Présentation d'un livre: ACHOURA Altérations et responsabilités par Ayatullah Murtaḍâ MUṬAHHARÎ

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Présentation d'un livre: ACHOURA Altérations  et responsabilités par Ayatullah Murtaḍâ  MUṬAHHARÎ

ACHOURA Altérations et responsabilités Murtaḍâ MUṬAHHARÎ Achoura : altérations et responsabilités Auteur : Murtaḍâ MUṬAHHARÎ (1920-1979) Traductrice : Shahrazed GUEHAM Révision et correction : L’équipe Booky Site internet : http://houssayn.fr Éditeur : Éditions Booky Première édition numérique - Septembre 2019 ISBN : 978-2-37657-012-7 Éditions Booky Antananarivo - Madagascar Tel : +261 32 86 651 31 Email : contact@editionsbooky.com Comment pouvez-vous désirer qu’ils croient avec vous, alors que certains d’entre eux ont sciemment altéré la Parole de Dieu, après l’avoir entendue ? Le Noble Coran, 2:75 TABLEAU DE TRANSLITTÉRATION أ - ء ب ت ة at (liaison) a (sans liaison) t b ’ ث ج ح خ kh ḥ j th د ذ ر ز z r zh d س ش ص ض ḍ ṣ sh s ط ظ ع غ gh ‘ ẓ ṭ ف ق ك ل l k q f م ن و ه h w n m ي ـــَــ ــَــا - ــَــى ـــُــ u â a y ـــُــو ـــِــ ــــِــي ال al- (lettres lunaires) at- (lettres solaires) î i û Note : les mots existants dans la langue française n’ont pas été translittérés, exemples : achoura, hadith. 7 SOMMAIRE PRÉFACE DE TRADUCTION ...................................... 8 INTRODUCTION ................................................... 15 CHAPITRE UN : DÉFINITION, FORMES D’ALTÉRATION ET ALTÉRATIONS VERBALES DANS L’ÉVÉNEMENT DE KARBALA ................................. 17 CHAPITRE DEUX : LES FACTEURS D’ALTÉRATION .. 59 CHAPITRE TROIS : LES ALTÉRATIONS SÉMANTIQUES DANS L’ÉVÉNEMENT DE KARBALA........................ 97 CHAPITRE QUATRE : NOS RESPONSABILITÉS FACE AUX ALTÉRATIONS ............................................. 133 ANNEXES ........................................................... 164 INDEX ................................................................ 173 SOMMAIRE DÉTAILLÉ ......................................... 178 8 PRÉFACE DE TRADUCTION Le martyre du petit-fils du Prophète de l’islam (p), Houssayn fils de ‘Alî (p), représente un des événements majeurs de l’histoire islamique. Le récit de cette tragédie est cultivé et perpétué chaque année à travers le monde, conférant à cet événement une place privilégiée mais aussi une position convoitée et détournée à d’autres fins. Ainsi, surviennent abus et intérêts exploités par les parties prenantes à l’enjeu, éloignant les gens de l’esprit noble et épuré du soulèvement de Houssayn. À travers les époques, certains savants prirent l’initiative de s’ériger et dénoncer les malversations commises, et de désapprouver ouvertement les altérations et exagérations incorporées afin de défendre l’histoire authentique, précisément celle relatée dans les sources fiables. Leur objectif est de préserver la vérité historique face aux déviances progressives et incurables, dans l’intention de faire pleinement profiter aux générations actuelles et futures les véritables enseignements de l’événement de Karbala. 9 Feu Cheikh Murtaḍa Muṭahharî compte parmi ces savants défenseurs de l’authentique et n’hésita ni à aborder publiquement la thématique ni à afficher et exposer sa conviction intime sur le sujet. PRÉSENTATION DE MURTAḌA MUṬAHHARÎ Le 3 février 1920 (13 bahman 1298), dans le village de Farimân, situé aux alentours de Mashhad, Murtaḍa Muṭahharî vit le jour. Son père, Houssayn, était un cheikh reconnu pour sa vertu morale et sa dévotion religieuse. Dès sa tendre jeunesse, Murtaḍa manifesta une grande prédilection pour les sciences islamiques, et devint très vite désireux d’intégrer le séminaire islamique pour la poursuite de ses études. Cependant, face à la politique fort virulente du Shah de l’époque (Reza Khan) envers les religieux, le jeune homme fut confronté à la désapprobation générale de sa famille hormis celle de son père et de son oncle maternel. Murtaḍa ne renonça pas à son souhait et intégra le séminaire islamique de Mashhad (ḥawza) à l’âge de douze ans. Après avoir étudié les cours préparatoires, il décida de s’installer à Qom en 1936, pour une durée de quinze ans. Il assista et participa activement aux 10 conférences d’éminents savants tels Ayatollah Burûjardî, Imam Khumaynî, Ḥâjj Mîrzâ ‘Alî Âghâ Shîrâzî et ‘Allâma Muḥammad Houssayn Ṭabâṭabâ’î. En 1953, c’est dans la ville de Téhéran qu’il s’investit et se consacra à divers travaux de recherches scientifiques et mouvements de propagations islamiques. L’année suivante, il produisit le commentaire d’une des plus importantes recherches en philosophie de son maître ‘Allâma Ṭabâṭabâ’î : Ûṣûl falsafeh va ravesh realîsm (les principes de la philosophie et la méthode du réalisme). Tout en menant ses activités religieuses, Cheikh Murtaḍa Muṭahharî s’impliqua ardemment dans les domaines socio-politiques. Lors du soulèvement du 15 khordâd 1342 (5 juin 1963), suite à la célèbre prise de parole de l’Imam Khumaynî le jour d’Achoura, Muṭahharî prononça un discours prenant tournure de violente diatribe à l’encontre du Shah d’Iran, qui lui valut d’être arrêté et jeté en prison. Également très sensible à la cause palestinienne, il démontra son engagement et l’opposition ouverte au sionisme lors de propos publics ; ce qui eut pour conséquence une deuxième arrestation. 11 Il participa à divers projets culturels et actions de propagations islamiques, dont le rôle de l’un des principaux fondateurs de la Houssayniyya Irshâd, en 1967. Trois ans plus tard, il se fit à nouveau arrêté par les hommes du régime du Shah, cette fois-ci, suite à un discours tenu dans le centre et dont le sujet était la revivification de la pensée islamique. En 1975, Muṭahharî fut interdit de tribune pour prêcher, mais continua d’œuvrer dans la voie qu’il avait construite et tracée en se concentrant sur l’écriture et l’organisation de rencontres restreintes à un milieu élitiste. Ses ouvrages et son intérêt portèrent sur un vaste panel de domaines, allant de la philosophie à l’économie, en passant par la philosophie de l’histoire ou encore la gouvernance d’un pays, au sein du séminaire islamique de Qom. Savant charismatique, grande tête pensante, exégète et philosophe de premier ordre, il détenait sa place parmi le noyau actif qui raffermit les bases idéologiques de la Révolution islamique en Iran. Son lien de proximité avec l’Imam Khumaynî et son statut d’homme de confiance de ce dernier l’exposait à bien des dangers. Cible d’un groupuscule terroriste, Cheikh Murtaḍa Muṭahharî 12 fut assassiné par attentat le 1er mai 1979. Sur demande de l’Imam Khumaynî, sa dépouille fut enterrée dans le sanctuaire de Fâṭima Ma‘ṣûma (p), à Qom, où il y repose toujours. HOMMAGES DE L’IMAM KHUMAYNÎ Le leader de la Révolution islamique iranienne, l’Imam Khumaynî, émit plusieurs messages et communiqués en hommage à son fils spirituel, Cheikh Murtaḍa Muṭahharî. Ils peuvent être consultés dans les annexes jointes en fin de livre. LA TRADUCTION DU LIVRE Le présent ouvrage regroupe les quatre sermons prononcés en persan par l’éminent savant, le martyr Cheikh Murtaḍa Muṭahharî, lors du mois de Muharram 1389 H (mars 1969 – farvardin 1348) à la Houssayniyya Irshâd à Téhéran (Iran). Ces sermons ont été retranscrits et publiés au deuxième chapitre du premier volume du livre « Hamâseh Houssayniyyeh ». La traduction a été intégralement et directement réalisée par Shahrazed Gueham à partir de la langue 13 persane, langue initiale du texte et des sermons d’origine. Le livre pris en référence est Hamâseh Houssayniyyeh, premier volume, paru par Majmu’eh Âthâr Shahîd Muṭahharî : cinquante et unième édition, mahr 1385 (septembre 2006), édité à Téhéran (Iran). Le souhait de produire une adaptation optimale de la retranscription des discours en persan à un français accessible et adapté à la lecture, tout en préservant la fidélité du texte originel, a été mis en œuvre par un groupe de correcteurs-réviseurs1 afin d’aboutir au résultat ci-présent. QUELQUES NOTES EXPLICATIVES : • Les titres des chapitres et sous-chapitres ont parfois été ajoutés et ajustés pour rendre une meilleure structure et lisibilité au texte. • L’abréviation (p) renvoie aux expressions « paix sur lui et sa famille » ou « paix sur lui/elle/eux ». • La translittération des noms et des mots arabes est conforme au tableau de translittération intégré en début de livre, à l’exception du 1 Zaïnoul Ali HEDARALY, Nachila MAMODE HOUSSEN, Rishma MAMODE HOUSSEN, Sabéra MOLOU, Mourtaza RADJAHOUSSEN, Sabera RADJAHOUSSEN. 14 mot (حسين (retranscrit par Houssayn au lieu de Ḥusayn, en écho volontaire au projet Houssayn.fr. L’équipe Booky Vendredi 6 septembre 2019, Antananarivo (Madagascar). 15 INTRODUCTION Par le Nom d’Allah, Le Tout Miséricordieux, Le Très Miséricordieux. Louange à Allah, Seigneur des mondes, Créateur de tous les êtres, que la bénédiction et la paix soient sur Son Serviteur et Envoyé, Bien-aimé et Élu, notre Maître et Prophète Abû al-Qâsim Muḥammad (p) ainsi que sur les gens purs et infaillibles de sa maison. Seigneur, je cherche refuge auprès de toi contre les turpitudes de Satan : {« Et puis, à cause de leur violation de l’engagement, Nous les avons maudits et avons endurci leurs cœurs : ils détournent les paroles de leur sens et oublient une partie de ce qui leur a été rappelé »} [5:13] Le sujet de notre étude concerne les altérations survenues à propos de l’événement de Karbala. Des altérations se sont produites en retraçant les faits historiques de ce grand événement, c’est pourquoi nous allons brièvement étudier cette thématique en quatre chapitres. 16 Dans le premier chapitre, nous aborderons la signification du mot « taḥrîf » et ses différentes formes, nous y indiquerons également les diverses distorsions engendrées sur les faits historiques du jour d’Achoura. Le deuxième chapitre traitera des facteurs responsables de ces altérations. Nous examinerons de façon générale les raisons pour lesquelles certains événements de ce monde subissent des distorsions, pourquoi l’être humain altère les faits et événements, parfois même les personnalités. Enfin, nous nous pencherons sur les facteurs responsables des distorsions produites, particulièrement sur les récits liés à l’événement de Karbala. Quant au troisième chapitre, il éclairera les altérations survenues sur ces faits historiques. Au dernier chapitre, nous ferons le point sur la responsabilité collective, celle des savants, mais aussi celle de l’ensemble des musulmans, face à ces altérations. 17 CHAPITRE UN : DÉFINITION, FORMES D’ALTÉRATION ET ALTÉRATIONS VERBALES DANS L’ÉVÉNEMENT DE KARBALA LA DÉFINITION DE « TAḤRÎF » En tout premier lieu, prime la signification du mot « taḥrîf » (altération). Que signifie-t-il ? Dans la langue arabe, le mot « taḥrîf » tient son origine de la racine « ḥa-ra-fa » qui signifie « dévier une chose de sa direction ou de son état initial ». En d’autres termes, le taḥrîf est une forme de changement ou de modification. Cependant, le terme taḥrîf ne consiste pas seulement à changer ou à modifier, mais implique aussi d’autres formes : dans le cas où, par exemple, une phrase, une lettre, un poème ou une expression a été modifié et que le sens n’est plus celui qui a été donné à l’origine, il est alors dit qu’un processus d’altération a été entrepris. 