Moins d’une semaine après s’être rendu en personne en Irak, accompagné du ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, et du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, Hollande annonçait le 18 septembre, lors d’une conférence de presse, la participation de la France à une coalition sous commandement militaire américain et à des opérations aériennes en Irak contre les milices de l’État islamique (EI).
Le lendemain, 19 septembre, les avions Rafale décollaient de la base aérienne d’Al-Dhafra aux Émirats arabes unis et bombardaient pour la première fois le nord de l’Irak.
Après être intervenu au Mali en janvier 2013, en République centrafricaine en décembre de la même année, puis de nouveau dans la zone malienne en juillet 2014, le gouvernement de Hollande s’engage comme cinquième roue du carrosse dans une nouvelle guerre, au Moyen-Orient cette fois, avec le zèle que la gauche au gouvernement a toujours montré pour défendre les intérêts de l’impérialisme français.
Les va-t-en-guerre
Dès le début des bombardements américains en Irak, le 8 août, le gouvernement français avait tenu à soutenir les États-Unis. Fabius s’était empressé d’appeler à la nécessaire « bataille contre le terrorisme ». Le 5 septembre dernier, Hollande approuvait déjà l’idée d’une coalition internationale. « À menace globale, réponse globale », justifiait-il. De Fabius parlant de la détermination nécessaire dans la lutte contre les « égorgeurs de Daech » ( « État islamique en Irak et au Levant » en arabe), à Valls martelant le 23 septembre que « la France est une grande nation qui assume totalement ses responsabilités », les déclarations va-t-en-guerre des dirigeants socialistes se sont enchaînées depuis. Et tous d’exploiter l’émotion suscitée par la décapitation des otages par l’EI pour en appeler à l’unité nationale derrière le gouvernement, tel le ministre de l’Intérieur Cazeneuve qui, répondant aux menaces d’attentats, déclarait : « La France n’a pas peur parce qu’elle n’entend pas céder au piège des terroristes. (...) La France n’a pas peur parce qu’elle sait pouvoir compter sur la solidarité de tous ses concitoyens. »
En décidant d’intervenir militairement, Hollande aura au moins réussi une chose : obtenir un large consensus à droite. Il n’y a rien d’étonnant à cela, gouvernements de droite et de gauche ont toujours mené la même politique de défense des intérêts des grands groupes capitalistes, en politique intérieure comme en politique extérieure. « La décision du chef de l’État de frapper les terroristes nous fait entrer en guerre. (...) Il faut être résolument solidaire et ne pas prêter le flanc à la moindre critique. Nous demeurerons derrière le gouvernement et nos troupes », a déclaré Yves Jégo, député et président par intérim de l’UDI. « Il faut intervenir si on ne veut pas que le pays bascule », a renchéri de son côté Hervé Morin, député UDI et ancien ministre de la Défense. « On ne peut répondre que par la force au danger et à la menace que représentent ces djihadistes, organisés, suréquipés », a affirmé l’ancien premier ministre UMP François Fillon.
Même du côté des représentants du Front de gauche, des écologistes et du Parti communiste, il n’y a pas eu d’opposition à l’intervention sur le fond, tout au plus quelques réserves. Cécile Duflot pour les écologistes s’est contentée d’inviter à avoir « une réflexion assez poussée sur l’usage de ces frappes aériennes ». Quelle audace ! Front de gauche et Parti communiste français, de leur côté, n’ont critiqué que la dépendance de la politique française vis-à-vis des États-Unis, ne remettant pas en cause le fait d’intervenir militairement en Irak. Le député Front de gauche François Asensi a ainsi déclaré être d’accord pour « apporter une aide militaire à ceux qui résistent aux djihadistes, ainsi qu’un soutien politique, humanitaire, économique », mais « certainement pas sous un commandement américain et sous tutelle de l’Otan ». Le dirigeant du Parti communiste français, Pierre Laurent, est allé dans le même sens en déclarant qu’ « au lieu d’être libre et indépendante, la France est accrochée à l’Otan ».
