Plus de deux ans après le déclenchement du mouvement qui a conduit à ce que l'on a appelé les «printemps arabes» selon les milieux médiatiques occidentaux et «l'éveil islamique» selon certains grands penseurs du monde musulman, la Tunisie, l'Egypte et la Libye cherchent toujours leurs la voie de la démocratie et de la stabilité politique.
Ailleurs, où les soulèvements populaires caractérisés par le vœu de l'instauration des valeurs religieuses ont eu lieu, le verdict des urnes ( en Egypte) ou autres signaux (en Libye) montrent qu'il faudra compter tout autant avec les partis religieux, soit parce qu'ils constituent, après des années de lutte contre la dictature, une «marque repère» dans le nouveau contexte politique pluraliste (les Frères musulmans en Egypte), soit parce que dans un contexte plus chaotique encore (comme en Libye) des acteurs avancent des références culturelles fortes, à l'image de la charia.
Se fondant sur le message d'islam, les partis islamistes se trouvent devant une lourde responsabilité en général, à savoir la gouvernance de leur pays selon les enseignements de l'islam. Dans le cadre d'une analyse plus détaillée, il faut dire que la rentrée de ces partis dans le jeu démocratique leur impose au moins une double responsabilité:
D'abord par rapport à l'image de l'islam; Car ces mouvements sont conduits vers le pouvoir, bien que via les urnes, sur la base du message d'islam en tant qu'une religion légitimement porteuse des espoirs des plus opprimés. Ainsi disant, si les islamistes au pouvoir n'arrivent pas à réaliser les valeurs islamiques et à concrétiser les objectifs et les bienfaits d'islam dans la gestion de la société, c'est l'image de l'islam qui est réduite sur le plan international comme sur le plan interne de ces pays. De ce point de vue l'exemple de l'Iran est à souligner. La gestion de la société iranienne par les dirigeants islamiques pendant trois décennies écoulées après la révolution islamique de 1979, démontre un succès dont les éléments se trouvent dans les bilans culturels, politiques, économiques, scientifiques et même sportifs de ces dernières années. Le développement de l'Iran sous le régime islamique dont les scènes sont même visibles dans les régions rurales les plus éloignées de ce pays, en est un autre signe.
La seconde responsabilité des islamistes à l'épreuve du pouvoir, porte sur le sens même du pouvoir islamique en route de devenir un modèle de pouvoir alternatif aux démocraties libérales. Les pays arabes où les révolutions ont abouti, ont sérieusement, pour la première fois la probabilité de construction d'une démocratie réelle, et non plus formelle, et cette fois basée sur les valeurs islamiques.
Dans ces sociétés musulmanes dans lesquelles, l'éducation politique s'inspire de la tradition, et la tradition repose sur les fondements de la religion islamique qui fait partie intégrante des principes constitutifs et des finalités de la vie quotidienne et politique, peut-on assister à une démocratie musulmane?
Il est vrai que la victoire électorale du parti Ennahda en Tunisie, et celle du parti « la liberté et justice» en Egypte, ouvrent une perspective nouvelle dans le monde arabe. C'est la première fois que l'Etat garantit un scrutin libre et pluraliste (en Algérie en 1992 l'armée n'a pas hésité à mettre à un coup d'arrêt brutal au processus électoral.
Sauront-ils gouverner dans la durée? Cette question est politiquement la plus importante pour l'avenir du mouvement islamique. Si Ennahda et «la liberté et justice» parviennent à instaurer un Etat digne des valeurs islamiques, répondant aux vrais besoins mondains et spirituels des peuples musulmans de Tunisie et d'Egypte, le monde entier pourra assister à un modèle de pouvoir islamique, inspirant même les autres nations musulmanes ou non musulmanes. Le contexte historique dans lequel ces partis accèdent au pouvoir leur confère la responsabilité de faire la démonstration que l'on peut être islamiste et démocrate sans renier son identité.
En ce sens, les islamistes peuvent être également porteurs de modernité parce qu'ils tenteront de ramener dans la sphère publique la question de l'unité des musulmans d'autant par conviction que par calcul politique, en s'appuyant sur les fondements qui constituent la tradition.
C'est une perspective nouvelle qui s'ouvre et qui pourrait rouvrir le débat sur la centralité de l'islam au sein de l'Etat, non pas seulement dans les pays à majorité musulmane mais aussi chez toute autre nation ayant envie de salut.