18 Envisageons le cas où vous avez prononcé des propos à untel et que celui-ci les transmette à une tierce personne. Plus tard, cette dernière vous rapporte que votre premier destinataire relaie vos propos mais vous constatez le décalage entre ce que vous aviez affirmé et ce que l’on vous rapporte. En effet, une partie a été supprimée alors qu’une autre a été ajoutée par ses soins. En conséquence, votre discours a été transformé et un autre résultat en a émergé. À ce moment-là, vous constatez qu’untel a altéré vos propos. De plus, spécifiquement lorsqu’il s’agit de documents officiels, il est dit qu’ils ont été altérés. Voici donc des exemples pour illustrer de manière limpide la définition du mot taḥrîf. Nulle nécessité d’approfondir ou d’étayer davantage l’acception de ce terme. LES FORMES D’ALTÉRATION L’altération prend plusieurs formes, dont les deux plus importantes sont l’altération textuelle ou distorsion verbale, et l’altération sémantique ou distorsion du sens. 19 La distorsion verbale consiste à déformer l’apparence d’un texte. Par exemple, supprimer les propos d’une formulation ou bien en ajouter. Ou alors formuler une phrase d’une manière à lui donner un sens différent. Déformer l’apparence du texte et des mots, c’est donc ce que l’on nomme « altération verbale ». La distorsion sémantique ne concerne pas la transformation des mots. Les mots restent les mêmes mais ils sont formulés de façon à ce qu’ils perdent le sens clair, précis et direct que l’auteur a voulu leur donner, en d’autres termes ils sont formulés de manière à être interprétés dans le sens contraire des intentions et objectifs de l’auteur. De ce fait, lorsque vous donnez l’explication de ces formulations, vous le faites selon votre propre intention et non selon le sens initial voulu par l’auteur, c’est alors une « distorsion du sens ». Le Saint Coran emploie particulièrement le terme « altération » à propos des juifs. D’ailleurs, en considérant les études historiques, il paraît évident que tout au long de l’histoire, ils détiennent la palme en matière de falsification. J’ignore ce qui pousse étrangement ce peuple à vouloir systématiquement 20 détourner et falsifier la réalité des faits mais cela expliquerait pourquoi ils prennent soin de choisir des domaines dans lesquels il est possible de déformer et d’altérer la réalité. J’ai entendu dire que certaines agences d’information reconnues dans le monde, dont journaux et médias rapportent les faits, sont contrôlées exclusivement par les juifs. Pourquoi ? Afin de pouvoir diffuser des faits à volonté et à grande échelle. Le Saint Coran l’évoque si singulièrement qu’il attribue cette caractéristique – d’altérer les éléments – au peuple Juif. Dans un verset de la sourate « La vache », Dieu déclare : {« Gardez-vous encore l’espoir de les voir un jour partager votre foi ? »}. Ô vous musulmans ! Espérez-vous vraiment qu’ils vous disent la vérité ? Ceux-là mêmes qui accompagnaient Moïse entendaient les paroles de Dieu, mais une fois qu’ils revenaient auprès de leur peuple pour les leur rapporter, ils en faisaient sens dessus dessous. {« Gardez-vous encore l’espoir de les voir un jour partager votre foi ? Alors que certains d’entre eux ont déjà altéré sciemment la Parole de Dieu, après en avoir bien saisi le sens ? »} [2:75] 21 Les falsifications dont ils étaient les auteurs, n’étaient pas causées par leur incompréhension (du sens) ou par l’inexactitude de ce qu’ils rapportaient, non ! Les juifs forment un peuple intelligent et ils comprenaient parfaitement, mais en dépit de cela, c’est autrement qu’ils exposaient aux gens les paroles et les discours. Voilà donc ce que signifie le mot falsifier : détourner, dévier une chose de sa trajectoire initiale. Ils falsifièrent donc les écrits des livres divins. Dans de nombreux passages du Saint Coran, ce sujet est mentionné soit par l’emploi du mot « taḥrîf », soit sous une autre forme explicite. Certains exégètes expliquent que les altérations pointées par le Saint Coran concernent aussi bien les distorsions textuelles que les distorsions sémantiques ; c'est-à-dire que certaines de ces altérations sont survenues sur les mots, tandis que d’autres, sur l’interprétation et le sens et non sur les mots eux-mêmes. Pour ne pas trop m’éloigner du sujet, je ne détaillerai pas davantage. Revenons donc aux différentes formes d’altération. 22 Voici une anecdote qu’il me plairait de vous raconter : un savant rapporte qu’à l’époque où il était encore jeune et résidait dans la ville sainte de Mashhad, le jour il apercevait un poète et chanteur d’élégies (maddâḥ) s’installer dans la mosquée de Gowharshâd ou dans la cour du mausolée, et réciter un poème lyrique (ghazal) dont l’auteur n’était autre que le célèbre Ḥâfeẓ. Il déclamait : Ô cœur ! Sois le serviteur du Roi du monde, et réjouis-toi Pour toujours, sois dans la grâce de Dieu Embrasse la tombe du huitième Imam ar-Riḍâ De la profondeur du cœur, et accroche-toi au seuil de son sanctuaire (Baregah) Le savant se leva, et pour se moquer du poète, alla vers lui et lui dit : « Pourquoi récites-tu faux mon cher ami ! Voici ce que tu devrais dire. » Au savant de reprendre à son tour les mêmes vers, mais il déforma le dernier mot en changeant une lettre, ce qui donna le mot « barekah » – au lieu de « baregah » – qui signifie « botte de paille ». Ce qui apportait un tout autre sens au poème. L’explication en était alors : dès votre arrivée au sanctuaire, jetez- 23 vous à terre de la même manière que vous jetteriez une botte de paille du dos d’un mulet. Depuis ce jour, chaque fois que le pauvre maddâḥ récitait ces vers en remplaçant baregah par barekah, il se jetait à terre. C’est ce que l’on appelle « altération ». L’ALTÉRATION DU SUJET Outre le fait que nous ayons l’altération verbale et l’altération du sens, il existe également l’altération du sujet qui, elle, est différente. Parfois, il se peut que l’altération se fasse sur une allocution ordinaire comme lorsque deux personnes rapportent des paroles, chacune en les altérant. Parfois, l’altération peut concerner un sujet social majeur, tel que l’altération des personnalités. Il existe, en effet, des personnalités dont les paroles et les actes font office d’autorité pour les gens. Leur conduite morale est un exemple à suivre. Par exemple, attribuer à l’Imam ‘Alî (p) des paroles qu’il n’a pas prononcées, ou leur donner un autre sens que celui qu’il avait souhaité leur donner ; attribuer au Prophète Muḥammad (p) ou à l’Imam (p) des habitudes ou des comportements qu’ils n’avaient pas ; ou alors, altérer un événement majeur, un événement historique qui est une référence 24 importante pour la société, un modèle moral et éducatif. Ce qui est très préjudiciable ! Combien cela est conséquent et néfaste que de voir des distorsions prendre forme, qu’elles soient textuelles ou sémantiques, surtout lorsque le sujet n’est pas un sujet ordinaire. Parfois, il se peut que quelqu’un procède à un changement dans les poèmes de Ḥâfeẓ ou dans la fable du chat et de la souris, cela ne produit pas tant de dommages, bien qu’il ne soit pas éthique de toucher à une œuvre littéraire de valeur, appartenant à autrui. Un jour, un professeur rédigea un article sur l’ouvrage intitulé « Le chat et la souris », un livre d’une très grande valeur du point de vue littéraire. Il démontra combien cette œuvre avait subi de transformations, tant de vers ôtés et ajoutés, de mots changés, au point où on ne pouvait se l’imaginer. Il ajouta ensuite que selon lui, il n’existait pas un peuple au monde aussi infidèle que le peuple iranien, qui, envers ses propres œuvres, s’autorisait tant d’interventions et d’altérations inopportunes. Il en va de même concernant le Mathnavî. Dieu seul sait combien cette œuvre a subi d’adjonctions ! 25 Prenons par exemple un poème incontournable qui parle d’amour, le Mathnavî original décrit : Az mohabbat talkh-hâ shîrîn chavad Vaz mohabbat mess-hâ zarrîn chavad. D’amour, les amertumes deviennent douceur Et d’amour, les cuivres deviennent or. Quelles paroles pleines de sens ! L’amour est une chose qui change l’amertume en douceur. L’amour est une alchimie qui transforme le cuivre de l’existence humaine en or. Or, voilà qu’arrivent certains et sans harmonie aucune, y ajoutent des vers, tels que : Az mohabbat mârî mûrî mî-chavad (D’amour, le serpent devient fourmi). Az mohabbat saqf dîvâr mî-chavad (D’amour, le plafond devient mur). Az mohabbat kharbuzeh hendevâneh mî-chavad (D’amour, le melon devient pastèque). Ces vers n’affilient aucune cohérence avec le sujet. 26 Bien entendu, cela ne devrait avoir lieu. Toutefois, ce type d’altération n’a pas de réels impacts sur la vie et la prospérité de la société. Cela ne crée aucune déviance dans la trajectoire de la société. En revanche, les altérations qui touchent aux domaines de la morale, de l’éducation et de la religion des hommes sont très nuisibles. Ô grand malheur lorsque des distorsions touchent les documents officiels et les objets de références de la vie humaine ! Qu’on le veuille ou non, l’événement de Karbala reste pour nous un événement social capital ; c’està-dire que cette tragédie a un impact sur notre éducation, nos comportements et nos habitudes. Cet événement nous a instinctivement incités, sans nulle contrainte, nous les hommes, par millions, à passer des foultitudes d’heures de notre temps à écouter des récits le concernant et à dépenser des millions de tomans dans cette voie. Cet événement doit être relaté exactement comme il s’est déroulé, sans ajout ni omission. La moindre intervention de notre part dans cette affaire provoquerait une déviation et au lieu de nous être bénéfique, elle nous causerait certainement des préjudices. 