Les dirigeants socialistes se sont donc lancés avec l’approbation quasi unanime de toute la classe politique dans une nouvelle guerre, au sein d’une coalition dirigée par les États-Unis et rassemblant l’ensemble des pays impérialistes et plusieurs pays arabes, avec le Bahreïn, le Qatar, la Jordanie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Le président américain Barack Obama a salué l’engagement français en Irak, comme il se doit entre dirigeants bien élevés. « La France, qui est un de nos alliés les plus anciens et les plus proches, est un partenaire solide dans nos efforts contre le terrorisme », a-t-il déclaré. Mais il est clair que les quelques avions de chasse français qui ont bombardé des sites logistiques de l’EI ne changeront pas grand-chose à la situation. Tout au plus serviront-ils pour la promotion des avions Rafale de Dassault. Si Obama avait besoin de constituer une large coalition, à laquelle Hollande a accepté de participer avec tant d’enthousiasme, c’est d’abord pour mieux faire accepter cette nouvelle guerre, qui intervient seulement trois ans après le départ de l’armée américaine d’Irak, à une opinion publique américaine à qui il avait promis le désengagement d’Afghanistan et d’Irak. C’est aussi parce qu’il était plus facile d’associer les potentats du Moyen-Orient à une guerre n’apparaissant pas comme purement américaine.
Mais, quelle que soit l’étendue de la coalition, cette guerre qui se fait sous le couvert de la lutte contre le terrorisme et la barbarie est une guerre impérialiste. Comme toutes les guerres précédentes menées par l’impérialisme dans cette région du monde, elle n’aboutira qu’à accroître encore le chaos, et à remplacer une barbarie par une autre.
Les milices de l’État islamique, produit des interventions impérialistes
Il y a certes de quoi être horrifié par les appels au meurtre des ressortissants occidentaux par les chefs des milices islamistes en Irak et en Syrie et les décapitations d’otages. Ce sont des actes de barbarie, mais c’est une barbarie dont les premières victimes sont les populations du Moyen-Orient. Les milices de l’EI imposent dans les territoires qu’elles ont conquis une dictature moyenâgeuse, décapitant, coupant les mains, réduisant les femmes en esclavage. Mais cette barbarie est le produit direct de la politique des grandes puissances.
Les milices regroupées au sein de l’État islamique en Irak et au Levant se sont développées en Irak, après la guerre déclenchée par les États-Unis en 2003 et durant les années d’occupation qui suivirent, en lien avec bien d’autres dont celles d’al-Qaida. Dans ce pays dont la population est composée pour 54 % d’Arabes chiites, pour 22 % d’Arabes sunnites, pour 24 % de Kurdes, et de quelques autres communautés, chrétiennes, Yazidis et autres, qui ont longtemps vécu ensemble, la politique des armées d’occupation a été de diviser pour mieux régner, quitte à créer entre les différentes communautés des oppositions là où elles n’existaient pas. Les États-Unis et leurs alliés impérialistes ont créé une situation d’affrontement entre milices sunnites et chiites en particulier, en s’appuyant tantôt sur les unes, tantôt sur les autres, pour reconstituer un appareil d’État à la place de celui existant sous Saddam Hussein. Toutes ont recruté en s’appuyant sur le mécontentement créé par l’occupation impérialiste, un mécontentement alimenté par les exactions des armées étrangères.
Dès juillet 2011, fuyant l’Irak, les groupes d’EIIL rejoignirent la Syrie au moment où la contestation du régime de Bachar el-Assad débouchait sur une guerre entre cliques militaires, y trouvant un terrain de recrutement et d’entraînement.
Si l’impérialisme américain ne souhaitait pas l’effondrement du régime syrien, qu’il jugeait potentiellement dangereux dans cette poudrière qu’est le Moyen-Orient, il n’en saisit pas moins l’occasion de l’affaiblir en laissant ses alliés régionaux agir. Les États du Golfe et en particulier l’Arabie saoudite et le Qatar, hostiles au régime de Bachar el-Assad qui est pour eux un rival, fournirent aux milices de l’EIIL, entre autres, de l’argent et des armes. De son côté la Turquie de Recep Tayyip Erdogan leur offrit des facilités pour s’entraîner sur son sol et pour s’infiltrer en Syrie par la longue frontière séparant les deux pays.
