en dépit des conflits sectaires t religieux qui se sont produits à des niveaux nationaux ou internationaux, aucune puissance n'a réussi à jeter aux oubliettes l'esprit de la vérité et de la spiritualité qui puise ses sources dans la nature innée des hommes et qui détermine leur sort.
Par ailleurs, il faut souligner que l'apparition de nouvelles formes de tendances religieuses et spirituelles en Europe, comme par exemple l'intérêt manifesté pour le bouddhisme, était la manifestation d'une volonté pour trouver une alternative capable de combler le vide spirituel des jeunes générations, afin d'empêcher en réalité le développement de l'Islam parmi les jeunes ; et ce d'autant plus que le nombre des jeunes musulmans pratiquants augmentait considérablement dans les sociétés européennes. Ceci étant dit, une nouvelle culture était en train d'émerger dans les pays membres de l'Union européenne. Il est vrai pourtant que dans la plupart des pays du Vieux continent, la constitution reconnaît le principe de la séparation entre la religion et l'Etat, ainsi que le principe de la laïcité. Cependant, sur le plan pratique, dans les systèmes européens résolument fondés sur la séparation entre la religion et l'Etat, la question de l'Islam et des musulmans a pris de plus en plus une importance considérable, notamment en ce qui concerne les exigences et les revendications de la nouvelle génération des musulmans européens.
La nouvelle génération de penseurs, d'intellectuels et de philosophes européens s'intéresse au fur et à mesure aux nouvelles et aux informations portant sur les cérémonies et les manifestations rituelles et culturelles des musulmans en Europe, comme par exemple les fêtes de Fitr (marquant la fin du mois de jeûne) ou de sacrifice (marquant la fin des cérémonies du Hadj), etc. Dans le même temps, les médias diffusent les informations portant sur la visite des personnalités politiques officielles aux mosquées des musulmans européens. Après l'approbation du traité de Maastricht pour examiner le traité de la création de l'Union européenne, un calendrier a été établi pour l'adhésion de nouveaux membres à l'Union européenne. En ce qui concernait les pays du centre et de l'est de l'Europe, il fallait attendre jusqu'en 2004. Dans le même temps, la demande de la Turquie pour adhésion à l'Union européenne a donné une impulsion à la réflexion sur la place et le statut de l'Islam en Europe. En réalité, face au discours de l'Islam, le modernisme et les fondements théoriques de l'universalisme de la morale capitaliste, le protestantisme et le christianisme ont dû adoucir leurs positions pour accepter finalement qu'il faut créer des occasions nécessaires pour que les deux discours différents – et parfois contradictoires – de l'Islam et de l'Occident puissent dialoguer sur un pied d'égalité. Pourtant, le dialogue que certains milieux envisagent d'établir avec l'Islam et les musulmans, serait un dialogue inéquitable de sorte qu'une partie puisse s'imposer d'une position de force à son adversaire. Par conséquent, ils imaginent encore les moyens qui pourraient, selon eux, leur permettre d'imposer la domination et la suprématie de l'Occident sur l'Orient, et du christianisme sur l'Islam.
En général, deux commentaires et deux lectures différentes de l'Islam sont présentés dans le monde occidental. Dans le premier commentaire, l'interprétation de ce qui se passe à l'intérieur du monde de l'Islam est fondée sur l'examen des tendances radicales de différents groupes extrémistes et radicaux (comme les Talibans). Dans cette approche, l'accent a été mis sur le fait que les crises sociales et politiques qui existent dans les pays musulmans puisent leur source dans les questions idéologiques.
Dans le deuxième commentaire, on présente un point de vue particulier basé sur une distinction logique et rationnelle entre "la vérité" et "la réalité" du monde de l'Islam. L'objectif de cette prise de position est de pouvoir enfin découvrir les vérités cachées de la religion musulmane et de la culture islamique. Les partisans de cette approche souhaitent pouvoir y découvrir des acquis qui leur permettraient de résoudre les crises nouvelles du monde occidental notamment sur les plans sociaux et moraux. Ils cherchent ainsi une alternative en islam pour reconstituer une nouvelle identité européenne, car ils sont conscients des dégâts subis par le monde occidental après la vague du nihilisme et de la philosophie de l'absurde.