27 À présent, mon étude portera sur les milliers d’altérations faites dans le récit des faits et la narration des événements d’Achoura, aussi bien sur les distorsions du texte – c'est-à-dire la forme et l’aspect concernant l’origine des faits, leurs entrées en matière, le texte et ses annotations – que sur l’interprétation de cet événement. Avec le plus grand des regrets, cet événement a été affecté aussi bien par des distorsions verbales que sémantiques. Parfois, il arrive que l’altération soit pour le moins cohérente avec l’origine du sujet, mais parfois, en plus de n’avoir aucune cohérence, elle défigure complètement le récit. Ce dernier est alors totalement déformé de manière à contredire le récit d’origine. Encore une fois, je dois préciser avec grand regret que pour ce qui est de cet événement, toutes les altérations survenues, dont nous sommes responsables, n’ont été faites que pour le dévaloriser et le déformer, dans le but de le rendre inefficace et sans effet. Et dans cette affaire, aussi bien les orateurs que les savants de la communauté musulmane et le peuple sont responsables, et c’est ce que j’étayerai bientôt si Dieu le veut bien. Je citerai des exemples de quelques altérations verbales qui ont été apportées, c'est-à-dire, dans la 28 forme de l’événement ainsi que ce qui lui a été attribué. Le sujet est tellement vaste qu’il ne peut être exposé de façon exhaustive, si vaste que si nous rassemblions tous les récits mensongers récités dans les assemblées, peut-être pourrions-nous recueillir des tomes entiers bien volumineux, à simple titre d’exemple. LE LIVRE INTITULÉ « LA PERLE ET LE CORAIL » (LU’LU’ WA MARJÂN) Feu al-Ḥâjj Mîrzâ Houssayn Nûrî (que Dieu élève son rang) avait été le précepteur de feu Cheikh ‘Abbâs al-Qummî, de feu al-Ḥâjj Cheikh ‘Alî ’Akbar Nehâvandî à Mashhad et de feu al-Ḥâjj Cheikh Muḥammad Bâqir Bîrjandî, un expert en science du hadith et un homme d’exception. Mîrzâ Houssayn Nûrî était un formidable savant en matière de science du hadith (muḥaddith) et détenait dans son art une grande expertise, sans compter la mémoire prodigieuse qui le caractérisait. C’était un homme talentueux, plein d’enthousiasme et d’une grande ferveur. Il était très chaleureux et profondément croyant. Bien que certains des livres que cet homme a écrits ne soient pas dignes de son statut et que les érudits de son époque n’aient guère 29 manqué de les lui reprocher, il reste cependant à l’origine d’ouvrages remarquables. Particulièrement celui intitulé « La perle et le corail » (Lu’lu’ wa marjân) qui traite de la tribune de prêche. Quoique succinct, ce livre est un bel ouvrage qui énonce les devoirs qu’ont les orateurs du haut des chaires. Il contient deux chapitres dont le premier aborde le dévouement, c’est-à-dire la nécessité de l’intention sincère, qui est aussi l’une des conditions de l’orateur, du prédicateur, du prêcheur ou de celui qui récite les élégies. Celui qui prend place à la chaire ne doit pas être avide d’argent. L’auteur s’est si bien penché sur la question que je ne développerai pas ce sujet. Le second chapitre traite de l’honnêteté et de la véracité. L’auteur y décortique le sujet concernant le fait de raconter le vrai et le faux. La question des différentes formes de mensonges est tellement bien développée que je ne pense pas qu’un autre ouvrage ait pu exposer le mensonge et ses formes avec une telle profondeur, et peut-être même qu’il n’en existe pas de semblable dans le monde. À travers ce livre, cet homme nous livre sa maîtrise de manière remarquable. 30 Dans ce même ouvrage, ce grand homme cite des exemples de faussetés qui sont ordinairement affirmés et attribués aux faits historiques de l’événement de Karbala. Ce que j’avance est, globalement voire totalement assimilable à ce que disait feu al-Ḥâjj Nûrî et ce qui l’indignait. Cet homme d’exception avait ouvertement déclaré : « Aujourd’hui, le deuil de Houssayn doit être commémoré ! Mais à notre époque, un tout nouveau deuil n’ayant pas existé par le passé a vu le jour. Ceci à cause de tous ces mensonges qui sont proférés à propos de l’événement de Karbala et auxquels personne ne s’oppose. Il faut pleurer sur le malheur de Houssayn ibn ‘Alî et non sur les épées et les lances qui ont transpercées son noble corps ce jour-là. » Dans la préface, il rédige : « Un grand savant d’origine indienne m’envoya une lettre dans laquelle il se plaignait de ces assemblées d’élégies mensongères célébrées en Inde. Il me suppliait d’agir et d’écrire un livre qui empêcherait ces réunions d’élégies mensongères qui se déroulaient en ces lieux ». Feu Nûrî continue : « Ce savant indien s’imaginait que ces récitants d’élégies ne racontaient des mensonges que lorsqu’ils allaient en 31 Inde ! Il ne savait pas que l’eau était polluée à la source même et que les origines de ces assemblées d’élégies mensongères sont Karbala, Najaf et l’Iran ! C'est-à-dire les centres même du chiisme ! » Je vais à présent, à titre d’exemples, exposer les altérations qui sont pour certaines liées aux faits survenus avant le jour d’Achoura et d’autres liées aux circonstances associées au trajet de l’Imam Houssayn. Certaines sont liées aux jours de halte pendant le mois de Muharram, et d’autres concernent les jours de captivité. D’autres, encore, sont liées aux Imams après les événements de Karbala, mais la plupart de ces altérations concernent le jour d’Achoura. J’illustrerai chaque fait par deux exemples. DEUX GRANDES RESPONSABILITÉS DU PEUPLE Il y a un point sur lequel les gens sont responsables et qu'il est nécessaire de mentionner. À vous qui participez aux assemblées d’élégies, non seulement vous vous imaginez ne détenir aucune responsabilité mais en plus vous pensez qu’elle ne revient qu’aux orateurs. La responsabilité découle de deux aspects : 32 La première responsabilité est liée au fait que l’interdiction du blâmable est une obligation qui incombe à tous. Dès lors que les gens comprennent et savent – d’ailleurs la plupart le savent – que lorsque les propos relèvent du mensonge, alors il faut se lever et quitter ces assemblées. Car le mensonge est interdit et les assistants ont le devoir de s’y opposer. La deuxième responsabilité est d’éloigner ce désir, qui anime aussi bien les organisateurs des assemblées que l’auditoire, et qui consiste à vouloir « enflammer » l’ambiance des assemblées afin qu’elles « deviennent Karbala » ! Le misérable récitant n’ignore pas que s’il ne raconte que des faits véridiques et authentiques, la frénésie ne galvanisera pas l’assistance et les gens ne le convieront plus. Il est alors presque contraint de faire des ajouts au récit. Les gens doivent ôter ces espérances de leur attente et ne pas encourager par leur comportement ces récitants qui consacrent toute leur énergie à transformer les assemblées en « Karbala ». Mais cela n’a aucun sens de vouloir les transformer en Karbala ! 33 Les gens doivent assister à des assemblées d’élégies authentiques afin que leurs connaissances et leur niveau intellectuel s’élèvent. Ils doivent comprendre que si leurs cœurs vibrent, ne serait-ce que par le biais d’un seul mot, et bien alors, les voilà en totale harmonie avec le cœur de Houssayn ibn ‘Alî. Ainsi, une seule larme qui coule, aussi infime soit-elle, leur fera atteindre un haut degré. Mais les larmes versées à cause d’une « boucherie », fussentelles de l’étendue d’une mer, n’ont aucune valeur. Vous criez ! Mais pourquoi criez-vous ? On rapporte qu’un grand savant – issu de province – dont la foi était très profonde, se souciait beaucoup de la religion. Il condamnait et s’opposait toujours à ces mensonges racontés du haut des chaires et l’exprimait en ces termes : « Mais qu’estce donc que ce venin que vous déversez du haut des chaires ! » Un jour, un prêcheur lui répondit : « Si nous n’agissons pas ainsi, nous n’aurons plus qu’à fermer boutique ! » Le savant répliqua : « Mais ce sont des mensonges. Vous ne devriez pas dire cela ! » Quelque temps plus tard, ce savant, qui venait de faire construire une mosquée, décida d’y célébrer 34 une assemblée (majlis) et y invita ce même prêcheur. Avant de commencer, le savant lui précisa : « Je souhaite organiser une assemblée d’élégies modèle, dans laquelle seuls les faits véridiques seraient mentionnés. Tu t'engages toi aussi à citer uniquement des récits extraits d'ouvrages de références approuvés. » Et selon sa propre expression il ajouta : « Ne prononce rien de tout ce venin ! » Le prêcheur répondit : « Comme tu es le maître de la cérémonie, je t’obéirai ! » La première nuit, le savant s’installa dans le « miḥrâb » (abside d’une mosquée) face à la qibla. La chaire se trouvait juste près du miḥrâb, et le prêcheur qui devait prononcer son discours commença sa récitation d’élégie. Fidèle à son engagement, il ne fit que raconter des faits véridiques et authentiques. Pourtant, il avait beau poursuivre son récit, l’assemblée quant à elle ne cillait pas, elle restait froide et figée. Le savant s’en étonna et s’inquiéta, lui qui était l’organisateur de cette assemblée. Mais que diraient les gens ? Les femmes penseront que les intentions de ce monsieur n’étaient sûrement pas pures pour que son assemblée ne s’anime pas ! Si ce monsieur avait une intention pure et sincère, l’assemblée se serait déjà 35 métamorphosée en « Karbala » ! Le savant réalisa alors qu’il en allait de son honneur. Que faire donc ? Alors, discrètement, il dit au prêcheur : « Mélangesen un peu de ce venin ! » Voilà une grande responsabilité ! Savoir résister aux attentes des gens qui souhaitent que leur assemblée soit Karbala. Cet espoir, de voir l’assemblée se changer en Karbala, aide à fomenter le mensonge. La plupart des altérations sont le résultat de prétextes de cette envergure. Tous ces prétextes et ces larmes à flots forment la raison majeure de ces distorsions. LES ALTÉRATIONS VERBALES DANS L’ÉVÉNEMENT DE KARBALA PREMIER EXEMPLE Le récit qui suit, vous et moi l’avons assurément entendu une multitude de fois. Al-Ḥâjj Nûrî le rapporte, lui aussi, dans son introduction des faits. On raconte qu’un jour, l’Émir des croyants ‘Alî, (p) se trouvait en chaire, à prononcer un sermon, quand l’Imam Houssayn (p) s’exclama : « J’ai soif et je voudrais de l’eau ! » Alors, l’Imam ‘Alî demanda si quelqu’un pouvait apporter de l’eau à 36 son fils. Le premier à se lever était un enfant, Abû al-Faḍl al-‘Abbâs (p). Ce dernier partit, puis revint avec un bol d’eau pris chez sa mère. Lorsqu’il entra, il portait le bol sur la tête et une partie de l’eau se renversait sur lui… L’histoire est rapportée avec de nombreux détails. Lorsque le prince des croyants vit cette scène, ses larmes se mirent à couler. On lui demanda alors : « Mais pourquoi pleurez-vous ? » Il répondit : « Cela me rappelle les événements de Karbala ». La direction que peuvent emprunter ces dérobades est bien évidente ! Al-Ḥâjj Nûrî soulève une question capitale. Il déclare : « Vous qui dites que ‘Alî était en chaire et qu’il prononçait un sermon, vous devez savoir que ‘Alî est monté en chaire pour prêcher uniquement durant la période de son califat, c’est-à-dire lorsqu’il se trouvait à Kûfa. À cette époque-ci, Houssayn était un adulte âgé de trente-trois ans. » Il ajoute : « Sincèrement, ces paroles sont-elles raisonnables ? Comment un homme de trente-trois ans peut-il soudainement demander de l’eau pendant que son père est en chaire, à délivrer un sermon à la foule ? S’il s’agissait d’une personne ordinaire, nous 37 aurions fait la remarque : « Mais quelle personne impolie et sans éducation ! » De même Abû al-Faḍl al-‘Abbâs n’était plus un enfant à cette même époque mais un adolescent d’une quinzaine d’années. Cette narration rend-elle un hommage digne à l’Imam Houssayn ou au contraire, le rabaisse-t-elle ? Il est incontestable que cela le rabaisse car nous lui avons imputé un mensonge et avons ainsi porté atteinte à son honneur, en le réduisant au rang des individus les plus grossiers. Quand bien même il avait eu soif, alors que son père, un homme tel que ‘Alî ibn Abî Ṭâlib était occupé à discourir, ne pouvait-il pas la supporter jusqu’à ce que l’assemblée s’achève et ensuite aller l’étancher ? Il aurait soudainement interrompu le calife et dit : « J’ai soif, qu’on m’apporte de l’eau ! » » DEUXIÈME EXEMPLE Un autre exemple d’altération est celui d’un messager qui apporta une lettre à l’Imam Houssayn (p) et qui demandait une réponse. L’Imam lui dit de revenir trois jours plus tard. Le messager revint alors comme demandé et chercha alors le lieu où se trouvait l’Imam. Mais on lui