Après s’être renforcée en Syrie dans la guerre contre Assad, l’EIIL put investir de nouveau l’Irak et déstabilisa son gouvernement, mis en place par les autorités d’occupation américaines, sans pouvoir réel, et dont l’armée fut mise facilement en déroute.
L’organisation de l’EIIL, devenue l’organisation de l’État islamique, est bien l’enfant monstrueux de la politique impérialiste, dont le développement a été favorisé matériellement par les alliés des États-Unis dans la région, et politiquement par les dix années de guerre et d’occupation impérialiste.
La barbarie des djihadistes et celle de l’impérialisme
D’Obama à Hollande, tous les dirigeants des vingt-deux pays impliqués dans la coalition disent s’inquiéter du sort de la population irakienne, à commencer par celle d’al-Anbar, la première région frontalière avec la Syrie conquise par les milices de l’EI à partir de janvier dernier, provoquant la fuite de 500 000 personnes. Mais ce qui les préoccupe est le fait que ces milices djihadistes soient incontrôlables et que, en entraînant une perte de contrôle sur toute une région, elles pourraient finir par menacer les affaires des grands groupes capitalistes, les grandes compagnies pétrolières et bien d’autres qui y sont présents.
Depuis le découpage du Moyen-Orient entre France et Angleterre au sortir de la Première Guerre mondiale et jusqu’à aujourd’hui, les interventions des pays impérialistes dans la région ont répondu à l’objectif d’y maintenir leur domination politique et économique, quel que soit le prix à payer pour les populations. Pour ce faire, l’impérialisme a toujours cherché à diviser pour régner, s’appuyant sur les oppositions communautaires et religieuses ou sur les rivalités entre les États qu’il avait lui-même contribué à créer, et cherchant à favoriser les forces les plus réactionnaires. Et si pendant toute une période les dirigeants impérialistes ont dû composer avec des régimes d’inspiration nationaliste comme l’Égypte de Nasser, l’Irak de Saddam Hussein, la Syrie des Assad père et fils, ils ont aussi saisi toutes les occasions d’exercer des pressions, de les affaiblir, voire d’intervenir pour les remplacer par des régimes plus dociles.
Aujourd’hui, on retrouve dans la coalition constituée officiellement pour combattre la barbarie des milices de l’EI l’Arabie saoudite, qui est une dictature moyenâgeuse, qui pratique les décapitations publiques et interdit toute liberté aux femmes. Selon un rapport d’Amnesty International publié le14 octobre, le nouveau gouvernement irakien, qui a reçu l’appui des États-Unis « soutient et arme des milices chiites qui ont enlevé et tué des dizaines de civils sunnites ces derniers mois et qui bénéficient d’une impunité totale pour ces crimes de guerre ». On voit ce qu’il en est de ce gouvernement d’Haïdar al-Abadi, censé se baser sur un rassemblement pour faire oublier les divisions nées sous l’exercice de son prédécesseur Nouri al-Maliki, accusé d’avoir contribué à la montée en force de l’EI dans ce pays majoritairement chiite en menant une politique autoritaire excluant la minorité sunnite. C’est à ce même gouvernement que Hollande a tenu à « affirmer le soutien et la solidarité de la France » lors de sa visite à Bagdad le 12 septembre.
L’ancien Premier ministre français Dominique De Villepin, lui-même opposé à la participation de la France à l’opération américaine, déclarait le 12 septembre qu’« une nouvelle guerre en Irak est absurde et dangereuse. (...) Il serait temps que les pays occidentaux tirent les leçons de l’Afghanistan. Il y avait en 2001 un foyer de terrorisme. Aujourd’hui il y en a une quinzaine. Nous les avons multipliés. (…) Combien de terroristes allons-nous créer ? » Villepin est tout autant un serviteur des intérêts de l’impérialisme français que les autres politiciens de droite et de gauche qui ont approuvé l’intervention militaire française en Irak, mais le constat n’en reste pas moins juste. Il ne pourra sortir de ces nouvelles interventions que de nouvelles divisions, de nouvelles contradictions opposant peut-être des forces encore plus barbares.
