Le ciment frais a recouvert quatre nouvelles tombes dans le cimetière la fin de semaine passée, à la fin de l’enterrement collectif de quatre jeunes gens du village, abattus deux jours plus tôt alors qu’ils auraient soi-disant essayé de poignarder des soldats Israéliens.
Une autre tombe, encore vide a été creusée juste à côté, en prévision du prochain tué.
Depuis octobre, le village de Sair a vu assassiner 11 de ses enfants depuis qu’une vague de révolte balaye le territoire palestinien.
Alors que ce village est situé dans une vallée tranquille au milieu des collines au nord-est de Hébron – à l’écart du Mur israélien d’apartheid et des colonies juives – il n’y a aucune raison qui vienne immédiatement à l’esprit pour expliquer qu’il ait vécu un tel carnage.
Pour les villageois, l’explication est cependant simple. Les soldats israéliens ont reçu l’autorisation de tuer en toute impunité, et depuis octobre ils sont constamment présents aux entrées du village.
Le maire Kayyed Jaradat en parle comme du « siège militaire de Sair, » et il explique que les points de contrôle et les barrages militaires israéliens sur toutes les routes qui mènent au village sont la raison de toute une spirale de violence.
Samedi, alors que Sair se recueillait pour enterrer ses morts, l’armée israélienne était présente en force, bouclant totalement le village et ne permettant aux Palestiniens d’y entrer qu’à pied. Sous un ciel gris, ils ont dû péniblement passer entre les armes pointées par les soldats.
Mais Sair n’est qu’un parmi les dizaines de villages de la région d’Hébron à s’être retrouvé ces derniers mois placé sous le contrôle de l’armée israélienne.
Après une série d’attaques à l’arme blanche en octobre, Israël a littéralement inondé le sud de la Cisjordanie avec ses soldats et a considérablement augmenté son réseau de barrages militaires pour contrôler encore plus étroitement les déplacements de centaines de milliers de Palestiniens.
Le cimetière des « Martyrs » au centre de Sair manque à présent d’espace à la suite de la mort de 11 de ses habitants depuis début octobre.
Presque la moitié des meurtres de jeunes gens de Sair ont eu lieu à un seul barrage au sud-ouest du village – au croisement de Beit Einoun – où une route réservée aux seuls colons amène à la colonie juive de Kiryat Arbaa et où, nous dit Jaradat, l’armée maintient aujourd’hui « une présence intensive. »
Khalil Shalalda, un garçon de 15 ans parmi ceux enterrés ce samedi, a été abattu à ce croisement où il est supposé avoir voulu poignarder un soldat des troupes d’occupation. C’est au même endroit que le frère de Khalil, Mahmoud âgé de 18 ans, a été assassiné lors d’affrontements en novembre.
Raed Jaradat, âgé de 22 ans, a été tué à ce même croisement fin octobre après qu’il ait poignardé et blessé un soldat, tandis que Fadi Faroukh, âgé de 24 ans, était abattu là peu de temps après alors qu’il revenait de l’hôpital d’Alia dans Hébron, où son épouse venait juste de donner naissance à leur enfant.
L’armée d’occupation a prétendu que Faroukh avait voulu lancer une attaque au couteau, mais les gens du pays pensent plutôt qu’il a été tué en représailles de l’attaque de Jaradat.
Le déploiement massif des forces israéliennes à travers Hébron a placé des villages tels que Sair en contact quotidien et direct avec des soldats, et beaucoup d’habitants de ces villages subissent à ces barrages militaires l’humiliation constante des inspections quotidiennes.
Des officiers de l’armée israélienne ont eux-mêmes prévenu début décembre que le grand nombre de forces déployées à travers la Cisjordanie n’amènerait qu’à une augmentation de la violence exercée par les soldats israéliens.
« Il y a un proverbe, disant que les soldats sans travail causeront des problèmes, » nous dit un habitant de Sair, Issa Shalalda. Il ajoute que beaucoup de jeunes gens du village ont le désir d’attaquer les forces israéliennes d’occupation.
Le village de Sair a été complètement bouclé par les forces israéliennes d’occupation, pendant l’enterrement de quatre jeunes du village.