Il est à noter ici que les mouvements radicaux qui optent malheureusement pour une interprétation violente des principes de la religion musulmane, essaient, en effet, de donner à leur action une apparence morale et religieuse. Ce radicalisme islamiste a donné, certes, des coups importants à l'image de l'Islam et des musulmans, et il est à l'origine de la mauvaise compréhension de l'opinion publique mondiale par rapport au monde de l'Islam. Cependant, ces mouvements radicaux n'ont jamais pu empêcher ou ralentir l'attention et l'intérêt que les gens portent de plus en plus à l'Islam.
Aujourd'hui, nous vivons une époque où une nouvelle identité européenne est en train de prendre naissance. L'Europe entre dans une nouvelle ère. Les frontières politiques s'effacent entre les pays du Vieux continent. Une nouvelle société est en train de naître. Il y a de plus en plus de gens qui parlent plusieurs langues différentes, ce qui témoigne d'une tolérance inouïe dans un niveau linguistique. Les Français ne s'interdisent plus de parler dans les langues étrangères. Les Allemands ne trouvent plus aucun inconvénient à parler la langue anglaise. Cette tolérance linguistique ouvre le chemin vers une coopération linguistique parmi les pays européens pour créer une grande société "multilingue". Les pays européens décident de créer des chaînes de télévision communes pour diffuser les mêmes émissions télévisées en deux ou plusieurs langues. Cela nous montre que non seulement les frontières politiques sont en train de disparaître parmi les pays du Vieux continent, mais que les nations européennes sont aussi pour la disparition des frontières culturelles et idéologiques qui les séparaient les uns des autres, afin de pouvoir fonder une nouvelle société européenne.
La même logique domine dans les questions concernant la religion et les croyances spirituelles. Nous sommes maintenant très loin de l'époque des conflits historiques entre les catholiques et les protestants. Les peuples européens semblent se libérer des conflits religieux et des guerres sectaires. En réalité, la disparition des frontières politiques entre les pays européens va également dans le sens de la formation d'une grande société marquée par la "diversité religieuse". Il est à noter que l'histoire de la tolérance religieuse en Europe, au moins du point de vue théorique, remonte à la Renaissance et à l'époque de l'apparition du capitalisme moderne dans la civilisation occidentale. Mais aujourd'hui, cette tolérance religieuse prend une signification tout à fait concrète par la disparition des frontières nationales entre la France catholique et l'Allemagne protestante. En outre, les éléments qui risquent de créer des conflits interconfessionnels entre les catholiques et les protestants n'existent plus.
Dans le même temps, après la demande de deux pays musulmans, à savoir la Turquie et l'Albanie, d'adhérer à l'Union européenne, on se pose sérieusement des questions sur la possibilité d'une coexistence pacifique entre l'Islam et le christianisme dans la sphère européenne. Les questions sont nombreuses : Est-ce que la laïcité qui domine aujourd'hui l'esprit des lois fondamentales dans les pays européens pourra empêcher les jeunes filles musulmanes de garder leur voile islamique dans les établissements scolaires ou dans les lieux publics ? Il n'est pas facile de répondre à cette question lorsqu'on sait qu'aujourd'hui des millions et des millions de citoyens européens sont de confession musulmane. Jusqu'à quand la laïcité européenne pourra-t-elle résister à la volonté des jeunes femmes musulmanes et européennes qui souhaitent respecter leurs croyances religieuses en mettant le Hidjab ?
En tout état de cause, l'Europe ne pourra plus nier longtemps le processus de formation d'une nouvelle identité, celle des millions de citoyens musulmans qui vivent dans le vieux continent. Il ne s'agit pas seulement d'accorder quelques droits à une minorité religieuse, dans les domaines individuels et collectifs. Par contre, l'Europe doit se préparer à la présence d'une identité, d'une culture et d'un discours puissants et revendicateurs. Pour apporter une réponse logique et adéquate à cette question, il faut examiner toutes les voies permettant une coexistence parfaite entre les chrétiens et les musulmans.