Du Mali à l’Irak : continuité dans la politique va-t-en guerre des socialistes de gouvernement
La France est présente depuis longtemps au Moyen-Orient. Elle est, avec la Grande-Bretagne et les États-Unis, l’une des trois puissances dont les rivalités ont marqué l’histoire de cette région. Au sortir de la Première Guerre mondiale, la France avait obtenu un mandat de la Société des nations, l’ancêtre de l’ONU couvrant la Syrie et le Liban, la Grande-Bretagne obtenant de son côté un mandat sur un territoire plus large comprenant la Palestine, l’Irak et ce qui est aujourd’hui la Jordanie. La France s’était de plus attribué la part allemande de la compagnie pétrolière exploitant le pétrole de Mossoul, au nord de l’Irak actuel, qui allait devenir l’ancêtre de Total. Mais après la Seconde Guerre mondiale les États-Unis s’imposèrent comme la seule puissance économique et politique dans la région, réduisant le rôle des impérialismes européens.
Si le Moyen-Orient est depuis lors entièrement sous influence américaine, l’impérialisme français y a gardé des intérêts économiques. Et il a toujours tenté, comme d’autres impérialismes de second ordre, de garder de bonnes relations avec des États de la région, s’accommodant des pires dictatures quand il s’agissait de clients potentiels pour ses entreprises capitalistes.
Ainsi, la guerre entre l’Irak et l’Iran qui dura de 1980 à 1988 fut une manne pour tous les grands noms de l’industrie française, Dassault, Aerospatiale, Matra, Giat. Mais les marchands de canons ne se contentèrent pas du marché irakien. Ils allèrent aussi vendre leurs armes à l’autre camp. Ainsi le scandale dit de l’Irangate révéla comment de grandes quantités d’armes américaines furent vendues à l’Iran par l’intermédiaire d’Israël, pendant pratiquement toute la durée de la guerre. Mais les USA ne furent pas les seuls. La France connut elle aussi son Irangate, lorsqu’il fut révélé que la société Luchaire avait livré plus de 400 000 obus d’artillerie lourde à l’Iran, en utilisant de faux certificats de destination.
Les multinationales françaises sont aujourd’hui toujours présentes au Moyen-Orient et y font des affaires très profitables. La France serait en passe de négocier un contrat d’armement de plusieurs milliards d’euros avec Riyad. En 2013, l’Arabie saoudite était déjà le premier client de la France avec 1,92 milliard d’euros d’achat d’armes. Il y a encore un an, l’Irak était considéré comme un pays certes dangereux, mais aussi comme un énorme marché, et aiguisait les appétits de bien des groupes capitalistes comme Alstom ou Total. Celui-ci exploite depuis longtemps le pétrole irakien et, déjà présent sur le gisement de Halfaya dans le sud du pays, visait des sites prometteurs au Kurdistan irakien. Le chaos actuel remet sans doute en cause nombre de projets, tels la construction d’une ligne ferroviaire entre Bagdad et Bassora ou le métro aérien de Bagdad.
Mais il y a d’autres marchés prometteurs dans la région, et en particulier le marché iranien. En février dernier, plus d’une centaine de hauts dirigeants d’entreprises françaises se sont déplacés en Iran, s’engouffrant dans la brèche ouverte par la signature, trois mois auparavant, d’un accord sur le nucléaire qui permettait la levée partielle et provisoire des sanctions de l’ONU, des États-Unis et de l’Union européenne contre l’Iran. Ce pays renferme les deuxièmes réserves mondiales de gaz et les quatrièmes de pétrole, et offre un marché de près de 80 millions de consommateurs en plein essor. Total, Alstom, Renault, PSA ou encore Suez environnement étaient du voyage. Et de nouveau les 14 et 15 octobre derniers, à Londres, banquiers et entrepreneurs iraniens et européens se sont retrouvés à l’occasion d’un forum, autour de personnalités comme Hubert Védrine, l’ancien ministre socialiste des Affaires étrangères. C’est peu dire que depuis des mois les grandes multinationales françaises, ainsi que d’autres comme les grands groupes américains, lorgnent sur le marché que représente la République islamique.