« Pas d’espoir dans l’avenir »
Le déploiement des forces israéliennes autour de Sair a réveillé des sentiments profonds de frustration dans le village, où une population jeune et en forte augmentation subit depuis des années la dégradation croissante d’une économie paralysée par près de 50 ans d’occupation militaire israélienne.
Le maire Jaradat, estime que près de 3000 habitants du village – un dixième de la population – travaille maintenant en Israël. La plupart de ces habitants y travailleraient illégalement, franchissant sans permis le mur israélien d’apartheid, acceptant des emplois mal rémunérés.
Le directeur d’une école locale dit que les jeunes de Sair n’ont « ni travail, ni permis. » Ils subissent « la pression sur tous les plans : social, économique… à tous les niveaux. Psychologiquement, ils souffrent. Ils ne voient aucun espoir dans l’avenir. »
Parmi les quatre enterrés ce samedi, il y avait trois cousins de la famille Kawazba – Muhannad, Ahmad, et Alaa – qui ont été abattus suite à une attaque présumée par couteau au croisement de Gush Etzion au sud de Bethléem.
Les parents ont dit à Ma’an que Muhannad et Ahmad, tous deux âgés de 21 ans, avaient abandonné l’école à 15 ans afin de chercher du travail en Israël. C’est une décision prise par beaucoup d’autres dans Sair.
Jaradat a souligné que bien que les récentes mesures répressives de l’armée israélienne ont enflammé un profond ressentiment dans le village, elles ont également aggravé ses problèmes économiques.
En l’espace de 3 mois, Muhammad Shalalda (en bas à droite) a enterré deux de ses fils, Khalil âgé de 16 ans et Mahmud, âgé de 18 ans.
« Les commerçants, les entrepreneurs, les travailleurs et les étudiants ont besoin de se déplacer dans les deux sens, entre les zones rurales et la ville (d’Hébron), presque tous les jours, » dit-il. « Le siège militaire a entraîné une stagnation dans Sair. »
« Le prix de la liberté »
Après les funérailles de samedi, un groupe de Palestiniens s’est retrouvé au croisement de Beit Anun et s’est affronté avec les soldats israéliens qui y sont stationnés.
La manifestation a été rapidement dispersée et bientôt il n’y avait plus que quelques dizaines d’enfants laissés en arrière, lançant des pierres depuis l’arrière de bâtiments, accroupis derrière des tas de débris de construction.
« Les soldats attendent que les enfants s’approchent », a expliqué le directeur d’école. « Ces enfants de 15 ou 16 ans sont là parce qu’ils sont en colère. »
Alors que de nombreux habitants ne donnent aucun crédit aux affirmations des Israéliens selon quoi la plupart des personnes tuées par les forces israéliennes ont tenté de procéder à des attaques au couteau, ils affichent un certain respect pour ceux qui sont passé à l’acte.
Leurs portraits ornent les murs du village. « Merci à Dieu pour ces martyrs qui ont sacrifié leur vie pour la liberté, pour Al-Aqsa, pour la Palestine, » disait un haut-parleur lors de l’enterrement de samedi.
« Vivre dans la liberté a un prix, et le prix que le peuple palestinien paie, c’est le sang. »
Un enseignant de l’école locale a admis : « Ce genre de discours encourage les jeunes enfants à prendre le chemin de la résistance », mais il a ajouté : « Nous ne sommes pas contre la résistance. »
Il dit encore que de nombreux jeunes gens du village ont rendu hommage à ceux qui avaient donné leur vie dans des attaques contre des Israéliens, et il a noté que nombreux sont ceux qui « aimeraient avoir des armes » pour attaquer eux-mêmes les soldats.
Trois jours plus tard, le mardi après-midi, deux autres jeunes Palestiniens ont été abattus au croisement de Beit Einun. L’un d’eux avait 23 ans et venait de Sair. L’armée d’occupation a prétendu qu’il avait tenté de poignarder un soldat.
Sa dépouille ira combler le tombeau encore vide dans le cimetière. Le village devra bientôt préparer une nouvelle sépulture.
Source: Info Palestine