la nature du conflit entre l'Imâm Ali et Muawiya(1)

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la nature du conflit entre l'Imâm Ali et Muawiya(1)

Dés le début, il y avait dans la nature de l'attitude de l'Imâm - qui représentait  la ligne de l'Appel islamique - et celle de l'attitude de Muawiya - qui incarnait la     ligne de la déviation - de quoi imposer le résultat auquel le conflit entre les deux hommes a abouti.(1)

Pour traiter de la nature du conflit entre l'Imâm Ali et Muawiya, il y a plusieurs indications et points qu'il faut prendre en considération:

1- L'attitude de l'Imâm 'Alî face au conflit (avec Muawiya) et aux équivoques de ses circonstances consistait à s'attaquer à Muawiya pour le liquider politiquement. Donc, alors que l'Imâm 'Alî était, dans ce conflit, en position d'offensive, Muawiya se trouvait sur la défensive.

En effet, lorsque l'Imâm a pris la responsabilité du pouvoir de l'Etat islamique, il s'est considéré directement et personnellement chargé de mettre fin à la scission et aux tentatives de révolte illégale provoquée par Muawiya et la ligne Omayyade «qui ont usurpé le pouvoir et qu'on peut qualifier de Tulaqâ'» (2) ainsi que par «leurs descendants et tous ceux qui ont gardé une attitude belliqueuse et hostile à l'égard de l'Islam et qui ne s'y étaient convertis que par crainte et hypocrisie. (3)

 

La mission d'extirper ce schisme du corps de la Umma islamique était donc impérative pour l'Imâm. Elle constituait le problème le plus pressant qu'il devait résoudre. Ainsi, lorsqu'il a fixé sa capitale en Iraq et y a consolidé sa base populaire, son premier objectif politique était de mobiliser cette base sur laquelle il s'appuyait pour gouverner, et de liquider par la suite la scission illégitime que Muawiya avait provoquée au sein de la nation islamique. En revanche, le seul souci de Muawiya était de bien conserver Damas et de consacrer sa séparation des autres parties de la Umma islamique.

 

Cette vérité doit nous inciter à être conscients de la grande différence dans la nature des deux attitudes et de l'influence qu'elle exerce sur la nature du conflit. L'Imâm 'Alî était dans la situation d'un commandant qui donne l'ordre à son armée de s'expatrier en vue de livrer une bataille - offensive - pour laquelle elle n'a d'autre motivation que celle de faire régner le Message islamique. Car les Irakiens qui composaient l'armée de l'Imâm, n'étaient pas affectés, dans leurs intérêts par la séparation de Damas, et n'avaient rien de particulier contre les habitants de cette Province.

 

De ce fait, il fallait qu'ils fussent vraiment et fortement motivés par le Message islamique, pour livrer cette bataille, et qu'ils eussent assimilé profondément cette cause et été très conscients de son contenu et de ses dimensions, pour être à même de sacrifier leurs vies et leurs biens pour elle.

 

En revanche, Muawiya n'exigeait pas de son armée une telle générosité et un tel esprit de sacrifice. Il ne lui demandait ni d'occuper l'Iraq ni d'envahir le reste du monde islamique. Au contraire, il lui promettait la souveraineté et l'indépendance et à long terme, le leadership du monde islamique dont la capitale serait Damas.

 

La plupart de ceux qui ont combattu au côté de l'Imâm étaient des gens conscients ou presque de leur cause. Ils ont répondu aux impératifs du Message dès le début et ont senti que leur devoir islamique les obligeait à mettre fin à la scission. C'est pourquoi ils ont consenti les sacrifices qu'ils pouvaient. Ils ont livré courageusement plusieurs batailles acharnées, et ont offert à la cause islamique que l'Imâm défendait des sacrifices appréciables.

 

Mais inéluctablement, de tels sacrifices diminuaient progressivement, et proportionnellement au niveau de leur attachement à l'Imâm ou à celui de leur conscience de la cause. Cela vaut «notamment pour les chefs des tribus qui ont participé à la bataille, d'une part parce qu'ils vivaient sous le pouvoir de l'Etat que l'Imâm 'Alî présidait, d'autre part parce qu'ils voulaient soutenir les irakiens contre les gens de Damas, ou encore, parce qu'ils aspiraient à la souveraineté et à la victoire si l'Imâm 'Alî triomphait. En outre, l'armée de 'Alî comprenait des forces qui lui fournissaient leur appui pour sa politique sociale - soit par acquit de conscience, soit à cause de leur appartenance à certaines classes sociales». (4)

 

Ce sont ces faits qui expliquent le phénomène des trahisons successives, signalées dans les rangs des combattants de l'Imâm «et dont la plus étrange était celle de son cousin 'Abdullah Ibn 'Abbas, suivie de celle de son frère 'Obeidallah, lesquels ont accepté de se rallier à Muawiya à condition qu'il leur laissât ce qu'ils avaient pris de la trésorerie après l'assassinat de l'Imâm 'Ali». (5)

 

Ainsi, les deux thèses - celle de l'Imâm 'Alî et de Muawiya - étaient inégales, tant par l'effort exigé que par la motivation nécessaire.

