L’US Navy est une force énorme mais largement basée sur des groupes de porte-avions que l’armement moderne a peut-être rendus obsolètes
Les Etats-Unis aiment à se voir comme les maîtres des océans de la planète. Après tout, le pays – qui dépense dix fois plus pour ses forces militaires que les neuf pays suivants réunis – est de loin la plus grande force navale. Et comme depuis la guerre du Vietnam, ils n’ont agressé que des adversaires militairement inférieurs, ils sont extrêmement confiants dans leur conviction qu’ils peuvent vaincre tout le monde tout le temps. Il n’est pas surprenant que certains jeunes Américains portent même des T-shirts avec le logo : United States Navy : la mer est à nous.
Pour répondre à cette fierté et à cette arrogance, peut-être faut-il l’aborder avec une certaine compréhension au vu de la supériorité numérique de l’US Navy. Au total, elle compte actuellement dix porte-avions opérationnels (deux en réserve), tandis que la Russie et la Chine n’en ont qu’un seul chacune.
Les porte-avions sont la grande fierté de la marine américaine, ils sont également parfaits pour rendre visuellement manifeste son droit à régner sur les mers. Ils sont donc bien aimés par les présidents américains, comme des décors d’où ils peuvent prononcer des discours quand vient le temps de dire aux gens que cette nation unique a une fois de plus remporté une victoire héroïque.
Quel moment passionnant, en effet (au moins pour les Américains), lorsque George W. Bush a atterri dans un avion de chasse sur l’USS Abraham Lincoln (non, pas en tant que pilote), puis, avec la banderole mission accomplie et un good job bien senti, annonçait au peuple la fin de la guerre en Irak . Comme nous le savons, la destruction de l’Irak a été menée par les Américains sous le label de l’opération Iraqi Freedom. Nous pouvons encore nous demander ce que la liberté avait à voir là-dedans, mais c’est une autre histoire.
En plus de leur intérêt comme impressionnantes estrades pour un orateur, les porte-avions remplissent aussi, bien sûr, un but militaire. Ils peuvent être considérés comme de petits aéroports flottants, qui peuvent expédier jusqu’à cent avions de chasse sur la scène des opérations. Comme ils sont équipés des meilleures armes, de radars et de systèmes de défense, ils n’ont jusqu’à ce jour connu presque aucune menace, d’autant plus que dans le passé l’US Navy stationnait de préférence au large des côtes d’États déserts et sans défense.
Mais que se passerait-il si la puissante l’US Navy rencontrait ses pairs ? Le titre de cet article donne déjà la réponse : pas très bon, et il se pourrait que les fans de l’US Navy patriotique aillent rapidement cacher leurs T-shirts dans le placard.
Retour dans les années 1970. L’amiral Rickover, le père de la marine nucléaire, a dû répondre à la question suivante devant le Sénat américain : « Combien de temps nos porte-avions pourraient-ils survivre dans une bataille contre la marine russe ? » Sa réponse a causé la désillusion : « Deux ou trois jours avant qu’ils ne coulent, peut-être une semaine s’ils restent au port. »
La raison de la durée de vie fortement réduite du porte-avion dans une bataille contre les Russes est l’existence d’un danger mortel sous l’eau : les sous-marins modernes – surtout les russes – sont si puissants et difficiles à localiser qu’ils peuvent envoyer de gros cuirassés et porte-avions par le fond en un clin d’œil. La faiblesse de l’US Navy est leur vulnérabilité quand ils sont en concurrence avec un ennemi qui – en utilisant le langage des Américains – domine les mers en dessous de la surface de l’eau. Bien sûr, les analystes militaires américains sont conscients de cette faiblesse, donc on se demande pourquoi l’US Navy adhère encore à la doctrine du plus c’est gros, plus c’est beau et continue de s’appuyer sur une armada de porte-avions et de navires de guerre.
