La Nature de l'attitude de l'imam Ali et celle de Mu'awiya face au conflit (2)

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La Nature de l'attitude de l'imam Ali et celle de Mu'awiya face au conflit (2)
Pour traiter de la nature du conflit entre l'Imâm Ali et Muawiya, il y a plusieurs indications et points qu'il faut prendre en considération:(2)

 

L'Imâm 'Alî disait: «Muawiya ne représentait aucune des lignes de l'Islam et de son grandiose Message. Il ne représentait que le préislamisme (jahiliyya) de son père Abû Sufian. Il voulait saboter l'entité islamique et transformer la société islamique en une tout autre société qui ne croit ni à l'Islam ni au Coran. Il cherchait à forger le Califat à l'image des empires de César et de Cyrus».

 

En revanche, le procès de Muawiya contre 'Alî se résumait ainsi: «L'Imâm a incité les gens à se révolter contre 'Othmân, alors que celui-ci était le calife légitime. Ses partisans et sa famille étaient à la tête des révoltés contre 'Othmân. Il s'est servi de ceux-ci pour assassiner 'Othmân et prendre sa place».

 

Muawiya s'est accroché à cette thèse «sensualiste» pour faire le procès de 'Alî, dissimulant, ainsi, son objectif réel. Il en est résulté que les discussions sur le prétexte invoqué par cette thèse, se sont amplifiées pour éclipser le vrai problème. (14)

 

Dans quelle mesure, les allégations de Muawiya étaient-elles crédibles au niveau de «la sensation» ? Qui pouvait mettre en doute les dires de Muawiya sur des Compagnons, tels Muhammad Ibn Abû Bakr, Abû Tharr al-Ghifâri, Ammâr Ibn Yâcer, Mâlik al-Achtar, Muhammad Ibn Huthaifa, 'Ubaidallah Ibn Mas'ûd et bien d'autres qu'il accusait d'avoir entrepris l'assassinat de 'Othmân et qui constituaient l'appui populaire du régime de l'Imâm 'Alî?

 

Ammâr attaquait publiquement le calife Othmân; Abû Tharr incitait les pauvres à se révolter, accusait ouvertement 'Othmân et ses gouverneurs de sortir de la Chari'a islamique et appelait les riches à cesser de thésauriser, jusqu'à ce que 'Othmân l'ait exilé à Damas, sous la surveillance de Mu'awiya; Muhammad Ibn Abî Huthaifa et Muhammad Ibn Abû Bakr lançaient en Egypte le même appel que celui d'Abû Tharr; à Kûfa, al-Achtar a attaqué violemment le régime de 'Othmân, l'accusant d'injustice et de tyrannie. (15)

 

Que peut en conclure «la sensation», sinon que 'Alî a tué 'Othmân d'une main, et s'est emparé du pouvoir, de l'autre?

La thèse de Muawiya était relativement admissible, parce qu'elle était proche de «la sensation».

 

Quant à l'interprétation réelle de l'attitude de 'Alî vis-à-vis de Muawiya, elle nécessitait un degré plus élevé de conscience.

 

Aujourd'hui, nous pouvons porter sur Muawiya un jugement de réalité et le voir à nu, en nous rappelant ce qu'il a dit lorsqu'il est monté sur la chaire, l'Année de Jama'a. (16)

 

«Ce n'est pas pour vous inciter à prier, à faire le jeûne et le pèlerinage que je vous ai combattus, mais pour être votre maître et vous commander. Dieu m'a accordé ce que je voulais, malgré vous». (17)

 

Nous pouvons encore mieux le juger, ayant appris comment il a empoisonné l'Imâm al-Hassan et désigné son fils, libertin et débauché, Yazid, pour sa succession, défiant et ignorant, ainsi, le traité de réconciliation qu'il avait conclu lui-même avec sa victime. Muawiya a dit à ce propos: «J'ai promis de donner à al-Hassan beaucoup de choses, mais je les foule toutes sous mes pieds. Je ne tiendrai aucune de mes promesses. Je passe l'éponge sur tout bien dépensé et tout sang versé lors de cette émeute. Toute clause signée, je la foule sous mes pieds». (18)

 

Nous, nous pouvons juger Muawiya à travers ces critères et ces considérations, puisqu'il a disparu et qu'il appartient désormais à l'Histoire. Quant aux masses musulmanes de l'époque, elles ne le jugeaient pas comme nous le jugeons maintenant, car elles n'avaient pas vécu ces événements avec la même clarté que nous.

 

Si nous pouvions faire abstraction de l'histoire de Muawiya, en nous contentant de le regarder sans cette histoire (c'est-à-dire avec la vision des masses inconscientes qui avaient vécu sous Abû Bakr, 'Omar et 'Othmân et les avaient préférés à l'Imâm 'Alî) nous penserions comme elles - qu'il était l'un des Compagnons du Prophète (P), l'un des protégés du calife Abû Bakr qui lui confia le commandement de son armée pour la conquête de la Syrie, qu'il fut nommé plus tard, gouverneur de cette province par le calife 'Omar qui avait beaucoup de confiance en lui, sans oublier que celui-ci était très vénéré par les masses.