Les victoires électorales successives des musulmans modérés aux scrutins parlementaires et présidentiels de la Turquie posent de nouvelles questions aux partenaires européens d'Ankara. La Turquie insiste toujours à ce que sa demande d'adhésion à l'Union européenne soit acceptée. Quelle sera alors la place des citoyens musulmans au sein de l'Union européenne ? Pour ne pas donner une réponse claire et nette à cette question importante, certains milieux tentent de reporter l'examen de la demande d'adhésion de la Turquie, pour ne pas être obligé ensuite d'établir un calendrier précis pour le processus d'adhésion de ce pays musulman à l'Union européenne. Par ailleurs, sur le plan purement théorique, il n'y a aucun obstacle devant ce processus, à condition, certes, que la Turquie puisse se conformer aux normes déterminées par l'Europe. En effet, l'adhésion éventuelle de la Turquie à l'Union européenne dépend du bilan que ce pays doit présenter dans un délai déterminé, dans le domaine de la politique, de l'économie et des droits de l'homme.
La question de l'Islam et des musulmans et leur place dans la nouvelle configuration de l'identité européenne ne se pose pas uniquement au niveau des citoyens européens de confession musulmane ou de la demande d'adhésion des pays à majorité musulmane à l'Union européenne. En effet, avec l'entrée des pays de l'Europe de l'est à l'Union européenne, l'Europe s'approche géographiquement du monde de l'Islam. En outre, avec une adhésion éventuelle de la Turquie à l'Union européenne, cette dernière aura des frontières communes avec des pays comme l'Iran, l'Irak et la Syrie. Dans un tel contexte, les pays pétroliers du Moyen-Orient auront une importance plus grande qu'aujourd'hui pour les Européens sur les plans politiques, stratégiques et économiques. Dans le même temps, la question d'une interaction culturelle se posera sous une nouvelle forme entre les Européens et leur environnement composés de peuples musulmans.
Il n'y a aucun doute que la configuration de l'interaction entre l'Europe et le monde musulman dépendra en grande partie du comportement et de l'action culturel des pays musulmans qui auront des frontières communes avec l'Union européenne. Les Européens ne pourront plus avancer leurs principes de la "laïcité" en tant que condition préalable pour établir des relations différentes avec d'autres pays du monde, car ils sont parfaitement conscients de la présence et du rôle des musulmans dans le monde contemporain. Par conséquent, dans leurs nouvelles configurations sociales et culturelles, les Européens ne pourront plus nier l'importance du discours islamique qui est en train d'engendrer une nouvelle quête d'identité. Dans ce contexte, les centres de décision politique en Europe se donne pour mission de découvrir un mécanisme approprié pour établir une interaction positive avec les citoyens européens de confession musulmane d'une part, et avec les pays islamiques, de l'autre. Par ailleurs, les capacités spirituelles et morales de la religion musulmane qui présente un programme complet pour la vie sociale et politique des citoyens attirent de plus en plus l'attention de nombreux citoyens non musulmans des pays européens, de sorte que les fondements du principe de la laïcité et de la séparation entre la religion et l'Etat semblent être ébranlés par la présence et le rôle des musulmans. Les autorisations qui sont émises dans les pays européens pour la construction de grandes mosquées équipées de centres culturels et sociaux (bibliothèque, salle de conférence, centre d'informatique, salle de lecture, etc.) sont des signes d'un changement important au niveau de la "politique" intérieure dans les pays du Vieux continent, par rapport aux communautés musulmanes. L'émission officielle de l'autorisation de la formation des associations islamiques dans les pays européens montre que l'Europe est en train de trouver des mécanismes adéquats pour favoriser le dialogue avec les citoyens de confession musulmane. Autrefois, les lois et les normes de la laïcité, ainsi que les législations portant sur l'interdiction des activités sectaires, étaient considérées comme les facteurs favorisant le renforcement de la position du christianisme au détriment, surtout, des communautés musulmanes dans les pays européens. Cependant, il faut admettre qu'aujourd'hui, la laïcité semble devenir plus souple en ce qui concerne les questions politiques et sociales.