Le colonel Douglas McGregor, un vétéran de combat médaillé, auteur de quatre livres, doctorant et analyste militaire, donne la réponse : « Stratégiquement, cela n’a aucun sens, mais la construction de grands navires, bien sûr, crée beaucoup d’emplois. »
Donc la menace des sous-marins russes, des torpilles et des missiles anti-navires est bien connue par les Américains – un fait que le livre de Roger Thompson, Leçons non apprise : La culture du statu quo dans l’US Navy, souligne également. Un bref extrait :
En 2003, Howard Bloom et Dianne Star Petryk-Bloom ont averti que tant les Russes que les Chinois ont maintenant le missile mortel SS-N-22 Sunburn à leur disposition. Ce gros missile à longue portée, équipé d’ogives nucléaires ou conventionnelles, est extrêmement difficile à détecter et donc à détruire. Selon le Groupe d’information de Jane, il est plus que capable de couler n’importe quel porte-avions américain. Plus précisément, Timperlake (un diplômé de l’Académie navale) et Triplett ont prévenu que le missile Sunburn est conçu pour faire une seule chose : détruire les porte-avions américains et les croiseurs de la classe Aegis.
Le missile SS-N-22 rase la surface de l’eau à deux fois et demi la vitesse du son jusqu’à ce que, juste avant l’impact, il se relève et pique tout droit sur le pont du navire. Son ogive nucléaire de deux cents kilotonnes a presque vingt fois la puissance explosive des bombes atomiques larguées sur Hiroshima. La marine américaine n’a aucune défense contre ce système de missile. Comme a dit l’amiral à la retraite Eric McVadon : « C’est assez pour couler deux fois la 7e Flotte US (Pacifique). »
En plus de cette notion liée à la faiblesse presque inévitable des grands navires de guerre, il y a une autre raison à la vulnérabilité de l’US Navy et aux forces armées des États-Unis en général : leur arrogance et la sous-estimation corrélative de leurs adversaires. Toute personne qui sous-estime son ennemi est poussée à l’imprudence et détient les mauvaises atouts dans le cas d’une attaque surprise. Ce qui s’est passé en 2000, lorsque le porte-avions américain USS Kitty Hawk a été pris à contre-pied par les Russes.
Voici quelques extraits de l’article de Jon Dougherty, « La Marine russe prend Flyover par surprise » (World Net Daily) :
Une paire d’avions de chasse russes qui ont fait au moins trois passages à grande vitesse au-dessus d’un porte-avions américain stationné dans la mer du Japon en octobre a constitué une menace beaucoup plus grave que le Pentagone a bien voulu l’admettre ; les avions russes étaient facilement en mesure de détruire le vaisseau s’ils avaient eu des intentions hostiles, dit le personnel de la Marine.
Selon les rapports, le 9 octobre, une force aérienne russe composée d’un Su-24 Fencer et d’un Su-27 Flanker a survolé le USS Kitty Hawk à basse altitude sans rencontrer d’opposition, alors que le navire était en cours de ravitaillement.
Le 9 novembre, des chasseurs et des avions de reconnaissance russes ont fait une deuxième tentative pour se rapprocher du porte-avion, une répétition pour laquelle le Pentagone, ainsi que des témoins oculaires à bord des navires, ont déclaré que le navire avait été préparé. Mais c’était le premier incident en octobre qui avait causé l’alarme.
Le porte-parole du Pentagone, Kenneth Bacon, a déclaré lors d’une conférence de presse régulière le 30 novembre que les chasseurs russes ont été détectés sur le radar bien avant leurs survols à grande vitesse. Des officiers de marine à bord des navires qui ont parlé de l’incident sous la condition de l’anonymat, étaient d’accord avec cette version.
Cependant, au moment où le centre d’information de combat du porte-avions a alerté le commandant du navire, le capitaine Allen G. Myers, que les chasseurs russes étaient en vue, aucun des avions du navire n’était en vol. Le navire transporte 85 avions, selon les chiffres de la Marine, et a un équipage de plus de 5500 hommes.
Des témoins ont déclaré que Myers a immédiatement ordonné le lancement des avions d’alerte, mais l’escadron de chasse en alerte était dans le statut Alerte-30 - un temps de lancement minimum de 30 minutes où les pilotes sont dans la salle d’attente, mais ne sont pas dans les cockpits prêts à décoller.
Bacon, le porte-parole de l’US Navy, a seulement déclaré aux journalistes qu’il y a « peut-être eu un léger retard » pour envoyer les intercepteurs, expliquant que parce que le Kitty Hawk se ravitaillait en carburant, il ne naviguait pas assez vite pour lancer ses avions.