indiqua que ce dernier avait pris la route, ayant décidé ce même jour de partir. Le messager se dit : « Puisque l’Imam s’en est allé, je vais aller voir à quoi ressemble le faste et la splendeur du prince du Hidjaz (allusion à l’Imam Houssayn). Il partit alors et vit l’Imam en personne, assis sur un trône, ainsi que les Banî Hâshim, installés sur des assises, de telles et telles sortes. Ensuite, furent apportés des palanquins à chameaux ornés de soie, mais quelles soieries ! Quels brocarts ! Quelle opulence était déployée ! Puis on fit venir les dames, et avec quel respect on leur fit prendre place sur ces palanquins ! » La narration se poursuit jusqu’à soudainement aboutir au onzième jour : « Ce jour-là, ils prirent la route avec les honneurs, mais voilà quel a été leur sort ce onzième jour ! » Al-Ḥâjj Nûrî dit : « Mais que racontent donc ces gens ! L’histoire dit que lorsque l’Imam Houssayn (p) quitta Médine, il récitait le verset suivant : {« Il sortit de là, craintif, regardant autour de lui. Il dit : “Seigneur, sauve-moi de [ce] peuple injuste !” »} [28:21] C'est-à-dire qu’à son départ, il se comparait à Moïse qui fuyait Pharaon. {« Il dit : “Peut-être 39 mon Seigneur me guidera-t-il sur la bonne voie” »} [28:22]. C’était une caravane d’une grande simplicité qui prit la route ce jour-là. Mais le statut de l’Imam Houssayn (p) s’évalue-t-il – admettons – à un trône doré qu’il emporterait avec lui ? Ou la grandeur des gens de sa famille se juge-t-elle à ces palanquins ornés de soieries et de brocarts ? Et leurs chameaux et chevaux de telles et telles sortes, ainsi que leurs apparats et ceux de leurs serviteurs ! Mais d’où sortent-ils tout cela ? » Je vais à présent aborder les exemples qui sont des faits attribués à la tragédie de Karbala. TROISIÈME EXEMPLE Un autre exemple d’altération dans les événements de Karbala, qui est aussi un des faits les plus connus, est le récit de Laylâ et de son fils, le noble ‘Alî al-’Akbar. Ceci, malgré toute absence d’élément historique. Il est vrai que sa mère s’appelait Laylâ mais aucun historien n’a pu affirmer qu’elle se trouvait à Karbala. Cependant, voyez combien nous entendons parler de Laylâ et de ‘Alî al-’Akbar au sein de nos assemblées d’élégies, 40 de Laylâ au chevet de ‘Alî al-’Akbar… Si bien qu’il m’est moi-même arrivé, dans la ville de Qom, d’assister à une assemblée organisée au nom d’Ayatollah Burûjardî, dans laquelle, bien entendu, il n’y était pas. J’ai entendu raconter au cours de ce majlis que lorsque ‘Alî al-’Akbar rejoignit le champ de bataille, l’Imam Houssayn dit à Laylâ : « J’ai entendu de mon grand-père que l’invocation d’une mère pour son enfant est exaucée. Rends-toi donc sous une tente où tu seras seule et détache tes cheveux. Prie pour ton fils, peut-être que Dieu nous le rendra sain et sauf. » Premièrement, Laylâ ne se trouvait pas à Karbala pour avoir fait pareille chose. Deuxièmement, cette logique n’est pas celle de Houssayn ! La logique de Houssayn le jour d’Achoura est celle du sacrifice. Tous les historiens écrivent que quiconque demandait à l’Imam Houssayn l’autorisation de se rendre sur le champ de bataille, ce dernier s’efforçait d’une manière ou d’une autre de lui trouver une excuse, à l’exception de ‘Alî al-’Akbar, « …Puis il demanda la permission à son père de combattre et il la lui donna. » C’est-à-dire qu’aussitôt qu’il demanda la permission, son père lui répondit : « Vas-y ! » 41 Aussi combien de poèmes furent déclamés à ce sujet ! En voici un : Khiz Ey baba in sahra ravim Nak bé souyé khaymeh Laylâ ravim. Lève-toi ! Ô père dans ce désert allons Vers la tente de Laylâ allons. Voici encore un autre exemple très surprenant : Il y a de cela quelques années, je me trouvais à Téhéran dans la demeure d’un des grands savants de la ville. Lors de cette assemblée, j’entendis d’un orateur une parole que jamais durant mon existence je n’avais entendu dire au sujet de Laylâ. Il racontait qu’après que Laylâ s’était rendue sous une tente et qu’elle eut défait ses cheveux, elle fit le vœu que si Dieu lui ramenait ‘Alî al-’Akbar sain et sauf et s’il n’avait été tué à Karbala, elle planterait du basilic (rayḥân) sur la route de Karbala jusqu’à Médine. Cela voulait dire qu’elle promit de planter du basilic sur trois cents farsakh [environ mille six cent cinquante kilomètres] ! L’orateur dit cela, puis subitement, il s’emporta dans un chant en arabe : 42 « Je fais le vœu que s’ils reviennent, et s’ils s’en retournent je planterai du basilic (rayḥân) le long de la route de Taft. » Tiré d’une poésie arabe, ce vers a d’autant plus suscité mon étonnement car je me demandais d’où précisément il l’avait sorti ! J’entrepris une recherche et je découvris que ce "Taft", dont il était question dans le poème, n’avait rien à voir avec Karbala mais qu’il s’agissait d’un lieu tiré de la célèbre histoire « Laylâ et Majnûn ». Taft était le lieu où vivait Laylâ, et ce poème avait été écrit par Majnûn al-‘Âmirî pour Laylâ. Cet homme récitait ces vers en les attribuant à Laylâ, la mère de ‘Alî al-’Akbar et à l’événement de Karbala ! Vous rendez-vous compte que si un chrétien, un juif ou un musulman non pratiquant avaient été là et avaient entendu ces paroles, ne se seraient-ils pas dit : « Ô combien leur histoire contient d’absurdités ! » ? Ces gens qui ne pouvaient pas comprendre que ce récit est fabriqué, diraient plutôt, que Dieu nous garde, combien leurs femmes sont inconscientes de faire le vœu de planter du basilic de Karbala jusqu’à Médine. Mais ces paroles sont insensées ! 43 QUATRIÈME EXEMPLE Pour aller encore plus loin, al-Ḥâjj Nûrî dit : « Sous la chaleur accablante de ce jour d’Achoura, comme vous le savez, il n’y avait même pas la possibilité d’accomplir la prière, mais l’Imam accomplit, malgré tout, la prière de la peur (alkhawf).1 Néanmoins, on ne manque pas de raconter que ce même jour, l’Imam demanda qu’une chambre nuptiale soit préparée car il souhaitait vivement célébrer les noces de Qâsim avec l’une de ses filles, du moins ce qui pouvait y ressembler. « J’ai un profond souhait ! » aurait-il dit ! » On sait bien qu’il ne faut pas emporter ses souhaits dans la tombe ! 1 Deux compagnons de l’Imam se proposèrent en bouclier humain pour le protéger afin qu’il puisse accomplir deux unités de la prière de la peur (al-khawf). La prière de la peur est celle qui s’effectue en lieu et place de la prière obligatoire, elle comporte deux unités (rak‘at). Lorsque l’Imam termina la prière, les deux compagnons protecteurs tombèrent en martyrs en raison des nombreux tirs qu’ils reçurent durant ce court laps de temps. Ainsi, le jour d’Achoura, ils n’avaient même pas le temps de réciter leur prière. 44 Mais par Dieu ! Voyez comment des propos que l’on entendrait plutôt de la bouche d’un individu ordinaire et qui souhaiterait voir les noces de son fils ou de sa fille, sont attribués à une personne telle que Houssayn ibn ‘Alî ! Et tout cela, sous une chaleur accablante, là même où l'opportunité d’accomplir une prière n’existe pas ! Et on raconte que l’Imam aurait dit : « Je souhaiterai voir les noces de ma fille et de mon neveu ici-même, peu m’importe comment elles sont célébrées ! » Ce récit du mariage de Qâsim, le nouveau gendre, ne manque jamais d’être relaté par nos anciens récitants d’élégies alors que cela n’a jamais existé dans quelconque ouvrage de référence historique ! Al Ḥâjj Nûrî affirme que Mullâ Houssayn Kâshefî fut le premier à avoir rédigé ce récit dans son livre intitulé « Rawḍat ash-Shuhadâ’ » (Le jardin des martyrs) 1 , sans se douter que la base de ce récit n’est que pur mensonge. Comme disait ce poète : Bas ke bebastand bar ou barg o saz Gar to bebînî nachenassich baz. 1 Le livre a été rédigé en 908 H. 45 En résumé : à peine une chose subit-elle un changement qu’on ne la reconnaît plus si on la revoit. Si le maître des martyrs (p) venait et voyait tout cela (bien entendu qu’il voit du monde invisible mais s’il se manifestait dans le monde visible) alors il verrait que nous lui avons inventé des compagnons et des alliés qu’il n’avait absolument jamais eus. Par exemple, dans le livre intitulé Muhriq alQulûb dont l’auteur est un grand érudit et jurisconsulte mais sans grande connaissance dans le domaine de l’histoire de Karbala, il est écrit que le jour d’Achoura, l’un des compagnons de l’Imam jaillit de terre, du nom de Hâshim al-Mirqâl et il avait à la main une lance qui mesurait dix-huit coudées. Il y est également cité que Sinân ibn ’Anas qui, selon les dires de certains, était celui qui trancha la tête de l’Imam Houssayn (p), avait une lance de soixante coudées. Une lance de soixante coudées ! Mais ça ne peut pas être possible ! Il disait que c’était Dieu qui la lui avait envoyée du paradis. Ce Hâshim al-Mirqâl cité dans le livre Muhriq al-Qulûb et qui apparaît avec une lance de dix-huit coudées 46 est en fait Hâshim ibn ‘Utba, un compagnon de l’Imam ‘Alî ibn Abî Ṭâlib, mort une vingtaine d’années auparavant. Nous avons inventé des alliés qui n’existaient pas aux côtés de l’Imam Houssayn, tel que Za‘far le génie (al-jinnî) mais aussi des ennemis inexistants. D’AUTRES EXEMPLES Dans le livre intitulé « Asrâr ash-Shahâda » (Les secrets du martyre), il est écrit que l’armée de ‘Umar ibn Sa‘d à Karbala se composait d’un million six cent mille soldats. On se demande alors d'où ils sont venus et s'ils étaient tous originaires de Kûfa ! Cela était-il possible ? Il est également mentionné que le jour d’Achoura, l’Imam Houssayn tua à lui seul trois cent mille personnes ! Alors que la bombe nucléaire d’Hiroshima a engendré soixante mille morts. J’ai fait le calcul : en supposant qu’avec une seule épée, si tuer une personne prend une seconde, tuer trois cent mille personnes se ferait en quatrevingt-trois heures et vingt minutes ! Mais lorsqu’il a été constaté que le nombre de morts ne concordait pas avec la durée de la journée d’Achoura, il a été ajouté que ce jour avait duré soixante-dix heures ! Similairement, il a été attribué à Abû al-Faḍl la 47 performance d’avoir tué vingt-cinq mille personnes ! Ce qui aurait demandé six heures, une cinquantaine de minutes et quelques secondes. En conséquence, nous comprenons mieux les paroles de ce grand homme, al-Ḥâjj Nûrî, lorsqu’il déclare : « Si quelqu’un désire aujourd’hui commémorer et pleurer sur la tragédie de Houssayn, qu’il se lamente sur les nouveaux malheurs qui le frappent ! Qu’il pleure pour les mensonges que l’on déverse sur Abâ ‘Abdillah (p) ! » Un autre exemple est la commémoration du quarantième jour après Achoura (Arba‘în). Lorsque ce jour arrive, tout le monde se rassemble : les gens s’imaginent que ce jour-là, les captifs partis de Shâm venaient d’arriver à Karbala où ils – dont l’Imam Zayn al-‘Âbidîn – rencontrèrent Jâbir. Hormis dans son livre intitulé al-Luhûf de Sayyid ibn Ṭâwûs, ces faits ne sont rapportés dans aucun autre de ses ouvrages. Au contraire, il les réfute, ou du moins, il ne les soutient pas. Ce récit n’est mentionné dans aucun autre livre et il n’existe aucune preuve rationnelle qui puisse appuyer ces faits. Cependant, comment pourrait-on ôter de l’esprit des gens ces récits que l’on répète chaque année ? 