Même si la guerre continue de déchirer son pays, le président Bachar al-Assad peut déjà savourer une victoire, celle d’avoir vu les Occidentaux, qui menaçaient, il y a un an, de bombarder son pays et son armée, partager aujourd’hui sa vision du conflit: le terrorisme est la véritable source du danger et combattre ce phénomène est un devoir prioritaire.
Dès le début de la crise en Syrie, les Occidentaux ont parlé de «révolution pacifique», alors que le régime dénonçait une insurrection armée, animée par des groupes terroristes ultra-extrémistes. Washington, Paris, Londres et leurs alliés turcs et arabes ne voulaient rien entendre. Ils ont fourni un soutien politique, médiatique, financier, matériel et militaire aux rebelles, dans le but avoué de renverser le président Bachar al-Assad et son régime. Ils ont imposé des sanctions impitoyables à la Syrie et ont mis sur pied une gigantesque coalition internationale pour exécuter leurs plans. Ils ont fait la sourde oreille aux mises en garde de la Russie, de la Chine, des pays des Brics et de nombreux experts occidentaux sur le rôle essentiel joué par les extrémistes au sein de la rébellion. Bref, ils ont vécu dans le déni pendant plus de trois ans. Mais malgré tous leurs efforts, l’Etat syrien, dirigé par le président Assad, a fait preuve d’une remarquable résilience. Au lieu de revoir ses calculs, l’Occident a choisi la fuite en avant, en envisageant, il y a un an, de lancer une vaste campagne de bombardements aériens contre l’armée syrienne… avant de se rétracter.
Assad avait raison
Aujourd’hui, les faits sur le terrain, en Syrie et en Irak, prouvent que c’est Bachar al-Assad qui avait raison et non pas ses ennemis et ses détracteurs. Prenant comme couverture une contestation populaire légitime dans certaines de ses revendications, les groupes terroristes se sont infiltrés partout en Syrie, dès les premiers jours de la crise. Et grâce au soutien des Occidentaux, des pétromonarchies du Golfe et de la Turquie, ils sont devenus l’acteur principal sur le terrain.
Le retour du bâton ne s’est pas fait attendre. Les Occidentaux, avec à leur tête les Etats-Unis, reconnaissent désormais le danger que représente pour leurs sociétés l’«Etat islamique» (EI, ou daech), qui entraine des légions de ressortissants européens, américains et australiens, dans ses camps des déserts syrien et irakien. Autant de terroristes prêts à frapper au cœur même des capitales occidentales. Barack Obama a utilisé le mot «cancer» pour décrire «daech», appelant à son éradication avant qu’il ne se propage dans toute la région. Sans doute que la vidéo de la décapitation du journaliste James Foley a fini par le convaincre.
Mais seule une action concertée sur les terrains syrien et irakien est susceptible de défaire cette organisation obscurantiste. La Syrie, qui en est parfaitement consciente, appelle depuis le début à une coordination régionale et internationale pour combattre ce fléau des temps moderne.
La feuille de route de Moallem
Le ministre des Affaires étrangères, Walid Moallem, a déclaré, lundi, que «la Syrie est prête à une coopération et à une coordination sur le plan régional, international et bilatéral pour lutter contre le terrorisme dans le cadre de la résolution 2170 du Conseil de sécurité de l'Onu». S’exprimant lors d'une conférence de presse à Damas, le chef de la diplomatie syrienne a dit «ils sont les bienvenus», en réponse à un journaliste qui lui demandait si cette coopération englobait «les États-Unis et la Grande-Bretagne». «Il est naturel sur le plan géographique et pratique que la Syrie soit au centre d'une coalition internationale. S'ils sont sérieux, il faut qu'ils viennent vers la Syrie pour coordonner avec elle la lutte contre l'EI et al-Nosra.»
M. Moallem a toutefois précisé que si des avions américains menaient des raids en Syrie contre «daech» sans coordination préalable avec Damas, cela serait «une agression». Il n’a pas exclu, dans ce cas, que la défense antiaérienne syrienne tire sur ces appareils.
Le ministre a proposé une feuille de route pour cette coopération, basée sur les points suivants :
-L'assèchement des sources du terrorisme, notamment le financement et l'armement.
-Le contrôle des frontières par les pays limitrophes.
-Un échange de renseignements.
Le changement de ton des Occidentaux a été évoqué lors d’un long entretien téléphonique, lundi, entre M. Moallem et son homologue russe, Serguei Lavrov. Le chef de la diplomatie du Kremlin a appelé les Occidentaux et les pays arabes à surmonter leur mépris pour le président Assad et à s'allier à lui contre les jihadistes. «Je pense que les Occidentaux ont déjà pris la mesure de la rapide propagation de la menace grandissante», a-t-il déclaré. «Ils vont bientôt devoir déterminer ce qui est le plus important: un changement du régime syrien pour satisfaire des inimitiés personnelles et prendre le risque d'une détérioration de la situation au-delà de tout contrôle, ou trouver des moyens pragmatiques pour unir les efforts contre la menace commune», a commenté M. Lavrov.
Mais la première réaction de Washington montre que les Américains n’ont pas encore imaginé un moyen de sauver la face. Les porte-paroles du département d’Etat et du Pentagone ont tenu les mêmes propos: «Nous n’avons aucune intention de coordonner avec le régime syrien. Il n’y a aucun plan pour des discussions en profondeur avec le régime Assad sur ce que nous pourrions faire ou ne pas faire en Syrie».
Toutefois, des rapports de centres de réflexion proches de l’administration américaine ont révélé que des échanges de renseignements avaient lieu en ce moment entre Washington et Damas.
Coopération inévitable
Par ailleurs, de nombreux experts occidentaux parlent déjà de la victoire du président Assad. «Il est clair qu'Assad est dans une dynamique de victoire et qu'il va finir par l'emporter», a souligné Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et directeur du Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, dans une interview accordée à l’Agence britannique Reuters. «Bachar el-Assad n'est plus considéré aujourd'hui de la même manière qu'en août 2013», a de son côté déclaré Didier Billion, spécialiste Moyen-Orient et directeur adjoint de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). «On est revenu à un début de jeu diplomatique, il y a eu un changement substantiel puisque jusqu'alors personne ne voulait parler avec Bachar sauf ses soutiens», analyse le chercheur.
Le rétablissement du chef de l'État syrien «par rapport à une fin annoncée qui ne s'est pas produite est spectaculaire», déclare Bertrand Badie, expert en relations internationales, toujours à Reuters. «Par rapport à ce qu'on nous annonçait, la potence ou la Cour pénale internationale, effectivement, on en est loin», ajoute-t-il.
«Bachar el-Assad est aux premières loges pour combattre l'EI dont une partie des bases se trouvent en Syrie, explique Didier Billion. Ça va être compliqué de discuter avec Assad, c'est très déplaisant mais on n'y coupera pas.»
Plus le temps passe, plus «daech» renforce ses positions et son emprise sur les régions qu’il a occupé. La coopération avec Damas est inévitable pour combattre cette organisation. Les Occidentaux le savent pertinemment mais sont-ils prêts à l’admettre publiquement?