Garder un pied au Moyen-Orient, non pas pour sauver l’humanité de la barbarie et du terrorisme, mais pour des raisons bien plus bassement matérielles, s’imposait donc à ce fidèle serviteur des intérêts capitalistes français qu’est Hollande. Neuf Rafale, un avion espion, un ravitailleur et un peu de matériel militaire, cela valait bien quelques déclarations fracassantes. Hollande s’est donc engagé, certes a minima, dans une nouvelle guerre au Moyen-Orient, alors qu’en moins de deux ans l’armée française est intervenue déjà trois fois dans sa chasse gardée africaine. Des guerres coloniales aux interventions militaires aux quatre coins du monde, les dirigeants socialistes sont décidément toujours les plus va-t-en guerre.
En janvier 2013, l’intervention française au Mali, baptisée opération Serval, s’était faite aussi bien sûr au nom de la lutte contre le terrorisme et la barbarie. Un an et demi plus tard, Hollande annonçait une nouvelle intervention militaire, l’opération Barkhane, dans une région s’étendant sur quatre autres pays en plus du Mali, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, portant à 3 000 le nombre des soldats présents. Entre-temps, en décembre 2013, l’armée française était intervenue en Centrafrique. Le but officiel de cette opération militaire était cette fois encore de mettre fin aux massacres et de désarmer les milices qui s’y livraient. Mais ce qui motive d’abord les décisions des gouvernements français d’intervenir dans cette zone est d’abord le souci de protéger les intérêts des grandes sociétés qui y sont présentes. Ce sont notamment les intérêts de Total qui exploite le pétrole en Mauritanie, ou de la SNIM, qui dispose des minerais de fer particulièrement riches de ce pays, ceux d’Areva, qui exploite l’uranium au Niger, deux pays frontaliers du Mali. Et comme au Moyen-Orient, c’est cette exploitation, cette mise en coupe réglée de toute une partie de l’Afrique par le grand capital français, doublée de la présence et des interventions militaires, qui contribue à engendrer régulièrement des conflits, du Mali au Centrafrique et à la Libye.
La détérioration de la situation en Libye pose maintenant un problème à l’impérialisme français. « Ma préoccupation majeure est la Libye, où les djihadistes progressent et où la confusion est totale », a déclaré son représentant à la conférence des ambassadeurs, le 28 août dernier. Le ministre de la Défense, Le Drian, était déjà intervenu en septembre dernier sur le même thème, s’inquiétant de la « dégradation de la situation sécuritaire en Libye ». Trois ans après l’intervention des armées occidentales par des bombardements, par l’armement des différentes milices combattant Kadhafi et par l’élimination de ce dernier, ce pays est lui aussi plongé dans le chaos. La Libye est devenue le refuge des groupes armés djihadistes qui menacent les intérêts des groupes français dans les pays frontaliers. Un rapport du Sénat, datant de juillet 2013 et présenté par Jean Pierre Chevènement et Gérard Larcher, soulignait qu’en Libye les crises malienne et syrienne sont « susceptibles de s’y rejoindre ». Et le rapport poursuivait : « En Libye s’opère le couplage entre montée du terrorisme au Maghreb, au Machrek, au Moyen-Orient et en Afrique sub-saharienne », un couplage avec le Moyen-Orient « qui s’opère via la participation de combattants libyens à la crise syrienne. »
Comme en Irak, ces milices sont les sous-produits voire les monstrueuses créatures de la politique des pays impérialistes, les filles ou les sœurs des milices équipées par des « conseillers » français, britanniques, américains, à quoi se sont ajoutés pour certaines les stocks d’armes disponibles, achetés en son temps par le dictateur Kadhafi auprès des industriels occidentaux et sur lesquels elles ont pu faire main basse.
