L’Iran adopte un projet de développement à la chinoise, cela peut donner un poids considérable à son statut géopolitique et à son importance.
Le Président chinois, Xi Jinping, ou le Président iranien, Hassan Rohani ? Quand il s’agit de nommer le négociateur géopolitique le plus redoutable, on joue souvent à pile ou face. Leurs routes se sont croisées, la semaine dernière, [le 23 janvier, NdT], à Téhéran, d’une manière spectaculaire, puisque Xi et Rohani ont scellé un accord crucial de partenariat stratégique. Les deux nations se sont mises d’accord, pour augmenter leurs échanges bilatéraux, au niveau de $600 milliards, pour les 10 prochaines années. Géo-stratégiquement, comme je l’ai, déjà, souligné, c’est un coup de maître. Pékin ne considère pas, simplement l’Iran, comme un pays de l’Asie moyen-orientale, mais aussi, de l’Eurasie, comme la plaque tournante essentielle, pour contrer le pivot vers l'Asie, dont Washington parle tant, manoeuvre basée sur l'hégémonie navale américaine. Il n'est pas étonnant que Xi ait précisé que l’Iran devrait être accepté, comme membre, à part entière, de l’Organisation de coopération de Shanghai, (OCS), dès cette année. Un partenariat stratégique implique que Pékin soutiendra, pleinement, la renaissance économico-politique et diplomatique iranienne, de part et d’autre de l’arc, allant du golfe Persique à la mer Caspienne – et au-delà. Il se trouve que cet arc rejoint les routes maritimes et terrestres de la Nouvelle Route de la Soie, qui est d’une importance vitale, pour la projection mondiale du rêve chinois, conçu par Xi. Et alors, à peine, quelques jours plus tard, Rohani était, à Rome, pour une rencontre chaleureuse et privée avec le Pape François, après avoir conclu avec l’Italie une série de contrats, d’un montant de dix-sept milliards de dollars. Cette activité frénétique post-sanctions fait ressortir, en perspective, l’absurdité de la crise nucléaire iranienne, fabriquée de toutes pièces, à Washington. Le réalisme géopolitique, de l’Europe à l’Asie, ne peut ignorer une nation, placée à l’intersection des mondes arabe, turc, indien et russe, dont le rôle privilégié est de donner un point de passage au vaste ensemble Caucase-Asie centrale, qui inclut, aussi, l’Afghanistan. D’un point de vue géostratégique, comme ultime carrefour eurasien, l’Iran ne peut être ignoré, car il relie le Moyen-Orient, le Caucase, l’Asie centrale, le sous-continent indien et le golfe Persique ; entre trois mers – la Caspienne, le golfe Persique et la mer d’Oman, relativement, proche de la Méditerranée et de l’Europe, et au seuil de l’Asie. Xi n’a pas eu besoin de parler, explicitement, de politique à Téhéran ; il lui suffit de signer contrat sur contrat, pour appuyer ses arguments. La tendance, à long terme, inévitable, est à la vision chinoise Une Ceinture [terrestre], Une Route [maritime], pour franchir les obstacles, qui s’opposent à un leadership sino-russe, au travers de l’Eurasie, ce qui correspond à la mise sur la touche du continuum territorial impérial anglo-américain. En attendant, l’Italie et la France, pendant la tournée européenne de Rohani, se sont empressées de rattraper leur retard. La scène frénétique iranienne, depuis la fin des sanctions, a, au moins, le mérite de mettre un terme à l’impitoyable diabolisation du pays, par l’Occident, et pose les bases, pour un développement économique, dans, à peu près, tous les domaines. La République islamique d’Iran a subi un handicap énorme, pendant les trente-six dernières années – quelque chose, qui aurait brisé une société avec moins de ressources. Au cours des dix dernières années, les sanctions ont coûté, au moins, 480 milliards d’euros à l’Iran, c’est, à peu près, un an de PIB iranien. Dans un monde, qui ne serait pas dirigé par les suspects habituels d’une oligarchie financière délinquante, Téhéran aurait des raisons de traîner Washington en justice, pour se venger. Au sujet du simulacre, qui, malgré tout, continue, de l’agression iranienne, c’est une sale blague impériale, [qui fait un bide, NdT]. L’Iran a dépensé 3,9% de son PNB, pour sa Défense ; chiffre à comparer avec les 10,3% de la Maison des Saoud. Finalement, l’Iran a dépensé sept fois moins d’argent, pour ses forces armées, que les pétromonarchies du Golfe, qui ne peuvent subsister qu’avec leur armement, essentiellement, fourni par les Américains, les Britanniques et les Français. L’avenir pour l’Iran sera plein de cahots. Il y a de sérieux problèmes – la corruption, l’incompétence bureaucratique, les secteurs d’activité réservés à certains intérêts ou interdits d’investissements étrangers. Des sections de l’élite au pouvoir – les bonyad, (des banques religieuses), et les Pasdaran, (les Gardiens de la Révolution), ne sont pas du tout enclines à relâcher leur emprise, sur des secteurs vitaux de l’économie. L’ouverture économique de l’Iran va, forcément, accélérer la transformation de la société du pays. Ce qui arrivera, ensuite, dépendra des élections législatives cruciales, qui auront lieu, en février, pour accoucher d’un nouveau majlis, (parlement), qui devra élire le nouveau Guide suprême. L’Iran est un cas géopolitique unique, où une république tire sa légitimité, à la fois, de l’Islam et du suffrage universel. Ce ne sera jamais notre démocratie parlementaire classique, mais ce ne sera jamais, non plus, l’autoritarisme brutal de l’Arabie saoudite. Un système assez complexe de contrôles et de contre-pouvoirs est en place, concernant la Présidence, le Parlement, le Conseil des gardiens, l’Assemblée des experts et différents corps constitués, comme le Conseil du discernement et le Conseil de sécurité nationale. Le Guide suprême, l'Ayatollah Khamenei, l’a dit, de façon très claire, il surveillera de près les conséquences culturelles, politiques et sécuritaires de l’ouverture économique, qui pourraient affaiblir l’idéologie révolutionnaire de la République islamique. Ce qui est certain, c’est que le Guide suprême – tel un arbitre – préservera l’équilibre très précis des forces politiques, en Iran. Ce qui signifie, en pratique, que l’équipe Rohani ne sera pas autorisée à récupérer tout le capital politique de l’ouverture économique, et que la transformation sociale et économique du pays ne sera jamais synonyme d’invasion culturelle occidentale. L’accord nucléaire de Vienne, conclu l’été dernier, n’est rien moins qu’un séisme géopolitique, en Iran. A l’intérieur, il règle le consensus entre l’administration de Téhéran et la majorité de la population, qui souhaitait que l’Iran redevienne un pays normal. Mais voilà, maintenant, le plus dur. Le scénario le plus probable dessine une République Islamique d’Iran, engagée dans un programme de développement à la chinoise. Une sorte de «c’est magnifique de s’enrichir», sous un contrôle politique vigilant. La question est posée : sommes-nous prêts à traiter avec un Guide suprême qui serait un Deng Xiaoping iranien ?