 

Ce Muawiya-là n'est donc pas le Muawiya que nous connaissons aujourd'hui.

 

Muawiya réclamait à 'Alî les assassins de 'Othmân, et l'accusait d'avoir incité à son assassinat. Il disait que 'Alî était en principe en mesure de rendre justice à 'Othmân en arrêtant et condamnant ses assassins. S'il en était incapable, il ne serait donc pas en mesure d'appliquer la chari'a et devrait par conséquent se démettre et céder sa place à quelqu'un de plus compétent que lui pour gouverner les Musulmans. (19)

 

Ainsi se résume donc le procès que Muawiya faisait à 'Alî. Et c'est en raison d'une série de circonstances complexes et d'équivoques qui l'entouraient, qu'un germe de suspicion fut conçu progressivement dans la société de 'Alî, cet Imâm grandiose qui a mené son combat à travers cette même société, pour corriger la déviation née à l'intérieur ou évoluant à l'extérieur, et voulu faire comprendre aux masses qu'il dirigeait, que ce combat n'était ni de caractère à satisfaire son intérêt pour le leadership, ni de nature à servir sa tribu, son clan ou ses gloires personnelles, mais le combat de l'Islam contre les jahilites de la terre, celui de la sauvegarde du Dépôt de Dieu pour lequel des dizaines de milliers de prophètes et de réformateurs ont lutté.

 

Alors que l'Imâm s'efforçait de rendre les masses conscientes du motif réel du combat et de sa nature sacrée, ces mêmes masses ont pris le chemin opposé en émettant des doutes sur sa vraie raison d'être. Il en est résulté que plus l'Imâm les appelait à lui obéir et à s'engager dans la bataille contre Muawiya, plus elles s'entêtaient et insistaient sur leur position. Il leur a dit à ce propos:

 

«Je remercie Dieu de ce qu'IL a décidé et imposé, et de la tâche épineuse - d'avoir à faire à vous - qu'IL m'a confiée: «O vous qui désobéissez lorsqu'on vous ordonne, qui ne répondez pas si l'on vous appelle. Si on vous néglige, vous faites des bêtises et lorsqu'on vous combat, vous flanchez». (20)

 

En fait, ces masses ont été atteintes par la fatigue et épuisées par le jihad(21), après avoir offert d'énormes sacrifices que beaucoup d'autres sociétés n'auraient pu consentir. Mais leur effort pour le jihad n'était pas de longue haleine. La déviation s'avérait être plus tenace.

 

Ces masses fatiguées et épuisées par la longue marche du jihad commencèrent à se sentir dans un état anormal, à sentir qu'elles avaient divorcé de ce bas-monde, de leurs familles, de leurs enfants et de leurs biens, pour une cause qui ne touchait pas directement à leurs intérêts personnels, et enfin à inspirer le doute à elles-mêmes. Car, le relâchement inspire le doute à l'homme ou le provoque en lui.

 

Le désir de ces masses d'arrêter les guerres et de mettre fin à l'effusion de sang a créé en fait un doute illogique, doute à la création duquel beaucoup de facteurs et d'influences ont contribué. En voilà quelques-uns:

 

1- Des compagnons qui étaient considérés par les fidèles comme des pieux doctrinaires et idéalistes, laissaient croire aux masses qu'il n'était pas bon de s'engager dans ce combat et que: «Celui qui y reste assis est mieux que celui qui s'y tient debout, celui qui s'y endort est mieux que celui qui y demeure éveillé, celui qui y marche est mieux que celui qui y court».

 

2- Les fidèles étaient beaucoup plus sensibles à la suggestion d'Abû Moussa al-Ach'ari qu'à celle de Ammâr Ibn Yâcer. Car le premier les incitait à préserver leur vie, à s'éloigner des dangers, à rester chez eux, à s'écarter de l'Islam et à éviter ses risques et ses ennemis, le second les appelait à poursuivre le jihad, à abandonner ce bas-monde et ses plaisirs et à sacrifier leur vie.

 

Ammâr Ibn Yâcer était un Compagnon notoire, Abû Moussa aussi - du moins à leurs yeux. Celui-ci leur demandait de survivre, celui-là de mourir!

 

Tout homme normal et simple préférait le conseil d'Abû Moussa à celui de Ammâr, car il tenait à sa vie, si insignifiante fût-elle, sous l'ombre du régime jâhilite de Muawiya et de ses idoles.

 

3- Il y avait également le facteur du conflit traditionnel entre les Omayyades et les Banî Hâchim. Ce conflit s'est prolongé à l'époque islamique et a contribué à renforcer le doute en question.