48 Jâbir a été le premier visiteur de l’Imam Houssayn (p) et la célébration de son quarantième jour ne consistait en rien d’autre qu’une visite à la tombe de l’Imam. Il ne s’agit nullement d’une revivification du deuil des Gens de la maison (p), ni de leur venue à Karbala, et encore moins du parcours de Shâm à Karbala, car ce trajet n’a rien à voir avec celui de Shâm à Médine. Encore une fois, si je devais citer d’autres exemples, il n’en manquerait pas. Si le temps me le permet à la prochaine séance, je citerai d’autres exemples. Mais si ce n’est pas faisable, alors je passerai aux altérations relatives au sens et j’abrégerai la question des altérations verbales. LA RICHESSE DE L’ÉVÉNEMENT DE KARBALA DU POINT DE VUE DES SOURCES FIABLES Parmi tous les événements historiques, peu sont aussi fournis que l’événement de Karbala en termes de références fiables. Le constat actuel est donc d’autant plus douloureux. Je pensais autrefois que la raison de l’incorporation de tous ces mensonges était le fait que personne ne savait ce qui s’était 49 réellement passé. Mais après avoir étudié le sujet, je me suis aperçu qu’aucun événement historique remontant à si longtemps, en l’occurrence treize ou quatorze siècles plus tôt, ne possède autant d’ouvrages de références que l’événement de Karbala. Les historiens musulmans dignes de confiance, du premier et du deuxième siècles de l’hégire, prirent le soin de rapporter des récits avec leurs chaînes de transmetteurs. Ces récits concordent les uns avec les autres et comportent de nombreuses similitudes. En réalité, certains facteurs ont contribué à la conservation des détails de cet événement. Une des raisons pour lesquelles les textes de cette tragédie ont été préservés et leur objectif reconnu, est que de nombreux sermons et discours ont été prononcés lors de cet événement. En ce temps, les discours faisaient office de communiqué officiel tout comme les communiqués de presse à notre époque et particulièrement en temps de guerre. Ces communiqués sont le meilleur moyen de graver l’histoire. Il en était ainsi pour les sermons en ce temps. C’est pourquoi, nombreux ont été les discours prononcés par les Gens de la maison du prophète, que ce soit avant la tragédie de Karbala 50 ou après à Kûfa, Shâm et partout ailleurs. Le but de ces sermons n’était autre que le désir d’informer les gens de ce qui s’était réellement passé, des raisons de la survenue de l’événement et de son objectif qui reste à lui seul un motif suffisant pour que les récits soient transmis. Le cas de Karbala fut l’objet de nombreux débats retranscrits dans l’histoire, ce qui montre bien la nature essentielle de cet événement. Bon nombre de courtes poésies (rajaz) 1 avaient été récitées à Karbala, en particulier par Abâ ‘Abdillah (p) luimême, et elles pouvaient parfaitement illustrer le caractère important de cet événement. De plus, avant les événements de Karbala, nombreuses correspondances avaient été échangées entre l’Imam Houssayn (p) et les habitants de Kûfa, entre l’Imam Houssayn (p) et les habitants de Bassora, ainsi que des lettres écrites par l’Imam lui-même à Mu‘âwiya. (Ce qui est une indication que l’Imam se préparait à mener un soulèvement.) Sont également répertoriées les correspondances des ennemis, telles que les lettres entre Yazîd et Ibn Ziyâd et celles entre Ibn Ziyâd et ‘Umar ibn Sa‘d. Ce sont des textes qui 1 Métrique dans la poésie arabe 51 sont archivés dans les ouvrages de l’histoire islamique. Par conséquent, les événements de Karbala sont des événements clairs et profondément dignes de confiance. Cependant, nous avons défiguré la face éclatante de cette histoire et nous avons hautement trahis l’Imam Houssayn (p). S’il apparaissait dans le monde visible, il nous dirait certainement : « Vous avez totalement changé l’aspect de cet événement ! Je ne suis point cet Imam Houssayn que vous vous représentez dans votre imagination ! Ce Qâsim fils d’al-Ḥasan que vous avez imaginé n’est point mon neveu, le fils de mon frère ! Cet ‘Alî al-’Akbar que vous avez inventé n’est point mon noble fils, ce jeune plein de savoir ! Ces compagnons que vous avez fabriqués de toute pièce ne sont point ceuxlà ! » Nous avons fabriqué un Qâsim dont le seul souhait était de devenir un jeune marié ! Et le seul souhait de son oncle, de devenir beau-père ! Comparez donc ce Qâsim avec celui qui a réellement marqué l’Histoire. Il est rapporté dans les ouvrages historiques de référence que la veille d’Achoura, l’Imam Houssayn avait rassemblé ses compagnons sous la tente 52 « ‘inda qurb al-mâ’ » ou tout près de celle-ci. Cette tente servait depuis les premiers jours à entreposer les outres d’eau. La veille d’Achoura, un discours très célèbre – dont je ne veux rapporter les détails – avait été prononcé par l’Imam. Mais ses propos peuvent se résumer en ces mots : il déclarait à ses compagnons qu’ils étaient libres de s’en aller, qu’il ne souhaitait voir quiconque rester contre son gré et surtout qu’ils ne devaient croire que leur allégeance les y obligeait. Il leur dit : « Je vous rends à tous votre liberté, vous tous, mes compagnons, mes proches, mes frères, mes fils, mes neveux. Ils n’en ont qu’après moi et personne d’autre ! Profitez de l’obscurité de la nuit et partez. Ils n’ont absolument rien contre vous ! » Au début, il fit les éloges de ses compagnons en leur disant : « J’ai entière satisfaction de vous. Je n’ai point eu de meilleurs compagnons que vous, de même que je n’ai point eu de meilleure famille que les gens de ma maison ». Mais tous les compagnons s’étaient exclamés en chœur et répondirent : « Maître ! Comment cela pourrait-il être possible ! Qu’allons-nous répondre au Prophète (p) ? Où serait notre fidélité, notre humanité, notre amour et nos sentiments ? » Ce jour-là, des paroles emplies de 53 ferveur avaient été prononcées, des paroles qui auraient fendu même un cœur de pierre et qui aurait empli tout être de dévotion. L’un dit : « Que vaut une vie à côté du sacrifice pour quelqu’un comme toi ! Et si je pouvais être ressuscité soixante-dix fois, uniquement dans le dessein de me sacrifier pour toi ! » Un autre dit : « Mille fois ! » Et un autre encore : « J’aimerais me sacrifier pour toi, qu’ils brûlent mon corps, le transforment en poussière, l’abandonnent au vent et que je puisse de nouveau revivre pour me sacrifier encore et encore … » Le premier à avoir parlé était son frère Abû alFaḍl, suivi de tous les Banî Hâshim. Dès lors que l’Imam entendit leurs paroles, il changea de propos et les avertit de la réalité de la situation qui les attendait le lendemain. Il leur annonça leur martyre, que tous accueillirent comme une bonne nouvelle. Ce même jeune homme, que l’on opprime tant et à qui on attribue le souhait de se voir marié, s’était interrogé au plus profond de lui-même : « Quel est mon véritable souhait ? » Lorsque les hommes se réunissent en assemblée, un jeune enfant de treize ans ne participe pas à leur 54 réunion. Il s’assoit derrière les hommes et tend l’oreille afin d’entendre ce qui se dit. C’est comme si ce jeune était assis derrière les compagnons de l’Imam, il levait sans cesse la tête pour entendre ce qu’ils disaient. Lorsque l’Imam annonça que tous seraient tués, l’enfant se demanda : « Est-ce que cela m’inclut ? L’Imam parle sans doute des adultes car moi, je suis trop jeune et je ne suis encore qu’un enfant. Alors, il s’adressa à l’Imam et lui demanda : « Serai-je parmi ceux qui seront tués ? » Constatez ce qu’est vraiment son souhait. L’Imam lui dit : « Réponds d’abord à ma question, puis je te répondrai à mon tour. » Je pense que l’Imam avait posé cette question de manière intentionnelle. Selon moi, l’Imam pose volontairement cette question bien spécifique pour qu’à l’avenir, les gens ne rétorquent pas que ce jeune garçon qui s’est livré à la mort était insouciant et inconscient. Alors, que les gens cessent de soutenir que son seul désir était de se marier ! Qu’ils ne lui inventent pas des noces ni ne souillent sa mémoire. C’est pourquoi l’Imam voulut l’interroger en premier et lui demanda : « Mon garçon, mon cher neveu, dis-moi d’abord : quel goût la mort a-t-elle 55 selon toi ? » Et au jeune garçon de lui répondre aussitôt : « Plus douce que le miel. » Si tu m’interroges sur le goût que la mort a selon moi, sache que je la trouve plus douce que le miel ! Pour moi il n’existe de souhait plus doux que celuici… Combien cette scène est émouvante ! Voilà donc pourquoi ce fait est un grand événement historique que nous devons garder vivant car il n’y aura désormais plus de Houssayn, ni de Qâsim fils d’al-Ḥasan. Ce sont ces éléments qui donnent tant de valeurs à cet événement, et non le fait de construire simplement une Houssayniyya1 en leurs noms quatorze siècles plus tard, sinon nous n’avons en réalité rien accompli. Rendre hommage à des noces ne nécessite ni temps ni finances, encore moins des lieux d’assemblées ou de longs discours. Mais ces personnalités sont l’essence de l’humanité et la preuve incarnée du verset : {« Je vais établir sur terre un successeur (khalîfa) »} [2:30], ils sont supérieurs aux anges. Après avoir écouté la réponse, l’Imam lui annonça : « Mon neveu ! Tu seras toi aussi tué, 1 Allusion à la Houssayniyya Irshâd 56 après avoir vécu une grande affliction. Mais ton sacrifice sera différent des autres, tu seras éprouvé d’une extrême difficulté ! » C’est pourquoi le jour d’Achoura, après avoir insisté longuement, il obtint la permission de se rendre sur le champ de bataille. Puisqu’il n’était encore qu’un enfant, aucune cuirasse n’était appropriée à sa taille, aucun casque ne lui allait, aucune arme ni botte ne lui convenait. Il est écrit qu’il portait un turban et rayonnait comme l’éclat de la lune. Ce jeune enfant était tellement beau à voir au point où l’ennemi lui-même le compara à la splendeur de la lune. Un des ennemis prononça un vers à son sujet : « Où le vent emporte-t-il ce pétale de rose rouge, dit celui qui te voit sur ta rapide monture. » Le narrateur raconte : « Je voyais que le lacet de sa sandale était défait et je n’oublierai jamais que c’était le pied gauche. De là, je compris que la chaussure ne seyait pas à son pied. » Combien cette spiritualité et cet esprit lui donnèrent du courage ! Il est écrit que l’Imam se tenait près de la tente, les brides du cheval à la main. Il semblait être en état d’alerte et soudain il entendit un cri. À la vivacité d’un faucon, l’Imam sauta sur 57 son cheval et s’élança. Ce cri, « Ya ‘Amma ! Ô mon oncle », était celui de Qâsim. Lorsque l’Imam arriva tout près du jeune garçon, environ deux cents hommes l’encerclaient. L’Imam les attaqua alors et ils prirent la fuite. L’un d’eux, descendu de son cheval dans l’intention de trancher la tête de Qâsim, se fit piétiner par les sabots des chevaux de ses propres complices. Celui qui, le jour d’Achoura, fut piétiné par les sabots des chevaux alors qu’il était encore en vie était un ennemi et non Qâsim. Quoi qu’il en soit, lorsque l’Imam Houssayn arriva près de Qâsim, un épais nuage de poussière empêchait de voir ce qui se passait. Une fois la poussière dissipée, on pouvait s’apercevoir que l’Imam était penché sur son neveu, qu’il prit la tête de Qâsim sur ses genoux et on l’entendait prononcer cette phrase : « Ô mon neveu ! Combien il est pénible pour ton oncle de ne pas te répondre alors que tu l’appelles, et s’il te répond, qu’il ne puisse rien faire pour toi ! » À cet instant même, le jeune homme poussa un cri, puis rendit l’âme. Seigneur ! Fais que les conséquences de nos actes s’achèvent dans le bien. Aide-nous à connaître les vérités de l’islam et éloigne de nous par Ta bonté et Ta miséricorde, l’ignorance et la méconnaissance. 