Hollande et le Drian s’inquiètent des conséquences néfastes que peut avoir cette instabilité pour les affaires, bien plus que du sort de la population pauvre. Elle pourrait rendre nécessaire une nouvelle intervention sous la forme d’une extension vers la frontière libyenne du dispositif militaire français déjà présent au Mali, en Centrafrique et au Tchad. Mais la France aurait alors besoin de l’aide des autres puissances impérialistes, dont les États-Unis. L’intervention française en Irak pourrait alors faire partie d’un échange de bons – ou de mauvais – procédés : un service rendu en participant à la coalition voulue par Obama en vaudrait un autre, attendu des États-Unis.
Aucun soutien à cette nouvelle guerre impérialiste !
Les pays impérialistes sont embourbés dans de nombreux conflits, et chaque intervention militaire censée régler l’un d’eux en engendre de nouveaux. Leurs gouvernements engendrent la barbarie par leurs interventions et sèment la mort sous prétexte de la combattre. Mais ceux qui paient le prix fort de cette situation sont les masses pauvres des pays concernés. Elles continuent de subir les bombardements et les destructions qui les accompagnent, sont condamnées à se réfugier dans des camps où elles manquent de tout si elles veulent échapper aux attaques des milices et à la dictature des seigneurs de guerre.
S’ils peuvent s’attendre au pire de la part des démagogues qui se couvrent du drapeau de la religion pour imposer leurs lois barbares et les renvoyer des siècles en arrière, les peuples des régions en conflit n’ont rien à attendre non plus de puissances impérialistes qui n’interviennent que pour préserver un statu quo régional garantissant les profits des multinationales, pétrolières ou autres.
Les masses pauvres du Moyen-Orient n’auront un autre avenir que si elles le construisent elles-mêmes, en se rangeant derrière le drapeau du changement social contre leurs exploiteurs et contre toutes les forces réactionnaires qui les servent d’une façon ou d’une autre. En même temps, il leur faut mettre fin au pillage de la région par l’impérialisme, à sa présence et à ses interventions militaires, qu’elles s’effectuent directement ou par le biais des différents États arabes, de la Turquie ou d’Israël, ou encore par le biais de milices plus ou moins contrôlables.
Bien sûr, c’est là avoir affaire à forte partie. En finir avec le système d’exploitation impérialiste nécessite de se trouver des alliés, non seulement au sein des peuples de toute la région, mais dans la classe ouvrière des pays impérialistes eux-mêmes, qui subit l’exploitation de ce système même si elle ne se traduit pas par le même degré de barbarie.
Les travailleurs des pays impérialistes n’ont aucune solidarité à avoir vis-à-vis de leur propre gouvernement, ni aucun soutien à accorder à ses interventions militaires qui, même quand elles se parent du masque de la lutte contre la barbarie, aboutissent en fait à la renforcer. Combattre l’exploitation capitaliste telle qu’on la subit au quotidien dans un pays comme la France implique aussi de combattre la politique que mènent les mêmes capitalistes, appuyés par leur gouvernement, en Afrique, au Moyen-Orient ou ailleurs. C’est la seule façon d’être vraiment solidaires des femmes et des hommes, ouvriers, paysans ou chômeurs de ces pays, qui ne sont pas plus responsables de la barbarie des djhadistes que les travailleurs d’ici ne le sont de celle semée par les interventions militaires occidentales.
Il n’y a certes pas à s’étonner que le Parti socialiste au gouvernement participe à une nouvelle guerre impérialiste en Irak. Il a toujours participé et cautionné les guerres coloniales, quand il n’en prenait pas la tête comme ce fut le cas pour la guerre d’Algérie. Il a toujours agi en zélé serviteur des intérêts de l’impérialisme. Mais il faut dénoncer sa politique, celle qu’il mène à l’extérieur comme celle qu’il mène à l’intérieur, et le faire au nom des intérêts de l’ensemble des travailleurs. C’est l’intérêt commun de tous les exploités d’en finir avec un système capitaliste qui sème la misère et la mort dans le monde, et c’est au nom de cette lutte que les travailleurs doivent s’opposer à la nouvelle guerre impérialiste que les Hollande et autres va-t-en guerre voudraient mener en leur nom.