En outre, il faut mettre également l'accent sur le développement des capacités économiques des communautés musulmanes dans les pays européens. Les villes d'Europe connaissent de plus en plus l'ouverture de centres commerciaux qui appartiennent aux musulmans ou qui sont gérés par les citoyens musulmans. Dans ces centres commerciaux, les musulmans appliquent leurs propres règlements, ce qui les transforme en foyers de commerce et d'échange parmi les musulmans de toute l'Europe. La croissance démographique des communautés musulmanes en Europe et le dynamisme des membres de ces communautés dans divers domaines ont profondément bouleversé les anciennes relations qui existaient autrefois entre l'Islam et le christianisme. De profondes évolutions ont eu lieu dans le domaine des pensées sociales et des croyances générales. De nos jours, plus que jamais, l'Union européenne a besoin de définir très clairement une nouvelle identité européenne, en tenant compte d'une nouvelle conception du discours islamique et de la culture des musulmans.
Par ailleurs, le nouvel ordre mondial sur les plans politique et économique, et l'effondrement de la théorie de l'ordre mondial unipolaire avec le leadership des Etats-Unis, renforcent la place et le statut de l'Union européenne sur une échelle planétaire. La formation d'une Europe unie, en tant qu'un pôle important du système mondial, dépendra largement des relations et des interactions que l'Union européenne établira avec le monde de l'Islam. Il est à noter que traditionnellement, les pays européens ont des relations plus étroites avec les pays musulmans, par rapport aux Etats-Unis. Les Européens entretenaient des liens et des relations proches avec les pays musulmans du nord de l'Afrique, les pays musulmans du Moyen-Orient et de l'Asie centrale. Cela a donc permis aux Européens d'acquérir une connaissance plus profonde de l'Islam et de la culture musulmane. Grâce à cette proximité et ce rapprochement, les nations européennes sont conscientes du fait que pour avoir une présence active sur la scène des relations internationales, elles auront besoin d'avoir de bonnes relations d'abord avec les peuples et les gouvernements des pays islamiques.
Ces relations ne se limitent pas seulement au niveau des relations politiques et diplomatiques, telles qu'elles sont définies dans les normes et lois internationales. Elles doivent comprendre également les différents aspects des relations sociales, culturelles et idéologiques. C'est la raison pour laquelle l'Union européenne est en train de réfléchir sur la possibilité d'une nouvelle définition de ce qui doit être "l'identité européenne" tant au niveau national (c'est-à-dire dans les pays membres) qu'au niveau de l'Union européenne et sur la scène des relations internationales. Dans cette nouvelle définition de l' "l'identité européenne", il est nécessaire que les dirigeants de l'Union européenne se rendent compte de l'importance des mécanismes et des méthodes qu'ils doivent trouver pour établir une très bonne interaction avec les citoyens européens de confession musulmane, d'une part, et avec les peuples et les gouvernements des pays islamiques, de l'autre.
Dans la grande société multinationale de l'Europe unie, les frontières linguistiques, religieuses et culturelles sont en voie de disparition. Ceci étant dit, le terrain devient de plus en plus favorable à l'établissement d'un dialogue constructif entre l'Europe et le monde de l'Islam. Cela dépend directement du type des interactions culturelles qui vont s'établir entre l'Europe et l'Islam. Une approche réaliste des Européens par rapport aux réalités du monde musulman pourra préparer le terrain à l'établissement du dialogue entre l'Islam et le christianisme, entre la civilisation occidentale et la civilisation islamique.
Les pays de l'Europe occidentale ont déjà ouvert leurs portes sur les autres cultures et les autres civilisations. Les citoyens de ces pays font preuve d'une ferme volonté pour mieux connaître les autres. De nos jours, l'Islam et les musulmans ne constituent plus "l'Autre" historique et ancestral des cultures européennes. Par contre, l'Islam et les musulmans sont des réalités indéniables à l'intérieur de la sphère européenne, que les dirigeants de l'Union européenne doivent absolument connaître pour augmenter l'efficacité de la construction européenne dans sa nouvelle configuration politique, économique et culturelle. Dans ce sens, le temps est arrivé pour que l'Union européenne se donne à la révision des lois archaïques et traditionnelles qui interdisent ou limitent les champs d'activités des citoyens de confession musulmane dans les pays du Vieux continent. Cette révision pourra permettre au système politique et social de l'Europe de bénéficier à son tour des enseignements moraux et spirituels de la culture islamique.