 

En effet, les gens se sont mis à se creuser le cerveau en cherchant un point faible dans le combat engagé, pour justifier leur défaitisme et leur défection. Ils ont fini par trouver ce qu'ils cherchaient dans ce conflit. Ils se sont efforcés de répandre l'idée selon laquelle le combat de 'Alî n'était que la continuation du conflit traditionnel (historique) entre les Omayyades et les Banî Hâchim.

 

Ces facteurs et bien d'autres ont fini par faire planer le doute sur le combat mené par l'Imâm 'Alî, et conduire les masses à ne pas percevoir clairement le caractère idéaliste et missionnaire de la lutte. L'Imâm 'Alî, constatant le refus des fidèles de s'engager dans le jihad, s'est adressé à eux, de sa chaire, en ces termes:

 

«Par Dieu! Est-ce possible qu'à ce point, ni la religion ne vous réunisse ni la fierté ne vous meuve?! Il n'est donc pas étonnant de constater que lorsque je vous demande - à vous qui êtes les héritiers de l'Islam et les notables des fidèles - de l'aide ou un peu de sacrifice, vous vous éloignez de moi et vous vous mettez en désaccord à mon sujet, tandis que lorsque Muawiya appelle des gens grossiers et de basses conditions morales, ils le suivent sans demander en contrepartie ni aide ni rétribution!». (22)

 

Ou encore: «Ouf! J'en ai assez de vous blâmer! Comment avez-vous accepté de substituer ce bas monde à l'au-delà, et l'humiliation à la fierté? Lorsque je vous appelle au jihad contre votre ennemi, vos yeux se tournent, comme si vous étiez dans l'abîme de la mort et l'ivresse de la stupéfaction... Par Dieu, si la guerre venait à s'attiser et la mort à se présenter, vous vous écarteriez de moi comme une tête qui se fend en deux irréversiblement». (23)

 

L'Imâm avait beau essayer de susciter leur détermination et leur fierté, ses efforts étaient vains. Car ils étaient imprégnés de doute. Or, douter du Commandant, c'est le coup le plus dur qu'on puisse infliger à un Commandant sincère, et c'est également le plus grand danger auquel s'expose l'Umma qu'il dirige.

 

L'amertume et les peines profondes que l'Imâm ressentait à cause de ce doute, sont très manifestes dans son combat.

 

L'Imâm s'en plaignait auprès de Dieu: «Mon Dieu! J'en ai assez d'eux et ils en ont assez de moi. Je suis las d'eux et ils sont las de moi. Remplace-les pour moi par d'autres, meilleurs qu'eux. Et mets à leur tête, au lieu de moi, quelqu'un d'autre, moins bien que moi. Mon Dieu fait suinter leurs cœurs comme le sel suinte dans l'eau». (24)

 

Mais malgré ce vent de doute qui soufflait violemment, l'Imâm n'a ni fléchi ni reculé. Il est resté sur ses positions, poursuivant l'action de mobilisation pour mener le jihad contre Mu'awiya et le schisme jusqu'à la dernière année de sa vie. Et même jusqu'au dernier jour de sa noble vie, lorsqu'il fut assassiné dans la mosquée de Kûfa alors qu'il était au sommet de l'effort en vue de mettre fin à la dissidence, puisqu'il venait de constituer les noyaux d'une armée formée et approvisionnée spécialement pour se diriger vers la Syrie et écraser le camp dissident de Muawiya.

 

Avec le martyre de l'Imâm. les forces révisionnistes ont mis fin à la dernière lueur d'espoir de revenir à la ligne juste de l'Expérience islamique, espoir de ces Musulmans conscients, qu'incarnait le grandiose Imâm qui a vécu, dès le premier moment où il avait accédé au pouvoir, les préoccupations et les peines de l'Appel(25) et qui a participé à son édification, brique par brique, et dressé avec le Messager, sa citadelle, durant toutes ses étapes.

 

Notes :

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14- "La Gauche et la Droite en Islam", op. cit., p. 116.

15- "Daïrat al-Ma'ârif ...", op. cit., p. 97.

16- L'année de la réunion (de la réconciliation entre l'Imâm al-Hassan et Mu'awiya).

17- "A'yân al-Shi'a", Tom. IV, p. 26. Voir aussi: Ibn Abî Hadid.

18- Idem.

19- "Les artisans de l'Histoire Arabe", op. cit., p. 65.

20- "L'Explication de Nahj al-Balâghah", Ibn Abi Hadid, Tom. X, p. 67.

21- Jihad: lutte missionnaire.

22- "L'explication de Nahj al-Balâghah", Ibn Abî Hadid, Tom. X, p. 67

23- Idem ibid, Tom. II, p. 189.

24- Idem ibid, Tom. I, p. 332.

25- L'appel à l'Islam lancé par le Prophète(P).

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