Des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans toute la France dans 120 rassemblements pour manifester contre le racisme systémique et les violences policières, une mobilisation portée depuis plus d’un mois par les organisations de gauche et encadrée par un important dispositif de sécurité.
À la suite de la mort de Nahel en juin, une centaine d’associations, des syndicats et des partis politiques avaient appelé à se mobiliser ce samedi 23 septembre 2023 pour une marche de protestation contre les violences policières. Près de 120 rassemblements étaient organisés partout en France. Ils étaient 80 000 manifestants à travers le pays selon la CGI et La France Insoumise, contre 31 300 selon le ministère de l’Intérieur. Selon les organisateurs, des dizaines d’organisations, partis et syndicats, principalement de gauche, 15 000 personnes participaient à la manifestation parisienne. Les forces de l’ordre ont annoncé la présence de 9 000 personnes à Paris.
Le mot d'ordre de la manifestation, « dénoncer les violences policières », était martelé par des familles dont les proches auraient été tués par la police. La foule rassemblée scandait « Police partout, justice nulle part», « pas de justice, pas de paix » ou encore « justice pour Nahel ».
Le décès il y a trois mois de cet adolescent de 17 ans, tué à bout portant par un policier lors d'un contrôle routier à Nanterre, avait déclenché une vague de protestations dans tout le pays.
Le ministère de l’Intérieur avait mobilisé 30 000 policiers et gendarmes sur l’ensemble du territoire pour faire face aux manifestations.
Les manifestants, de tous âges, brandissaient des pancartes proclamant « Stop aux violences d'État », « Ni oubli ni pardon », ou encore « La loi tue », avec une statue figurant la justice aux yeux barrés de rouge.
Dans d’autres villes, le mot d’ordre des organisateurs « contre le racisme systémique, les violences policières et pour les libertés publiques » a également rassemblé des milliers de personnes.
Les manifestants pointent une dérive autoritaire du gouvernement, dont la police serait le bras armé. Raciste, violente, soumise au pouvoir, elle est de plus en plus dénoncée. Les organisations à l’origine de ces manifestations exigent des mesures concrètes : abroger la loi de 2017 qui assouplit les règles concernant l’usage des armes à feu par les forces de l’ordre, réformer en profondeur la police, notamment en ce qui concerne son armement et ses méthodes d’intervention.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi régissant l’usage de leur arme par les policiers, le nombre de tirs lors de refus d’obtempérer a sensiblement augmenté. Le nombre de personnes tuées par la police dans ces circonstances également, avec un record de 13 morts en 2022.
En outre, les organisateurs des manifestations de samedi demandent un vaste plan d’investissement, notamment dans les quartiers populaires, afin de rétablir les services publics.
Violence policière et racisme : maladie endémique de la société américaine et française
L’assassinat de Georges Floyd par un policier blanc américain a entraîné une large révolte aux États-Unis contre le racisme, un racisme profondément ancré dans la police américaine. Un racisme dont les noirs sont les principales victimes, mais qui touche aussi les autres minorités. Un racisme qui puise ses racines dans une longue histoire des violences, qui fait système, de l’esclavage et du suprémacisme blanc.
Si l’arrivée au pouvoir de Trump a libéré plus encore la parole et les actes racistes, et fait office de « feu vert » à l’escalade de la violence raciste, il existe un continuum des violences policières racistes qui lui sont bien antérieures, dans un contexte de culture de l’impunité policière.
En France, les luttes contre l’impunité policière en matière de violence racistes, sont portées depuis de nombreuses années par les proches et les familles de victimes. Ils sont confrontées à la culture de l’impunité policière, qui s’appuie sur la partialité de la justice - très nombreux sont les classements sans suites, les non-lieux, les décisions de relaxes ou, dans le moins pire des cas, à des sursis pour les policiers mis en cause. Ils sont par ailleurs aux prises avec l’indifférence ou l’hostilité médiatique qui reprend avec complaisance les versions policières, ou encore l’hostilité de la majorité des courants politiques.
En réalité, en France comme aux États-Unis, le racisme policier fait système : c’est un racisme d’État hérité d’une histoire coloniale, qui repose sur une pratique de la violence policière qui touche les classes populaires dans leur ensemble, mais qui touche aussi principalement en leur sein les personnes noires, roms, arabes, musulmanes ou considérées comme telles. C’est pour cette raison que le combat contre le système raciste n’est pas simplement une affaire de bonne conscience humanitaire, mais un préalable nécessaire à l’unité face aux classes dirigeantes.
La pratique des violences policières est couverte par l’institution judiciaire, par les médias aux ordres du pouvoir, et par la classe politique. La récente proposition de loi d’E. Ciotti visant à interdire le fait de filmer les policiers en est l’une des illustrations, avec pour objectif d’empêcher toute collecte de preuve des violences.
Le succès de la marche de la dignité du 30 mai et de la manifestation du 2 Juin, à l’appel de la famille d’Adama Traoré et de son comité de soutien, qui ont réuni des dizaines de milliers de personnes à Paris et en région, marque le point de départ d’un renouveau des luttes populaires antiracistes. D’ores et déjà, elles ont imposé dans l’espace public la discussion sur les violences policières.
Selon une étude réalisée en France, un noir aurait 6,2 fois plus de risques d’être contrôlé qu’un blanc. Pour un arabe, la probabilité est 7,7 fois plus élevée. Des chiffres corroborés par une autre enquête, menée en 2016 par le défenseur des droits Jacques Toubon. Cette étude révélait que les personnes perçues comme noires ou arabes avaient 20 fois plus de probabilités d’être contrôlées qu’une personne blanche.
Violence policière : la France dans le collimateur des organisations internationales
En France même, les critiques se sont multipliées contre le recours à la force jugé excessif ces derniers mois envers les manifestants opposés à la réforme des retraites ou lors des récentes protestations consécutives à la mort de l’adolescent d’origine algérienne.
En juillet, le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) avait dénoncé la pratique « persistante » en France « du profilage racial combinée à l’usage excessif de la force dans l’application de la loi, en particulier par la police, contre les membres de groupes minoritaires, notamment les personnes d’origine africaine et arabe ».
Le premier mai de cette année, ce sont des États membres du Conseil des droits de l’homme qui ont exprimé leurs inquiétudes face aux violences policières et à la discrimination raciale en France.
« L’usage excessif de la force par la police lors de manifestations n’est pas nouveau en France », a réagi l’ONG Human Rights Watch. En décembre 2018 déjà, cette ONG avait documenté des blessures causées par des armes de la police lors des mobilisations des Gilets jaunes et de manifestations étudiantes, «notamment des personnes dont les membres ont été brûlés ou mutilés par l’utilisation de grenades lacrymogènes instantanées ».
Face à la situation en France, la Fédération internationale des droits humains (FIDH) a aussi tenu à rappeler que les États « sont tenus à s’abstenir du recours arbitraire à la force dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre. Ils ne peuvent y avoir recours qu’en dernier ressort. Et même dans ce cas, cela doit être fait de façon proportionnée, dans un objectif de maintien de l’ordre public et de sécurité. »
Selon les résultats d’un récent sondage, 7 Français sur 10 considèrent que le racisme est largement répandu au sein de la police.
Ghorban-Ali Khodabandeh est un journaliste indépendant et analyste politique iranien basé à Téhéran.