58 Fais-nous grâce de la prospérité et de la sincérité dans nos intentions. Seigneur ! Réponds à nos besoins légitimes et pardonne nos défunts. Il n’y a de pouvoir et de puissance qu’en Dieu Le Très Haut, Et que le salut de Dieu soit sur Muḥammad et les gens purs et saints de sa famille. 59 CHAPITRE DEUX : LES FACTEURS D’ALTÉRATION Nous avons dit que l’événement de Karbala a subi des altérations, que ce soit sous forme verbale ou sémantique. Ces mêmes altérations font que cette référence historique clé qui est aussi une importante source éducative n’a sur nous aucun effet, ou très peu, et parfois même, dans certaines circonstances, produit l’effet inverse. Il est de notre devoir à tous de rendre pur et saint ce témoignage sacré, souillé par les altérations. Ce soir, je discuterai des facteurs d’altération, ensuite notre débat se portera sur les altérations sémantiques. LES FACTEURS GÉNÉRAUX Ces facteurs se divisent en deux catégories. Les premiers sont d’ordre général, c'est-à-dire qu’il existe des facteurs qui affectent les événements de l’histoire par des falsifications, et cela ne concerne pas particulièrement les événements de Karbala. 60 1. LES DESSEINS DES ENNEMIS Par exemple, la motivation des ennemis est une raison qui pousse à faire subir à un événement des falsifications. En effet, afin d’atteindre ses objectifs, l’ennemi crée des changements et des transformations dans les textes historiques ou alors donne une interprétation voire une explication non conforme aux récits de l’histoire. Il y a de nombreux exemples à ce sujet, sur lesquels je ne souhaite pas m’attarder mais je me contenterai d’exposer les facteurs généraux qui sont intervenus dans l’altération des événements de Karbala. Les ennemis se sont érigés dans l’intention de falsifier le soulèvement de l’Imam Houssayn. Tout comme il est courant dans le monde que les ennemis accusent les mouvements nobles de corruption, trouble et discorde au sein de la société, et reprochent de créer la division du peuple, le gouvernement Omeyyade s’était lui aussi appliqué avec force, à colorer de cette teinte le soulèvement de l’Imam Houssayn. Dès le premier jour, de telles propagandes avaient commencé. Lorsque Muslim ibn ‘Aqîl arriva à Kûfa, Yazîd écrivit dans un communiqué délivré à Ibn Ziyâd : « Muslim fils de ‘Aqîl est arrivé à Kûfa 61 et son but est de semer la discorde et de créer la division parmi les musulmans ! Va et réprime-le ! » Une fois que Muslim ibn ‘Aqîl fut arrêté et conduit à Dâr al-’Imâra, palais du gouverneur Ibn Ziyâd, celui-ci lui dit : « Fils de ’Aqîl ! Que nous vaut ta venue dans cette ville ? Les gens vivaient en paix et en sécurité et en arrivant ici, tu as commis des troubles à l’ordre public. Tu as créé la division et semé la discorde ! » Muslim répondit avec bravoure : « Tout d’abord, ma venue dans cette ville n’est pas ma volonté mais celle de ses habitants qui m’y ont invité. Ils ont écrit de nombreuses lettres et elles existent (en tant que preuve). Ils y ont écrit que ton père, Ziyâd, durant les années où il gouvernait cette ville, tuait les vertueux et leur imposait la tyrannie des mauvais. Il commettait les pires exactions sur le peuple. Ils nous ont invités afin d’établir la justice et nous sommes venus pour la faire régner ! Nous ne sommes pas venus de nousmêmes, ce sont les gens qui nous l’ont demandé ! » Suite à cela, le régime Omeyyade recourut à des falsifications du sens des récits et nombreux sont les faits racontés. Mais l’histoire de l’islam n’a pas été touchée par ces falsifications. Vous ne trouverez aucun historien ou penseur dans le monde qui dirait, 62 que Dieu nous en garde, que le soulèvement de l’Imam Houssayn, fils de ‘Alî, a eu lieu pour semer la discorde, diviser les gens et faire disparaître l’union. Non ! L’ennemi n’est pas parvenu à créer des altérations dans les événements de Karbala. Mais quoi que cet événement ait pu subir comme altérations, elles ne proviennent malheureusement que du côté des fidèles. 2. LE PENCHANT DE L’HOMME À CONCOCTER DES MYTHES Le second facteur est celui de la tendance de l’être humain à fabriquer des légendes et concocter des mythes. Ceci existe dans l’histoire depuis la nuit des temps. L’être humain détient un sens du culte des héros qui le pousse à construire des légendes autour des héros nationaux ou religieux. (Lors des soirées de la fête d’al-Ghadîr, docteur Sharî‘atî a présenté une étude extraordinaire sur l’esprit du culte des héros qui habite chaque être humain et les tendances à fabriquer des héros, des légendes et des mythes hors du commun). L’une des meilleures preuves est le nombre de légendes que les gens ont créées autour du génie d’Avicenne et de Cheikh Bahâ’î ! Il ne fait aucun doute qu’Avicenne était un 63 génie dont les capacités spirituelles et physiques étaient fascinantes, néanmoins, c’est aussi la raison pour laquelle les gens ont alimenté tant de légendes sur leurs personnes. On raconte par exemple, qu’un jour, il vit un homme qui se trouvait à un farsakh de là, il dit : « Cet homme là-bas mange du pain à l’huile ! » On lui demanda comment il savait que c’était du pain à l’huile. Il répondit : « Je vois des mouches tourner autour du pain, j’en déduis donc qu’il est gras et qu’il contient de l’huile ! » Il est évident que ceci n’est qu’une légende. Un homme qui arrive à voir une mouche à une lieue peut bien voir le pain à l’huile avant d’apercevoir les mouches ! On raconte aussi qu’à l’époque où Avicenne suivait ses études dans la ville d’Isfahan, il disait que lorsqu’il se réveillait au milieu de la nuit pour étudier, le bruit des coups de marteau du chaudronnier de la ville de Kâshân l’empêchaient de lire. On alla vérifier sur place, et on demanda au chaudronnier de ne pas marteler la nuit. Avicenne déclara que cette nuit-là, il avait pu s’endormir ou étudier en toute tranquillité ! De toute évidence, ceci est une légende ! Quant à Cheikh Bahâ’î, on ne compte plus les légendes qui lui sont attribuées ! Ainsi, cette 64 tendance à fomenter des mythes ne se limite pas seulement aux événements d’Achoura. Mais peu importe ce que les gens racontent sur Avicenne, qu’ils le racontent ! En quoi cela pourrait-il lui nuire ? En rien ! Toutefois, toucher à des personnes qui représentent des guides, dont les paroles, les actes, le soulèvement et la révolte sont une référence et une preuve, cela a une autre gravité. Il ne doit donc pas y avoir d’altération à leurs discours, personnalités et récits. Nous les chiites, nous racontons beaucoup de mythes sur la personne de l’Imam ‘Alî (p), le Prince des croyants ! Bien que l’Imam ‘Alî, que le salut soit sur lui, ait été un homme extraordinaire, et cela est indiscutable, personne ne doute de sa bravoure, et partisans comme ennemis reconnaissent que son courage était hors du commun ! Il n’existe aucun valeureux adversaire, dans aucune bataille, qu’il n’ait combattu sans qu’il ne l’ait mis à terre ! Ceci n’est pas à nier. Il était certes hors du commun mais à la mesure du commun des hommes. Un homme avec qui personne ne pouvait rivaliser sur le champ de bataille. Néanmoins, cela suffit-il aux fabricants de légendes ? Jamais ! Citons l’exemple du récit qui narre les prouesses de ‘Alî, que la paix soit sur lui, 65 lors de la bataille de Khaybar face à Marḥab. Ce dernier sortait lui aussi de l’ordinaire et les historiens écrivent à son sujet que ‘Alî lui asséna un coup d’épée qui le trancha en deux parties (j’ignore maintenant s’il a été complètement coupé en deux ou non). Malgré cela, c’est là que les gens fabriquent des légendes qui portent préjudices à la religion ! Ils racontent que Dieu aurait alors ordonné à l’Ange Gabriel de descendre sur terre et de déployer ses ailes sous l’épée de ‘Alî pour l’empêcher de s’enfoncer dans le sol, auquel cas elle le briserait en deux et pourrait porter atteinte aux vaches et aux poissons. Et c’est ce qu’aurait fait Gabriel ! ‘Alî avait asséné un tel coup qui sectionna Marḥab en deux morceaux, dit-on de parts égales, de façon à ce que si elles avaient été placées sur une balance, l’évidence aurait été indiscutable ! Les ailes de Gabriel auraient été touchées et blessées par l’épée de ‘Alî. Quarante jours durant, il n’avait pu remonter au ciel. Lorsqu’il y était enfin retourné, Dieu lui aurait demandé où il était durant ces quarante jours. Gabriel lui aurait répondu : « Ô Dieu ! J’étais sur terre, tu m’avais envoyé en mission. » Dieu : « Et pourquoi n’es-tu pas revenu plus tôt ? » Gabriel : « Ô Dieu ! Mes ailes ont été 66 touchées et blessées par l’épée de ‘Alî, et quarante jours durant, j’étais occupé à panser ma plaie ! » D’autres racontent que la lame de l’épée de ‘Alî était si vive et si fine que lorsqu’elle trancha Marḥab à partir de la raie des cheveux, elle s’arrêta net à la selle de son cheval. Marḥab lui-même, qui ne s’en était pas rendu compte, aurait demandé à ‘Alî : « Ô ‘Alî ! Est-ce là toute ta force ? » (S’imaginant que le coup l’avait épargné) « Où est donc ta puissance ? » ‘Alî lui aurait alors dit : Fais un mouvement ! » Marḥab aurait bougé et son corps se serait soudain divisé en deux parties qui seraient retombées de part et d’autre de sa monture. Le grand al-Ḥâjj Nûrî critique les inventions de ce type de mythologie dans son livre La perle et le corail, où il traite des légendes autour du courage du noble Abû al-Faḍl. Elles mettraient en avant que durant la bataille de Ṣiffîn (alors qu’on ne sait absolument pas s’il avait participé ou non à cette bataille, mais si c’était le cas, il n’avait alors que quinze ans), il aurait lancé un homme dans les airs, puis un autre, et encore un autre jusqu’à quatrevingts hommes alors que le premier n’était toujours pas retombé ! Lorsque le premier retomba enfin, il 67 le coupa en deux, puis le second, puis le troisième et ainsi de suite jusqu’au dernier ! Voici quelle sorte de légendes voit le jour ! Dans l’événement de Karbala, une partie des altérations qui se sont forgées sont la conséquence du sens de la fabrication de la mythologie. Les