 

La première thèse demandait à l'armée de s'expatrier en vue de faire une guerre pour la cause de Dieu, la seconde demandait à l'armée de rester dans ses bases et de défendre l'indépendance de son pays sur son propre territoire.

 

Cette grande différence entre les deux thèses jouait un rôle important dans l'attitude des deux antagonistes.

 

2- L'Imâm 'Alî devait faire face à une déviation à l'intérieur de la société islamique qu'il gouvernait, due aux circonstances et aux ambiguïtés politiques qui prévalaient avant son accession au Califat, ce qui s'ajoutait à sa responsabilité de mettre fin au schisme du monde islamique, tâche qui le préoccupait pleinement à ce moment-là.

 

L'Imâm 'Alî menait donc deux batailles, l'une contre le schisme politique, l'autre contre la déviation intérieure. (6)

 

Il lui fallait ainsi venir à bout des situations déviées, reprendre les biens concédés aux traîtres, combattre sans merci les pensées et les concepts déviationnistes et non conformes à la ligne islamique.

 

Les mesures prises par l'Imâm à cet effet ont touché quelques notables influents tels Talha et al-Zubair. Ceux-ci ont réagi en provoquant une révolte à Basrah pour renverser le gouvernement de l'Imâm sous le prétexte de venger 'Othmân.

 

Ainsi, alors qu'il devait s'appuyer sur toutes les forces intérieures pour mener son combat extérieur contre le schisme, l'Imâm 'Alî était contraint de mener un combat intérieur, difficile et épuisant, pour épurer et réformer la société qu'il gouvernait et qui vivait dans des situations complexes.

 

En revanche, Muawiya n'avait pas à mener un combat pour le changement à l'intérieur de sa société. Au contraire, il ne faisait que renforcer les tendances qui y prévalaient. Il s'est efforcé «d'acheter les consciences, de favoriser une catégorie de citoyens au détriment d'une autre, de fermer les yeux sur l'injustice faite aux cultivateurs et commerçants, contraints de payer des impôts pour financer les visées d'une poignée de chefs de tribu dont il se servait pour réprimer tout mouvement de libération». (7)

 

Il est notable - toutes les références historiques le confirment - que la province de Damas était entrée dans l'Etat islamique à la suite d'une conquête militaire et que l'Islam n'y a point pénétré profondément. De l'Islam, on n'y a retenu que le nom et les slogans. L'Islam, dans son contenu véritable n'avait pas trouvé le chemin des cœurs de ses habitants.

 

En effet, ceux-ci vivaient encore dans les résidus anté-islamiques et subissaient encore l'influence de la pensée qu'ils avaient épousée avant leur conversion à l'Islam; au point que leur état intellectuel, social et politique ne différait pas beaucoup de ce qu'ils étaient avant l'Islam.

 

C'est pourquoi, Muawiya ne voyait aucune contradiction entre sa thèse et ses objectifs d'une part, et la société de Damas d'autre part. Bien au contraire, celle-ci, par sa position économique, sociale, politique et intellectuelle, était toute désignée pour épouser sa thèse.

 

Alors que l'objectif de Muawiya consistait à fonder et à présider un «royaume-empire» n'ayant pas vraiment d'attaches religieuses, celui de l'Imâm 'Alî était de faire face à une déviation chronique datant de l'époque du Prophète (P) et qu'il devait impérativement éliminer.

 

3- La position que l'Imâm occupait avant l'accession au Califat et avant qu'il n'engageât la bataille contre Muawiya, différait de celle qu'occupait Muawiya avant cette bataille.

 

En effet, les fidèles ont conçu, dans leur esprit, l'Imâm 'Alî comme tout autre calife (au sens officiel du Califat) avant qu'il n'accédât au pouvoir. Cette conception consistait à ne considérer l'Imâm que comme un Compagnon vénérable qui avait rendu de nobles services du vivant du Prophète (P), tout comme n'importe quel autre Compagnon ayant rendu des services similaires.