Aujourd'hui, le comportement et le mode de vie des populations musulmanes prennent une importance toute particulière. Le développement des moyens de communication et l'essor vertigineux des réseaux d'information assurent une transmission très rapide et très complète des comportements de toutes les populations à travers le monde. En d'autres termes, ce qui se passe sur les plans politiques et sociaux à l'intérieur du monde de l'Islam est transmis au monde entier par les médias et les réseaux d'informations. Ce sont les informations et les images qui façonnent le visage de la culture islamique aux yeux des habitants du monde. Dans ces circonstances, les penseurs et les intellectuels religieux ont une très lourde responsabilité pour la relecture des notions et des concepts religieux pour défendre de façon logique et rationnelle la religion musulmane et les intérêts des populations islamiques.
Le penseur et l'intellectuel musulmans sont les moteurs de la liberté de pensée et de conscience au sein d'une société religieuse. Ils doivent donc essayer de dénoncer et de critiquer les défis et les insuffisances qui pourraient exister dans la sphère sociale afin de pouvoir refléter pratiquement les modèles sociaux de la religion musulmane. Il leur incombe donc d'adopter une vision profonde en ce qui concerne la religion et ses fondements, afin de pouvoir rendre opérationnels les principes de l'Islam et de produire également les pensées religieuses adaptées aux impératifs du monde contemporain. L'intellectuel Zeki Milad, qui a un regard pessimiste par rapport au rôle des penseurs et des intellectuels dans les sociétés musulmanes, a écrit dans l'un de ses ouvrages:
"Bien que les intellectuels aient les connaissances spécialisées pour utiliser les instruments de connaissance, les techniques de recherches et les méthodes de pensée, leur approche à l'égard de la religion et du fait religieux reste toujours ambiguë et incertaine. Cependant, il y a des intellectuels musulmans qui confondent apparemment l'Islam avec les religions de l'Antiquité dans les pays de l'Orient. Suite à ce problème d'approche, ils sont arrivés à la conclusion qu'ils doivent porter un regard mythologique sur l'Islam et qu'ils doivent classifier l'Islam au rang des études mythologiques. Cette confusion est due, en grande partie, au fait que de nos jours, la mythologie est devenue très à la mode et qu'elle gagne du terrain même dans les études et les recherches philosophiques, culturelles, littéraires et toutes les disciplines des sciences humaines. Par ailleurs, il y a des intellectuels musulmans qui s'efforcent d'adapter leur lecture de la religion à l'expérience de l'Europe avec le christianisme et l'église. Or, si l'intellectuel occidental enrichit sa réflexion sur la religion par son expérience historique, il s'appuie sur une connaissance parfaite de l'histoire de l'Europe et de l'église ; connaissance qui fait défaut, en général, à l'intellectuel musulman : le défi entre la religion et la science (positivisme), la religion et le progrès, la religion et le sécularisme, la religion et l'Etat, la religion et la politique, etc. Ces défis historiques et culturels ont produit des acquis intellectuels très profonds en Europe, depuis des siècles. L'intellectuel européen a été condamné, pendant des siècles, à organiser sa pensée dans le cadre de l'expérience historique de l'Europe. Cela lui permet alors de se donner raison d'adopter une approche ambiguë, controversée et polémique à l'égard de la religion."
Il nous semble que Zeki Milad a oublié, dans ses analyses, qu'il y a aussi un autre groupe d'intellectuels religieux dans le monde de l'Islam, qui ont une connaissance vaste et profonde des concepts et des enseignements de la religion, et qu'ils sont capables, en même temps, de présenter un analyse sociologique des évolutions de l'histoire de l'humanité. Ces intellectuels que Zeki Milad semble ignorer dans sa classification, s'efforcent, pour leur part, de présenter une compréhension nouvelle et dynamique de la religion afin de proposer une nouvelle "identité" à leur société.
Dans les pays musulmans, les intellectuels religieux peuvent mettre l'accent sur les affinités et les points communs, au lieu d'insister sur les divergences et les discordes. L'adoption d'une telle démarche leur permettra de reconnaître l'identité nationale-religieuse de leur société, d'apporter des réponses adéquates aux défis avec lesquels est aux prises la communauté internationale, en quête de la vérité et de la spiritualité. Les intellectuels religieux doivent essayer de surmonter les obstacles et de relever les défis de l'homme contemporain face aux ténèbres du modernisme et l'instrumentalisation de l'homme, afin d'éclairer le chemin de l'humanité.