européens affirment que les récits de l’histoire de l’Orient regorgent d’exagérations et d’excès et ce qu’ils disent sur cet aspect est bien vrai. Mullâ Darbandî écrit dans son livre Les secrets du martyre : « L’ensemble de la cavalerie de l’armée de ‘Umar ibn Sa‘d comptait six cent mille soldats et son infanterie comptait un million de soldats. » Au total, un million six cent mille soldats, et tous venaient de la ville de Kûfa ! Mais Kûfa étaitelle grande à ce point ? Kûfa était une ville nouvellement construite et n’était vieille que de trente-cinq années. Elle avait été bâtie à l’époque du califat de ‘Umar ibn al-Khaṭṭâb, qui en avait donné l’ordre, afin que les combattants musulmans puissent avoir une base militaire proche de la frontière perse. On ignore si à l’époque, les habitants de Kûfa atteignaient les cent mille mais qu’une armée d’un million six cent mille personnes soit 68 rassemblée et que l’Imam Houssayn parvienne à en tuer trois cent mille ne s’accorde pas avec la raison. Cela ôte toute valeur au récit. On rapporte de quelqu’un qui faisait le récit exagéré de la ville de Hérat : « Il était un temps où Hérat [Afghanistan] était très grande. » On avait demandé : « Comment était-elle grande ? » Il disait : « Il y avait au même moment vingt et un mille tripiers borgnes du nom d’Aḥmad ! » Combien faudrait-il d’humains, combien d’Aḥmad, combien d’Aḥmad borgnes, combien d’Aḥmad tripiers et borgnes pour qu’il puisse exister vingt et un mille tripiers borgnes du nom d’Aḥmad dans cette seule ville ! Ce sens de fabrication de la mythologie a causé beaucoup de dégâts ! Nous ne devons pas laisser un témoignage sacré de l’histoire entre les mains de faiseurs de légendes ! « Il y a parmi nous – les gens de la maison – des descendants intègres qui renient l’altération de ceux qui exagèrent, refusent l’usurpation des menteurs et l’interprétation des ignorants. »1 Nous incombe ce devoir ! Que l’on 1 Uṣûl al-Kâfî, tome 1, p 32 69 dise ce qu’on veut sur Hérat, mais concernant le récit de l’histoire d’Achoura, cet événement dont nous avons pour obligation de vitaliser chaque année en tant qu’institution, est-il juste d’y introduire toutes ces légendes ? LE FACTEUR SPÉCIFIQUE Le troisième facteur est un facteur spécifique. Les deux premiers facteurs abordés, soit les intérêts et la malveillance des ennemis, ainsi que le penchant de l’homme pour l’invention des mythes, sont des facteurs qui existent pour les récits de l’Histoire de l’humanité. Mais en ce qui concerne l’événement d’Achoura, il existe un contexte, un facteur particulier qui est également la cause des altérations de cette histoire. Quel est-il ? Depuis les temps du noble Prophète (p) et des purs Imams (p), les Guides de l’islam ont demandé avec insistance et persévérance de raviver le nom de Houssayn ibn ‘Alî et de se remémorer chaque année sa tragédie. Mais pourquoi ? Pourquoi cette directive dans l’islam ? Pourquoi les Imams accordèrent-ils une telle importance à ce sujet ? Et pourquoi autant d’éloges et d’exhortations pour la visite de Houssayn ibn ‘Alî ? Nous devons accorder 70 de l’importance à ces questions. Il se peut que quelqu’un dise que tout cela est fait pour consoler la noble Zahrâ’ (p) ! N’est-ce pas là des paroles absurdes ? Mais après mille quatre cents ans, Zahrâ’ (p) aurait-elle encore besoin de condoléances alors que selon les paroles de l’Imam Houssayn luimême et par nécessité religieuse, après son martyre, Houssayn et la noble Zahrâ’ (p) sont réunis ! Qu’estce donc alors que ces paroles ? La noble Zahrâ’ (p) serait-elle une enfant pour qu’après quatorze siècles elle en soit encore à pleurer et se lamenter ? Et voilà que nous, nous continuons de lui présenter nos condoléances ! Ce sont là des paroles qui détruisent notre religion ! Houssayn (p) est le fondateur d’une institution active de l’islam. Houssayn (p) est le modèle vivant des soulèvements islamiques. Ils [le Prophète et les Imams] voulaient que l’institution de Houssayn perdure, ils voulaient qu’une fois par an, l’Imam Houssayn nous lance cet appel doux et fort, plein d’exaltation. Qu’il se manifeste et qu’il nous crie : « Ne voyez-vous pas que ce qui est vrai n’est pas mis en œuvre et que ce qui est faux ne prend pas 71 fin pour que le croyant désire enfin rencontrer son Seigneur conformément à la vérité ? »1 Ils voulaient que ce cri « La mort m’est plus favorable que me couvrir d’opprobre. » 2 reste à jamais vivant ! Ils voulaient que ce cri « Je ne vois en la mort que bonheur et en la vie avec les oppresseurs que lassitude. »3 reste à jamais vivant ! Ils voulaient que reste à jamais vivante cette phrase de Houssayn « La voie de la mort est pour le fils d’Adam tel un collier autour du cou d’une jeune fille. »4 Et que vive à jamais « Loin de nous l’humiliation ! »5 Ils voulaient que restent vivantes de telles scènes où Houssayn (p), cet homme qui n’a d’égal dans ce monde, qui fait front à trente mille hommes et qui se retrouve, avec sa famille et lui-même dans la plus 1 Biḥâr al-Anwâr, tome 44, p 381 2 idem, tome 54, p 50 3 idem, tome 44, p 381 4 idem, tome 44, p 366 5 Al-Luhûf, p 41 72 grande détresse, déclare avec hardiesse : « L’illégitime, fils d’un illégitime, me pousse à choisir entre deux choses : la mort et l’humiliation ! Loin de nous l’humiliation ! Dieu nous refuse cela ainsi que son messager, les croyants et les descendants bons et purs ! »1 Que vive l’institution de Houssayn ! Que vive l’éducation de Houssayn ! Qu’un souffle de l’esprit de Houssayn s’insuffle en ce peuple et se mette à resplendir en lui ! Sa philosophie est très claire. Ne laissez pas Achoura sombrer dans l’oubli. Votre existence, votre vie, votre humanité et votre honneur dépendent de l’événement d’Achoura. Par ce moyen, vous pourrez maintenir l'islam vivant. Ils nous incitent donc à garder vivantes les assemblées d’élégies « Houssaynites » et c’est tout à fait juste. Rendre hommage à Houssayn ibn ‘Alî renferme réellement une philosophie claire, une bien belle philosophie même ! Quel que soit l’effort que nous faisons dans cette voie, à condition que l’objectif soit défini, cela est bienvenu. Malheureusement, certains n’ont pas compris cette philosophie. Ils s’imaginent que venir à ces 1 Al-Luhûf 73 assemblées, s’asseoir et pleurer sans faire connaître aux gens l’institution de Houssayn, la philosophie de son soulèvement et l’élévation de son rang, suffit à expier les péchés ! EMPLOYER DES MOYENS PROFANES À DES FINS SACRÉES Dans son livre La perle et le corail, feu al-Ḥâjj Nûrî mentionne un point qui concerne l’Imam Houssayn et le fait de le pleurer. Certains prétendent que la récompense de le pleurer est tellement grande que tous les moyens sont bons. Ils exploitent en ces jours une parole retirée de la pensée de Machiavel : « La fin justifie les moyens ». Tant que la fin est bonne, peu importe les moyens utilisés ! Selon cette pensée, ils prétendent : « Nous avons un objectif sacré et honorable qui est de faire couler des larmes pour l’Imam Houssayn (p), ce qui est en soi quelque chose d’admirable et il faut pleurer ! Mais par quel moyen devons-nous faire pleurer ? Par n’importe lequel ? La fin est certes honorable, mais peu importe la voie empruntée ? » Si nous devons rendre un hommage, doit-il se faire par l’offense ? Cela est-il acceptable ? Ils demandent : « Les larmes couleront-elles ou pas ? » 74 Puis ils enchaînent : « Pour peu que les larmes se mettent à couler, cela suffit ! » Faisons sonner les clairons, battre les tambours, commettons des péchés ! Habillons les hommes en femmes et célébrons le mariage de Qâsim ! Déformons et falsifions ! Dans la voie de l’Imam Houssayn, tout cela ne pose aucun problème. La cause de l’Imam Houssayn est différente de toutes les autres. Là, les mensonges sont pardonnés : déformer, altérer, falsifier, se déguiser, habiller un homme en femme, tout est pardonné. Chaque transgression commise est pardonnée car l’objectif est extrêmement sacré ! En conséquence, certaines personnes ont déformé et altéré cet événement de manière étonnante ! Il y a dix ou quinze ans, je m’étais rendu à Isfahan où j’ai rendu visite à un grand homme, feu al-Ḥâjj Muḥammad Ḥasan Najaf ’Âbâdî, (que Dieu élève son rang). Je lui ai rapporté le contenu d’une assemblée d’élégies (majlis) que je venais d’entendre et que jamais auparavant je n’avais entendu. Fortuitement, celui qui récitait ces élégies (rowzeh) était un individu toxicodépendant à l’opium. Il récitait d’une manière tellement prenante que les gens pleuraient avec démesure. Cet homme racontait l’histoire d’une vieille dame qui, à 75 l’époque du calife Mutawakkil, voulait se rendre sur le tombeau de l’Imam Houssayn. À cette époque, on empêchait les gens d’y aller en leur coupant les mains. Cela était arrivé à la vieille dame, qui a ensuite été emmenée et jetée à la mer. À ce moment même, elle cria : « Ô Abâ al-Faḍl al-Abbâs ! » Et alors qu’elle était en train de se noyer, un cavalier arrive et lui demande de s’accrocher à sa monture. Elle lui demande ensuite : « Pourquoi ne m’as-tu pas prise par les bras ? » et il lui répond : « Je n’ai pas de bras ! », ce qui avait fait énormément pleurer la foule. Feu al-Ḥâjj Cheikh Muḥammad Ḥasan me retraça l’historique de ce récit. Il me dit qu’un jour, aux environs du Bazar, non loin de l’école d’as-Sadr (cette histoire s’est déroulée avant son époque et elle lui avait été rapportée par des personnes fiables) s’établissait un grand majlis qui comptait parmi les plus importants d’Isfahan. Là où même feu al-Ḥâjj Mullâ Ismaïl Khâjuyî, qui était un des grands savants d’Isfahan, avait assisté à l’assemblée. Un prêcheur reconnu s’était mis à raconter : « J’étais le dernier orateur parmi nombreux autres qui récitaient leurs élégies et usaient de leurs talents dans l’art de faire pleurer les gens. Chaque orateur s’efforçait de 76 surpasser le précédent avant de rejoindre sa place et admirer la récitation du suivant. Cela avait duré jusqu’à midi. Je voyais que chacun employait son art de telle sorte qu’il parvenait à arracher des larmes de la foule. Je me demandais alors ce que je pouvais raconter à mon tour. C’est à ce moment-là que j’ai inventé cette histoire. Je suis donc monté en chaire et j’ai commencé à raconter le récit. La foule avait alors fondu en larmes et j’avais surpassé tous les autres. L’après-midi de ce même jour, je m’étais rendu à une autre assemblée d’élégies qui se trouvait à Tshahârsûq. Là, celui qui était monté en chaire juste avant moi s’était mis à raconter cette même histoire. Peu à peu, ce récit fut imprimé dans les livres et même publié. » Ce sujet qui est celui du système de la pensée de Houssayn est un sujet unique en son genre, et s’imaginer qu’il est permis d’employer n’importe quel moyen dans le but de faire pleurer les gens est illusoire et mensonger. C’est un facteur conséquent dans la distorsion et l’altération des récits de l’événement de Karbala ! Ce grand homme, feu al-Ḥâjj Nûrî, était le professeur de feu al-Ḥâjj Cheikh ‘Abbâs al-Qummî 77 à qui on le préférait. Aussi, selon le témoignage d’alḤâjj ‘Abbâs lui-même et d’autres [savants], il était un homme d’une extraordinaire érudition et d’une grande vertu religieuse. À ce sujet, il écrit dans son livre : « S’il était vrai que la fin justifie les moyens, alors je dis qu’étant donné que l’un des buts de l’islam est de semer la joie dans le cœur du croyant, c’est-à-dire d’entreprendre une action qui le rende heureux, alors je me permettrais de médire car cela le rendrait heureux ! On me dira, oui mais c’est un péché ! Je répondrais : Non ! Mon but était sacré, je ne voulais que le rendre heureux ! » Al-Ḥâjj Nûrî cite un autre exemple : Un homme embrassa une femme étrangère alors qu’embrasser une femme étrangère est illicite dans l’islam ! On lui demanda : « Mais pourquoi as-tu fais cela ? » Il répondit : « J’ai juste semé la joie dans le cœur d’une croyante ! » Il en va de même pour l’adultère, l’alcool, l’homosexualité, etc., on peut appliquer la même règle à tous les interdits. Mais qu’est-ce donc que ce chaos ? Qu’est-ce donc que ces paroles qui détruisent les lois de la religion ? Pour faire pleurer les gens pendant le deuil de l’Imam Houssayn (p), n’importe quel moyen est-il autorisé ? Par Dieu, cela est contraire aux paroles de l’Imam Houssayn (p) ! 