Les opérations visant à éliminer les terroristes se sont intensifiées ces derniers mois en Algérie. Les informations sur la découverte de casemates et de caches d’armes ont également émaillé l’actualité nationale au cours des trois dernières années. Les pays frontaliers du plus grand État d’Afrique connaissent une présence renforcée de groupes terroristes lourdement armés et parfois bien organisés. Le journaliste Akram Kharief, spécialiste des questions de défense et de sécurité, également animateur du site menadefense.net, nous explique cette nouvelle configuration.
Press TV : La fréquence des nouvelles données sécuritaires relatives à l’élimination de terroristes et à la découverte de caches d’armes pousse à s’interroger sur la nature et l’envergure d’un terrorisme que l’on pensait vaincu, ou du moins résiduel.S’agit-il d’un terrorisme local, ou d’éléments étrangers provenant des pays frontaliers, qui connaissent une grande instabilité, notamment la Libye et le nord du Mali ?
Akram Kharief : Je souhaiterais vous inviter tout d’abord à sérier ce phénomène en deux parties : le terrorisme dans le nord du pays et celui dans le Sud. Les éléments combattus dans le nord du pays sont des terroristes locaux, des groupes résiduels. À court de ressources et de capacités logistiques, ils tentent d’aller vers l’est pour regagner la Tunisie et la Libye. À chaque fois qu’ils se déplacent, ils sont repérés et éliminés. C’est pour cette raison que ces opérations d’élimination se sont produites surtout dans la région est. Pour ce qui est du sud du pays, les opérations de l’armée nationale tombent principalement sur des caches d’armes, mais il n’y a pas d’éléments terroristes, c’est dans le nord du Mali qu’ils sont établis.
PT :Ces armes retrouvées dans le Sud sont-elles de la même qualité que celles dont se servent les groupes terroristes du Nord ? Y a-t-il des couloirs de communication ou une quelconque coordination entre ces éléments ?
AK : L’existence d’une communication entre les terroristes du Nord et du Sud, ce serait trop dire.Les armes retrouvées dans le nord du pays sont l’héritage de la guerre contre le terrorisme des années 1990. Leurs quantités ne sont pas importantes, et donc maîtrisables. Pour ce qui est des armements que l’on découvre depuis les deux ou trois dernières années, il a été constaté qu’ils proviennent de la région du Sahel et de la Libye. Leurs quantités sont énormes et ne sont pas proportionnelles avec le potentiel du terrorisme en Algérie. Ces armes pourraient servir ailleurs dans de grands conflits et n’ont pas pour but d’alimenter les quelques centaines de terroristes locaux. Je m’interroge sur l’objectif de ce phénomène. Cela préfigurerait-il l’infiltration d’éléments terroristes ou la création d’autres dans cette région ? L’objectif serait-il de préparer la séparation du Sud du reste de l’Algérie ? Je me pose la question.
PT : Comment l’armée algérienne se prépare-t-elle pour contrer ce phénomène ? Quelle est la stratégie suivie, surtout devant l’étendue des frontières de ce Sahara (3321 km de frontières avec la Libye, le Niger et le Mali) ?
AK : Nous avons assisté au cours des trois dernières années à un changement de stratégie de l’armée algérienne. Elle est passée à la défensive. Les éléments de l’armée comptent minimiser les risques en se déployant autour des endroits incontournables tels que les points d’eau, les endroits peuplés et tous les lieux de ravitaillement. Pour ce qui est de la crainte géographique, il faudrait rappeler qu’elle pèse également sur les groupes terroristes, et les amoindrit davantage, eux qui restent coupés des points de ravitaillement. Mais l’Algérie a la capacité pour maîtriser cette situation.
PT : Le 3 mars, et à peine une semaine après le retour de l’administration malienne dans les villes de Kidal et Gao (dans le cadre de l’accord d’Alger), trois groupes terroristes du nord du Mali (Al-Mourabitoune, Ansar Eddine et AQMI), se sont unis pour créer le groupe Ansar al-Islam wa al-Mouslimine. Comment évaluez-vous la puissance de ce groupe et le danger potentiel qu’il fait peser sur le sud de l’Algérie ?
AK : Cette union d’Ansar al-Islam wa al-Mouslimine ne relève que de l’instinct de survie. Ces groupes fusionnés ne comportent que quelques centaines d’hommes. Devant l’influence grandissante de Daech en Libye et dans le Sahel, notamment au Nigeria, ces groupes ont voulu montrer qu’ils ont encore de l’influence. Cela provient également — comme vous l’avez dit —du retour de l’État malien dans le nord du pays et du lancement de patrouilles communes avec le groupe La Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA).
PT : Le chaos libyen se poursuit depuis bientôt six ans. L’armée de Haftar s’apprête à récupérer le Croissant pétrolier des mains des Brigades de défense de Benghazi. Au regard de l’appui dont jouit le maréchal Haftar auprès de certains pays, pourrions-nous nous attendre à une fuite des éléments terroristes vers les frontières algériennes ?
AK : Une arrivée de terroristes en provenance de la Libye est très peu probable. Leur instinct de survie les poussera évidemment à se diriger vers le Sud, où le terrain est plus sûr pour eux, et à ne pas s’orienter vers l’Algérie où il ya une armée expérimentée et largement déployée tout le long des frontières.
PT : Qu’en est-il du potentiel terroriste du mont Echaambi entre l’Algérie et la Tunisie ?
AK : Nous savons qu’il ya des échanges de terroristes entre ces deux pays, et ce, sur les deux côtés des frontières. Mais nous avons noté que leur nombre est décroissant.
PT : L’Algérie pourra donc maîtriser sa sécurité interne. Mais pourrions-nous nous attendre à une coopération entre l’armée algérienne et les armées de la G5 et le général Haftar par exemple ? D’autant plus que le maréchal Haftar a sollicité une coopération militaire de l’Algérie lors de sa visite de janvier dernier.
AK : Il est à relever que la diplomatie algérienne fonctionne très bien dans le sens de la sécurisation de la région, mais les perspectives militaires restent compliquées. Une chose est évidente, l’Algérie ne pourra pas maintenir ce genre de position indéfiniment. Le pays doit peser dans la sous-région et réfléchir à dépasser cette loi sacro-sainte de non-ingérence. Une intervention militaire sur un territoire voisin en vertu des droits de poursuite serait une chose tout à fait normale. L’Algérie pourrait également intervenir avec d’autres forces africaines pour combattre le danger terroriste. Cela se ferait avec l’accord des organisations internationales dans un temps et un espace définis. Dans la région, l’armée algérienne est celle qui a le plus les moyens de mener de telles opérations avec un minimum de risques. C’est aussi l’armée qui a le plus de connaissances stratégiques dans cette guerre contre le terrorisme.