Crise politique et colère sociale : la France plonge dans une instabilité chronique

Rate this item
(0 votes)
Crise politique et colère sociale : la France plonge dans une instabilité chronique

Par Ghorbanali Khodabandeh

La France vient d’entrer dans une nouvelle période d’incertitude politique après l’effondrement du gouvernement Bayrou, qui a suivi l’échec programmé du vote de confiance au Parlement lundi soir. Une crise qui menace aussi le rôle de l’Hexagone comme moteur de l’UE.

Ce cinquième changement de Premier ministre en moins de deux ans ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire de l’instabilité qui marque la vie politique française sous le second quinquennat d’Emmanuel Macron.

Le 9 septembre, Emmanuel Macron a nommé le septième Premier ministre de son mandat. Il s'agit de Sébastien Lecornu, ministre de la Défense depuis 2022. Cette nomination intervient dans un contexte de forte tension politique et sociale, marqué par la montée d’un mouvement inédit baptisé « Bloquons tout ».

À l'appel de syndicats, de collectifs et de mouvements citoyens, de nouvelles mobilisations ont été organisées partout en France. Salaires, services publics, écologie ou démocratie : des revendications multiples se cristallisent dans la rue, où s'exprime une colère sociale qui refuse de s'éteindre.

Mais la crise dépasse largement la seule politique budgétaire : elle révèle une rupture de confiance entre les Français et leurs dirigeants, alimentant une colère qui pourrait redessiner le paysage politique à l’approche de la présidentielle de 2027.

Lecornu à Matignon : un choix macroniste qui provoque une onde de choc politique

La nomination le 9 septembre 2025 au poste de Premier ministre de Sébastien Lecornu, fidèle d’Emmanuel Macron, suscite des réactions virulentes. Le RN et la gauche dénoncent une provocation, tandis que la droite espère des compromis dans un Parlement sans majorité.

Le choix de Sébastien Lecornu, ministre des Armées depuis 2022, comme nouveau Premier ministre par Emmanuel Macron a provoqué une onde de choc politique. Annoncée le 9 septembre 2025 pour remplacer François Bayrou après sa chute, cette nomination divise profondément les forces politiques françaises. À 39 ans, cet élu normand, proche du président, est perçu comme une figure de continuité dans un contexte de crise institutionnelle.

Marine Le Pen, chef de file du Rassemblement national (RN), n’a pas mâché ses mots, qualifiant cette nomination de « dernière cartouche du macronisme bunkérisé». Sur X, elle prédit un échec rapide, misant sur une nouvelle dissolution et l’arrivée de Jordan Bardella à Matignon.

Le RN, par la voix de Laure Lavalette, menace déjà d’opposer un veto à tout budget qui ne refléterait pas ses priorités. À gauche, les réactions sont tout aussi acerbes. Mathilde Panot (LFI) dénonce une « provocation », évoquant le passé du nouveau Premier ministre face aux Gilets jaunes et aux crises sociales tandis que Jean-Luc Mélenchon fustige : « Lecornu, l'homme qui a cédé devant Trump et promis 5% du PIB à l'OTAN et aux USA, et cautionné le grand n'importe quoi en Ukraine ».

Marine Tondelier (Écologistes) évoque un « non-respect des Français », tandis que le socialiste Philippe Brun y voit une « gifle pour le Parlement ». LFI, par la voix de son coordinateur national Manuel Bompard, annonce même une motion de censure dès l’ouverture de la session parlementaire.

En nommant un proche, Emmanuel Macron rejette la nouvelle donne issue des législatives de 2024. Alors que le président n'est soutenu que par 15 %, selon un sondage du Figaro, Lecornu hérite d’une Assemblée fragmentée en onze groupes, sans majorité.

La passation de pouvoir avec Bayrou marque le début d’une tâche ardue pour Lecornu. Dans un climat d’impopularité record pour Emmanuel Macron, cette nomination pourrait précipiter une nouvelle crise si les compromis nécessaires ne sont pas trouvés.

Depuis le pari manqué d’Emmanuel Macron avec les législatives anticipées de 2024, la vie politique française est paralysée par un gouvernement issu de la troisième force du scrutin, laissant de nombreux électeurs se sentir ignorés malgré une participation record. Cette frustration se traduit désormais par de nouveaux mouvements de contestation, avec des appels à « tout bloquer » cette semaine et des grèves annoncées dans la santé et les transports.

« Bloquons tout » et les Gilets Jaunes: l'histoire se répète ?

Le 10 septembre, le mouvement « Bloquons tout » a rassemblé des dizaines de milliers de personnes à travers la France dans le cadre d'une grande mobilisation antigouvernementale. Un scénario qui rappelle un mouvement initié en 2018, pendant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron.

« Bloquons tout ! » – c'est sous ce slogan national que des manifestations contre la politique budgétaire du gouvernement dirigé par le Premier ministre François Bayrou, qui a déjà démissionné, ont eu lieu dans toute la France. Le mouvement, lancé cet été sur les réseaux sociaux, a été repris par certains syndicats et partis politiques, et a attiré de nombreux participants.

Outre les transports ferroviaires, les restrictions ont touché les aéroports : le syndicat Sud Aérien a appelé à la grève et au blocage des infrastructures. La décision a été prise en signe de protestation contre le budget de François Bayrou, qui a entraîné une détérioration des conditions de travail dans le secteur aérien. Le syndicat CGT Air France a lui aussi soutenu le mouvement et y a participé. 