Un officier de la marine à bord du navire a déclaré : « Quarante minutes après que le CO [Officier commandant] a suspendu l’état d’alerte,les avions russes ont effectué un nouveau passage à 500 noeuds, à 200 pieds d’altitude, juste au-dessus de la tourelle du porte-avion. »
Avant que le Kitty Hawk n’ait pu faire décoller un seul chasseur, les chasseurs russes ont fait deux autres passes. Pire, selon des témoins, le premier avion sur le pont était un EA-6B Prowler – un appareil utilisé principalement pour le brouillage électronique des radars et des défenses aériennes de l’ennemi, pas un chasseur capable d’intercepter un autre avion de guerre.
« Le EA-6B a fini dans un un-contre-un avec un Flanker juste en face du navire, a déclaré un témoin. Le Flanker était sur lui... Il hurlait à l’aide quand enfin un Hornet F/A-18 de notre escadron a quitté le pont et fait l’interception. Il était trop tard. »
Des personnels de la marine ont noté que « l’ensemble de l’équipage regardait au-dessus de leurs têtes pendant que les Russes s’amusaient de notre incapacité à les intercepter ».
L’administration Clinton a minimisé l’incident... La BBC, cependant, a dit qu’il était évident, au vu des photographies prises par les jets russes, qu’il y avait panique à bord quand les avions ont fait leurs survols.
Nos lecteurs américains vont maintenant peut-être dire que cet incident humiliant s’est produit il y a 15 ans et qu’une telle chose n’est plus possible de nos jours. Mais la plupart des lecteurs de Russie Insider se souviennent des événements d’avril 2014, lorsque le destroyer ultra-moderne USS Donald Cook a été paralysé par un seul SU-24.
Pour les lecteurs qui, malheureusement, ont raté l’histoire, la voici. Au début du mois d’avril l’année dernière, les Américains ont envoyé l’USS Donald Cook dans la mer Noire, avec l’autorisation de la Turquie, pour protester contre l’annexion russe de la Crimée et démontrer leur force militaire. Le destroyer était équipé du système de combat Aegis le plus avancé, un des systèmes d’armes navales qui assurent la détection, le suivi et la destruction de plusieurs cibles en même temps. L’USS Donald Cook est aussi équipé de quatre grands radars, dont la puissance est comparable à celle de plusieurs stations. Pour sa protection, il transporte plus de 50 missiles anti-aériens de divers types.
Selon la Convention de Montreux, les navires de guerre des États qui ne sont pas riverains de la mer Noire sont autorisés à rester dans celle-ci pour un maximum de 21 jours. Les Américains, bien sûr, ont ignoré cette règle, et la Russie a répondu en envoyant un SU-24. Le Sukhoi n’était pas armé, mais équipé avec le dernier appareil de la guerre électronique, appelé Khibiny.
Lorsque le SU-24 s’est approché du destroyer, tous les systèmes de radar et de contrôle, les transferts d’information, etc., de l’USS Donald Cook ont été soudainement paralysés par Khibiny. En d’autres termes, le système Aegis apparemment supérieur était complètement hors-service, comme lorsque vous éteignez votre téléviseur avec la télécommande.
Par la suite, le SU-24 a simulé des attaques de missiles à basse altitude sur l’USS Donald Cook aveugle et sourd, et on peut imaginer que les deux pilotes des SU-24 ont eu beaucoup de plaisir. Malheureusement, à cette époque, il n’y avait ni John McCain, ni le commandant de l’Otan, Phillip Breedlove, à bord du navire – ils auraient certainement gardé des impressions durables de cette démonstration.
Après cet incident, l’USS Donald Cook a choisi de rentrer immédiatement et à pleine vitesse vers son port d’attache en Roumanie, où 27 membres de l’équipage en état de choc ont démissionné du service actif.
Cette histoire nous montre que les Américains surestiment encore largement les capacités de leurs forces armées et ne réalisent pas (ou ne veulent pas admettre) que la technologie militaire de la Russie est supérieure, dans de nombreux domaines, et dispose d’un avantage qui ne peut être compensé rapidement.
Donc, aussi longtemps qu’un seul avion de chasse russe peut désactiver un navire de guerre américain complet muni des derniers systèmes d’alerte et des missiles les plus sophistiqués en appuyant simplement sur un bouton, la réponse à la question Combien de temps l’US Navy peut-elle survivre ? est aujourd’hui la même qu’au bon vieux temps de la guerre froide.