La Révolution islamique a créé un discours anti-hégémonique

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La Révolution islamique a créé un discours anti-hégémonique

Par Xavier Villar

Le retour triomphal de l'Imam Khomeiny en Iran le 1er février 1979, après 15 ans d'exil, a marqué la glorieuse victoire de la Révolution islamique. 44 années se sont écoulées depuis cet événement historique.

Il est important de regarder au-delà de la chute de la dynastie Pahlavi soutenue par l'Occident afin de comprendre toute la signification politique de la grande révolution menée par l'Imam Khomeiny.

La Révolution islamique a été avant tout un mouvement contre le paradigme eurocentrique, un mouvement politique qui a déplacé le cadre orientaliste et sa vision des musulmans comme des êtres sans pouvoir.

L'anti-eurocentrisme de la révolution de 1979 se manifeste dans les tentatives du nouveau gouvernement de Téhéran d’éliminer l'influence de l'Occident au sein de la société iranienne.

On peut dire, en d'autres termes, que l'idéologie occidentale, politiquement incarnée par le Shah, était vue par la grande majorité des Iraniens comme un zombie politique. Un discours qui n'a eu et n'a pas de preneurs.

Nous pouvons décrire la Révolution islamique comme la première révolution qui n'a pas suivi le modèle occidental, et à cause de cela, les érudits et experts occidentaux ne l'ont pas prévenue. 

Le meilleur exemple en est le livre écrit par Fred Halliday à la veille de la révolution. L'auteur a prédit un certain nombre de résultats pour l'Iran [après sa révolution, ndlr], y compris un régime militaire, le maintien de la monarchie et même une république socialiste, mais n'a pas mentionné la possibilité d'un gouvernement islamique.

Que la possibilité d'une révolution islamique n'ait même pas été mentionnée peut nous aider à comprendre pourquoi l'Occident ne peut pas voir l'islam à travers un prisme politique. En d'autres termes, la possibilité d'utiliser le modèle islamique comme outil d'émancipation était, et est toujours, impensable pour l'Occident.

La Révolution islamique a été un processus politique, qui a créé l'identité islamique, une identité enracinée dans une longue tradition de résistance anticoloniale. Cette identité n'a rien à voir avec le modèle occidental du marxisme ou de la libération nationale.

Grâce à ce modèle alternatif, la révolution a pu donner une réponse à la question musulmane: comment les musulmans peuvent-ils vivre politiquement dans le monde actuel ?

Le principal succès de la révolution a été le décentrement épistémique de l'Occident. Ce décentrement a permis la formation de différentes manières d'être au monde. Ces voies politiques alternatives avaient été réprimées par les puissances hégémoniques en Occident et par la figure de l'humain-occidental.

La révolution dirigée par l'Imam Khomeiny a ouvert la voie à une participation politique des musulmans.

La révolution en est venue à représenter une critique de l'Occident en tant que modèle universel. Ce n'était cependant pas une réfutation point par point de l'idéologie occidentale, elle imaginait un horizon post-occidental, un horizon où les musulmans pourraient vivre en tant que musulmans.

Cet horizon post-occidental signifie que les musulmans ont la capacité de se décoloniser et de réaligner leurs sociétés dans l'histoire islamique. Nous ne pouvons pas comprendre cette décolonisation en termes nationaux.

En fait, la révolution, suivant les préceptes établis par l'Imam Khomeiny, a lancé une identité politique musulmane qui allait au-delà des identifications nationales et sectaires.

La décolonisation n'était pas simplement l'acte de libérer l'Iran de la domination coloniale indirecte, mais aussi de démanteler l'ordre colonial mondial.

Les musulmans peuvent être politiques et ils peuvent agir de manière politique, sans chercher à se greffer sur l'histoire occidentale. Le modèle occidental ne peut pas remplir tout le champ politique. Ce manque de plénitude signifie que la politique peut s'exprimer dans un autre langage et une autre manière d'être humain.

Cela signifie aussi que le discours hégémonique n'est en réalité qu'une articulation, et pas la dernière.

La Révolution islamique et la République islamique peuvent être considérées comme des « haut-parleurs » pour l’Oummah. Une Oummah qui avant 1979 était dans un état que l'on peut qualifier de « sans-abrisme politique ».

L'unité musulmane, une idée qui était à l'origine de la révolution, explique pourquoi la République islamique fonctionne aujourd'hui comme un foyer politique pour l’Oummah. Une grande puissance islamique qui défend l'ensemble de la classe politique contre les menaces de l'Occident.

On parle ici d'un projet oummatique, qui se veut inclusif. Une grande puissance islamique doit être inclusive parce que ce foyer politique pour les musulmans ne peut pas parler avec une voix nationale-sectaire.

C'est une autre caractéristique pertinente à la fois de la révolution et de la République islamique. Une vision « post-mazhabi ». Une vision qui veut construire une identité musulmane indépendamment des frontières nationales ou confessionnelles.

Nous devons garder à l'esprit que l'État-nation a une généalogie coloniale. Une généalogie qui bloque les tentatives d'identification de l'islam comme point nodal de l'identité politique.

La vision oummatique et « post-mazhabi » se perd lorsque l'on analyse la révolution dans une perspective laïque. La laïcité n'est pas seulement l'absence de religion ou l'exclusion de la religion de l'espace public. La laïcité est un projet normatif, qui construit ses propres limites.

Ce n'est ni naturel, ni l'aboutissement d'une sorte de processus historique. C'est un outil de discipline, une modalité politique qui sanctionne certaines sensibilités et pensées politiques et en même temps exclut d'autres possibilités.

La laïcité est aussi un outil « racialisant ». À travers elle, certains groupes ou populations sont catégorisés comme « extrémistes » tandis que d'autres sont vus comme « modérés ». La révolution a stoppé ce processus de racialisation.

La participation politique des musulmans [lancée par l’Imam khomeiny] signifiait aussi qu’être politique différait d’être laïque.

Un exemple en est, par exemple, l'émergence de mouvements de résistance comme le Hezbollah (Liban) ou le Hamas (Palestine), mouvements qui ne suivent pas la rhétorique occidentale dans leurs déclarations politiques. La présence de ces mouvements ainsi que l'existence de la République islamique montrent que le « politique » s'est ré-articulé autour du modèle islamique.

L'événement réussi a créé un mouvement anti-hégémonique qui se projette dans l'avenir. L'Axe de la Résistance est le meilleur exemple des graines politiques semées par la Révolution islamique de 1979.

Pour comprendre la Révolution islamique, il faut comprendre le rejet du modèle occidental, et comment ce rejet, conjugué au décentrement de l'Occident, a facilité le développement d'une vision politique qui ne suivait pas les relations horizontales et hiérarchiques promues par l'Occident. .

Le véritable succès de la révolution de 1979 menée de front par l'Imam Khomeiny a été que la rhétorique islamique est devenue la rhétorique politique de choix dans le monde musulman.

Xavier Villar est docteur en études islamiques et chercheur qui partage son temps entre l'Espagne et l'Iran.

(Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de Press TV)

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