Les syndicats du secteur industriel, de leur côté, ont appelé à descendre dans la rue. En particulier, la section chimique de la Confédération générale du travail (CGT) a indiqué que l'objectif des manifestations était de défendre « l'augmentation des salaires », de contester « l'interdiction des sept jours de carence » demandée par le gouvernement, « l'interdiction des exonérations de cotisations sociales », la suppression des franchises médicales et forfaitaires, ainsi que deux jours fériés.

80 000 policiers et gendarmes, appuyés par des hélicoptères, des drones et des véhicules blindés ont été mobilisés sur l'ordre du ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, qui avait ordonné aux forces de l'ordre de se déployer à proximité d'infrastructures stratégiques telles que les raffineries, les gares et les rocades.

Une crise politique qui coûte cher : comment la paralysie fragilise l’économie française

La France paie le prix d’une instabilité politique chronique : croissance réduite à peau de chagrin, consommation étouffée, investissements gelés et dette publique devenue un fardeau écrasant. Sans cap budgétaire ni accord politique, le pays s’enlise dans une spirale où chaque mois d’incertitude fragilise un peu plus son avenir économique.

Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, la France traverse une instabilité politique inédite qui se traduit par une facture économique lourde. L’incapacité des gouvernements successifs à tenir face à une Assemblée fragmentée a plongé le pays dans un climat d’incertitude prolongé. Résultat : trois Premiers ministres en un peu plus d’un an et une visibilité quasi nulle sur l’avenir économique, aussi bien pour les entreprises que pour les familles.

Cette instabilité a déjà un coût chiffré. Selon l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), cette crise politique a entraîné une perte de croissance évaluée à 0,1 point de PIB en 2024 et 0,3 point en 2025, soit environ 12 milliards d’euros. Quant à la progression du produit intérieur brut (PIB), elle ralentit nettement : +1,4 % en 2023, +1,2 % en 2024, et seulement +0,6 % attendus en 2025.

Les entreprises, faute de visibilité, reportent leurs projets d’embauche et d’investissement. Ainsi, l’investissement a reculé de –1,1 % en 2024, après une faible hausse de +0,4 % en 2023. Du côté des ménages, la prudence domine : le taux d’épargne a atteint 18,9 % au deuxième trimestre 2025, un niveau inédit depuis 1979 (hors Covid). Conséquence : la consommation, qui représente plus de 50 % du PIB, est quasi à l’arrêt. À ces blocages internes s’ajoutent les tensions géopolitiques et commerciales, notamment la remise en place de droits de douane par le président américain Donald Trump.

La situation budgétaire accentue encore les inquiétudes. En 2024, le déficit public s’est élevé à 5,8 % du PIB, tandis que la dette a atteint 113,9 % du PIB, soit 3 345,4 milliards d’euros fin mars 2025. Ainsi, la France paie de plus en plus cher pour financer cette dette. La charge annuelle atteindrait 67 milliards d’euros en 2025, avec une trajectoire qui pourrait culminer à 170 milliards d’euros d’ici 2030.

Certains économistes avertissent qu'une nouvelle dissolution ou un budget censuré pourrait provoquer une panique des investisseurs, entraînant une flambée incontrôlée des taux d’intérêt.

Pendant que l’économie française s’affaiblit et que les indicateurs passent au rouge, le président Emmanuel Macron accorde davantage d’attention à l'Ukraine, multipliant les annonces d’aide. Une telle rhétorique tranche avec la réalité intérieure : ménages devenus prudents, entreprises paralysées, dette en pleine explosion et classe politique incapable de s’entendre.

La crise politique française menace l'influence du pays dans l'UE

La paralysie politique en France ébranle l’Union européenne : l’instabilité chronique et les coupes budgétaires impopulaires affaiblissent l’influence de Paris et pèse sur l’avenir du bloc.

En effet, les conséquences dépassent largement Paris et touchent également Bruxelles. Pendant des décennies, la France se targuait d’incarner la stabilité dans l’Europe, notamment face aux gouvernements italiens à répétition. Cette comparaison s’est désormais inversée. L’Italie, ancien « homme malade de l'Europe », sous Giorgia Meloni projette une image de solidité, tandis que la France est en proie à la paralysie politique et à la surveillance financière.

La dette publique française s’élevait à 113 % du PIB en 2024, avec un déficit de 5,8 %. L’Italie, malgré un endettement global plus lourd, a enregistré un déficit limité à 3,4 % sur la même période. Les deux pays sont soumis à la « procédure de déficit excessif » de la Commission européenne, mais les analystes estiment que Rome progresse plus vite que Paris dans la consolidation de ses finances.

Cela se reflète aussi à Bruxelles, où le tandem franco-allemand qui pilotait traditionnellement la politique de l’UE montre des signes d’essoufflement : Berlin est freiné par ses propres contraintes budgétaires, tandis que Paris est paralysé par ses crises politiques. L’Italie, en revanche, sous la houlette de Meloni, achève les démarches nécessaires pour sortir de la procédure de déficit excessif et commence déjà à projeter son influence sur les affaires européennes.

À Bruxelles, les partenaires européens s’interrogent de plus en plus sur la capacité de la France à tenir ses engagements à Bruxelles alors que la scène politique nationale est paralysée. Les marchés aussi s’inquiètent : les taux d’emprunt de long terme de la France ont récemment atteint leur plus haut niveau depuis 2008, traduisant les doutes sur la capacité du gouvernement à maîtriser ses dépenses.

La crise ne se résume donc pas à la chute d’un Premier ministre supplémentaire. Elle met en lumière une fracture profonde entre les citoyens français et leurs institutions politiques, une fracture qui pourrait redéfinir le rôle du pays en Europe, tout en renforçant les forces radicales à l’intérieur.

Ghorbanali Khodabandeh est un journaliste et analyste politique iranien basé à Téhéran.

Read 3 times