 

L'Imâm 'Alî s'est élevé contre cette tendance dès le début, et a protesté contre les résolutions de Saqîfah visant à négliger sa thèse sur le leadership intellectuel et politique et à confier le pouvoir à d'autres que lui. C'est pourquoi il s'est abstenu de prêter le serment d'allégeance à Abû Bakr durant six mois. (8)

 

Mais les Musulmans résignés au fait accompli, et soumis à l'influence de la politique du pouvoir des trois premiers califes, ont persisté à appliquer à 'Alî la conception officielle du Califat. Vu cette appréciation, beaucoup de Compagnons s'estimaient être sinon dans la même position que celle de 'Alî, du moins, dans une position voisine.

 

Comme lui, ils étaient des compagnons du Prophète. Comme lui, ils avaient puisé leur savoir dans celui du Prophète. Même s'ils concédaient - dans les meilleures hypothèses - que l'Imâm était le plus dévot et le plus savant d'entre eux, la différence qui les en séparait, n'était selon eux, qu'une question de degré.

 

Cette situation ne prévalait pas dans la société de Damas qui ne connaissait d'autre leader que Muawiya Ibn Abî Sufian. En effet, les habitants de Damas s'étaient convertis à l'Islam sous le gouvernement du frère de Muawiya, Yazid Ibn Abî Sufian qui fut nommé par Abû Bakr, comme gouverneur. Lorsqu'il mourut, c'est son frère qui le remplaça. (9)

 

Par conséquent ces habitants considéraient Muawiya avec respect et estime, puisque c'était grâce à lui et à son frère qu'ils étaient passés du polythéisme à l'Islam.

 

Les Omayyades ont exploité ce fait lorsqu'ils ont combattu al-Hussain qu'ils considéraient comme un hérétique, rebelle à la légalité du «pouvoir légitime». S'ils sont parvenus à s'assurer le soutien de leurs concitoyens, c'est parce qu'ils avaient constaté qu'ils pouvaient compter sur leur appui religieux. (10)

 

On peut remarquer donc que les gens et les notables de Damas avaient une vision différente de celle que les iraquiens avaient de l'Imâm 'Alî.

 

Cette différence dans la vision des deux communautés, de leurs imâms respectifs - Mu'awiya et 'Alî - a eu pour conséquence ce qui suit: alors que 'Alî se heurtait constamment à des avis et des opinions contradictoires de la part de ses fidèles, et souvent au refus de son point de vue, Muawiya bénéficiait de l'obéissance totale de ses sujets.

 

4- Le procès que faisait l'Imâm 'Alî à Muawiya n'était pas au niveau de «la sensation» (11) mais de «la conscience». Or, tous les Musulmans n'étaient pas conscients.

 

Car «la plupart des gens comprennent la réalité sous l'influence des interprétations superficielles - qui avoisinent la sensation - basées sur des facteurs facilement perceptibles, et ne se donnent pas la peine de chercher ce qu'il y a au-delà de la réalité sensible, ni de connaître les motifs lointains, de nature missionnaire, (12) qui auraient contribué à la création de cette réalité». (13)

 

En revanche, le procès que Muawiya fait à 'Alî se situait au niveau de «la sensation». Or, la plupart des gens vivent l'état de «la sensation» et peu d'entre eux, celui de «la conscience» missionnaire.

 

Notes :

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1- Nous ne pouvons que nous étonner et nous attrister devant ces allégations qui se veulent scientifiques et objectives en faisant croire que ce conflit constitue l'une des étapes de l'édification de l'Etat et que Muawiya était un homme d'Etat, un bon politicien ingénieux qui a suivi une politique réaliste habile face à des politiques utopiques adoptées par ses adversaires, les défenseurs de la justice sociale et de la dignité humaine. Car il ne faut pas oublier que l'Etat Omayyade n'a pas vécu longtemps. Il n'a pas tardé à s'écrouler sous les coups des révoltés.

2- "les libérés": ce sont les polythéistes de Quraych, capturés à la suite de la Conquête de la Mecque et qui furent graciés et libérés par le Prophète.

3- "La Droite et la Gauche en Islam", par Ahmad 'Abbas Salih, p. 30.

4- Idem, p. 138.

5- Idem, p. 142.

6- Voir: "Le Domaine administratif".

7- "La Révolution d'al-Hussain", Muhammad Mahdi Chams al-Dine, p. 46.

8- "La Protestation" ("Al-ihtijaj"), par al-Tabari.

9- "Les Artisans de l'Histoire Arabe", Dr. Philippe Hatti.

10- "L'Etat Arabe, sa chute", Wellhausen et al-Tabari, Tom. V, p. 331.

11- Perception ou compréhension immédiate et par les sens; ce qui est perçu immédiatement, ce qui est tangible.

12- Qui se préoccupe des exigences du Message islamique.

13- "Des Notions Islamiques Générales", 5e cycle, Sayyed Muhammed Hussain Fadhlallah, p. 43.

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