78 Houssayn est tombé en martyr pour élever l’islam « J’atteste que tu as accompli la prière et que tu t’es acquitté de l’aumône. Tu as ordonné le bien, condamné le blâmable et combattu par la vérité dans le chemin de Dieu. »1 L’Imam Houssayn (p) a été tué pour que vivent les rites, les commandements et les lois de l’islam ; et non pour être un prétexte pour piétiner les règles. Nous avons fait de l’Imam Houssayn (p), que Dieu nous préserve, le destructeur de l’islam ! Nous avons fabriqué – que Dieu nous protège – dans notre imagination un Houssayn qui nuit à l’islam. Al-Ḥâjj Nûrî écrit aussi dans son livre qu’un étudiant de Najaf qui était originaire de Yazd lui avait rapporté ceci : « Durant ma jeunesse, j’étais en voyage et je marchais sur la route du désert salé (Kavir) qui mène au Khurâsân. (Il me semble que c’était le mois de Muharram.) Dans un des petits villages de Nishapur, il y avait une mosquée, et comme je n’avais pas d’endroit où aller, je m’y étais rendu. L’Imam de la mosquée est alors arrivé, a prié, puis est monté en chaire. À cet instant, je remarquais 1 Mafâtîḥ al-Jinân, Ziyâra de l’Imam Houssayn (p) pendant les nuits des deux Aïd, al-Fiṭr et al-Aḍḥâ. 79 avec étonnement qu’un employé de la mosquée avait apporté des cailloux et les lui avait remis. Lorsque ce dernier commença son récit, il ordonna que l’on éteigne les lumières. Une fois éteintes, il se mit à jeter les cailloux sur les participants, tandis que l’on entendait leurs cris s’élever. Lorsque l’on ralluma les lumières, je vis que les gens étaient blessés à la tête. Ils pleuraient tous en sortant de la mosquée. Je suis donc allé voir l’Imam de la mosquée et lui ai demandé : « Qu’est-ce donc cette pratique ?» Il répondit :« J’ai testé ces gens, aucun récit ne les fait pleurer ! Pleurer pour l’Imam Houssayn (p) est un acte où les rétributions sont importantes et je n’ai trouvé d’autre moyen de les faire pleurer que de leur jeter des cailloux à la tête ! C’est de cette manière que j’y parviens ! » Selon lui, la fin justifie les moyens. La fin, c’est pleurer sur l’Imam Houssayn (p) même s’il faut blesser les gens pour cela. Voilà donc un facteur spécifique responsable de distorsions et d’altérations dans les récits de l’événement de Karbala ! Lorsque l’homme voyage à travers l’histoire, il peut constater ce qui est arrivé à cet événement. Je jure par Dieu que al-Ḥâjj Nûrî avait raison ! Aujourd’hui, si quelqu’un veut pleurer 80 l’Imam Houssayn (p), qu’il pleure sur les distorsions et les altérations, qu’il pleure sur tous ces mensonges ! MULLÂ HOUSSAYN KÂSHEFÎ ET LE LIVRE RAWḌAT ASH-SHUHADÂ’ Il existe un célèbre livre intitulé Rawḍat ashShuhadâ’ (Le jardin des martyrs) dont l’auteur est Mullâ Houssayn Kâshefî. Al-Ḥâjj Nûrî affirme que les récits de Za‘far al-Jinnî (le génie) et les noces de Qâsim apparurent pour la première fois dans ce livre. Avant d’avoir eu cet ouvrage en main, je pensais qu’il ne contenait que deux ou trois récits de ce type mais le constat est autre. Publié il y a cinq cents ans, il a aussi été traduit en langue persane. Mullâ Houssayn Kâshefî était un savant, auteur de nombreux ouvrages dont Anwâr as-Suhayla. Lorsque nous parcourons sa biographie, son appartenance chiite ou sunnite ne peut être avérée. Fondamentalement, il était un homme caméléon : parmi les chiites, il se présentait comme chiite à part entière, et en présence de sunnites, il s’affichait comme Hanafite ; il était également originaire de Sabzevar qui était le centre du chiisme et dont les habitants étaient des chiites radicaux. À Sabzevar, il 81 savait être un véritable chiite et parfois, lorsqu’il se rendait à Hérat en visite (chez ‘Abd ar-Raḥmân Jâmî qui était l’époux de sa sœur ou le beau-frère de sa femme), il était sunnite et s’accordait aux rites sunnites. Il était aussi prêcheur et pendant qu’il était à Sabzevar, il récitait les élégies sur Karbala. On situe sa mort vers l’an 910 de l’hégire, c’est-à-dire vers la fin du neuvième siècle ou au début du dixième siècle de l’hégire. Ce livre est bien le tout premier ouvrage élégiaque sur Karbala, rédigé en langue persane. Pourtant, avant la parution de celui-ci, les gens se référaient aux sources originales comme al-Irchâd, dont l’auteur est Cheikh al-Mufîd (que Dieu l’agrée), qui est une œuvre ô combien élaborée ! Si nous nous référions à al-Irchâd de Cheikh al-Mufîd, nul besoin d’aller consulter ailleurs. Parmi les auteurs sunnites, nous avons Ṭabarî, Ibn Athîr, Ya‘qûbî ainsi qu’‘Asâkir et Khawârazmî. J’ignore pourquoi cet homme a entrepris une telle injustice mais lorsque je l’ai lu, le constat frappant est apparu : même les noms ont été déformés ! Parmi les compagnons de l’Imam Houssayn (p), des noms qui n’existaient absolument pas y sont cités et du côté des ennemis des identités sont inventées, sans 82 compter les récits présentés comme des contes. Comme ce livre a été le premier ouvrage de référence en persan, les récitants d’élégies – qui n’étaient pour la plupart ni instruits ni en possibilité d’accéder aux ouvrages en arabe – le (Rawḍat ashShuhadâ’) lisaient directement lors des assemblées. Ce qui a aujourd’hui donné l’appellation de Rowzeh khânî (Jardin où l’on conte) aux cérémonies de deuil de l’Imam Houssayn (p). À l’époque de l’Imam Houssayn (p), de l’Imam aṣ-Ṣâdiq (p) et de l’Imam al-‘Askarî (p), le terme Rowzeh khânî n’était pas encore d’usage. Puis, à l’époque de Sayyid Murtaḍâ et Khawâja Naṣîr adDîn aṭ-Ṭûsî, on ne parlait toujours pas de Rowzeh khânî. Cette nomination a fait son apparition il y a cinq cents ans. Rowzeh khânî signifie lire le livre Rawḍat ash-Shuhadâ’, c’est-à-dire lire ce livre de mensonges ! Depuis que ce livre est apparu dans les mains des gens, plus personne ne lit les véritables récits historiques de l’Imam Houssayn (p). À présent, nous lisons les contes de Rawḍat ashShuhadâ’ ! Nous sommes devenus Rowzeh khân ! C’est à dire Rawḍat ash-Shuhadâ’ Khân ! Nous transmettons des légendes, sans considération aucune pour l’histoire de l’Imam Houssayn (p). 83 MULLÂ DARBANDÎ ET ASRÂR ASH-SHAHÂDA Comme si cela ne suffisait pas, voilà que surgit il y a soixante ou soixante-dix ans feu Mullâ Darbandî. Ce dernier reprend tous les récits du Rawḍat ashShuhadâ’, y ajoute quelques autres histoires, puis les rassemble en un seul recueil qu’il intitule Asrâr ashShahâda (Les secrets du martyre). Le contenu de ce livre nous force manifestement à pleurer sur le sort de l’islam ! Al-Ḥâjj Nûrî écrit : « Nous assistions à un cours de al-Ḥâjj Cheikh ‘Abd al-Houssayn Ṭehrânî (un très grand homme) et profitions de son savoir lorsqu’un homme, un sayyid, récitant d’élégies venu de Ḥilla (Irak), arriva avec un livre sur la tragédie de Houssayn (p). Il le montra à Cheikh Ṭehrânî afin d’obtenir son avis sur la fiabilité de cet ouvrage. Ce livre n’avait ni introduction ni conclusion et il contenait seulement un passage où était mentionné qu’untel, Mullâ de Jabal al-‘Âmil [sud du Liban] avait été élève de l’auteur de al-Ma‘âlim. Feu Cheikh ‘Abd al-Houssayn prit donc le livre pour l’évaluer. Il commença tout d’abord des recherches sur le présumé auteur qui n’avait au final jamais été celui de cet ouvrage truffé de mensonges. Il dit à 84 l’homme : « Ce livre est un amas de mensonges ! Abstenez-vous de l’afficher ou même d’en relater un quelconque récit car cela n’est pas permis ! De plus, il n’a pas été écrit par ce savant et le contenu est mensonger. » Al-Ḥâjj Nûrî écrit : « Ce même livre est tombé entre les mains de l’auteur d’Asrâr ashShahâda, qui a rapporté la totalité des récits, du début jusqu’à la fin. » Al-Ḥâjj Nûrî rapporte également un autre fait très touchant : un individu était allé voir l’auteur d’alMaqâmi‘ 1 à qui il confia : « La nuit dernière, j’ai fait un cauchemar ! J’ai rêvé que de mes propres dents je déchiquetais le corps de l’Imam Houssayn (p). » Le savant se mit à trembler d’effroi, il baissa la tête, réfléchit un instant avant de l’interroger : « Serais-tu un conteur d’élégies (marthiyeh khân) ? » « Oui, en effet ! » répondit l’homme. Le savant lui conseilla alors : « À l’avenir, abandonne la récitation d’élégies, ou alors prends tes récits de sources fiables. Car proférer des mensonges revient à dilacérer de tes propres dents la 1 Feu Âghâ Muḥammad ‘Alî, fils de feu Waḥîd Bahbahânî étaient tous deux de grands hommes. Âghâ Muḥammad ‘Alî était allé à Kermanshâh où il jouissait d’une grande notoriété. 85 chair de l’Imam Houssayn (p) ! Dieu t’accorde une grâce en t’avertissant dans tes songes ! ». Si nous lisions les récits d’Achoura, nous verrions combien son histoire est la plus vivante, la plus riche en documents historiques et la plus abondante en sources fiables. Nous n’avons pas besoin de tous ces mensonges. En plus du fait que la distorsion et le mensonge soient des attitudes incorrectes, nous n’avons pas besoin de ces récits mensongers car nous possédons tellement de récits fiables que les relater est amplement suffisant. En s’adressant à ceux qui recherchaient des récits jamais entendus jusque-là pour les narrer au public, feu Âkhûnd Khurasânî disait : « Allez plutôt à la recherche des récits fiables que personne n’a entendus jusque-là ! » Que les gens aillent lire les sermons de l’Imam Houssayn (p) prononcés à la Mecque, au Ḥijâz, à Karbala, et sur le trajet. Qu’ils lisent les sermons prononcés par ses compagnons, les échanges de correspondances entre l’Imam luimême (p) et les autres, les lettres échangées entre les ennemis, sans parler des déclarations rapportées de ceux présents au moment de l’événement d’Achoura (ennemis ou compagnons). 86 Il y avait eu parmi les compagnons de l’Imam Houssayn (p) trois ou quatre personnes qui avaient échappé à cette tragédie dont un serviteur du nom de ‘Uqba ibn Sim‘ân. Il accompagnait l’Imam (p) depuis la Mecque et était le chroniqueur de l’armée de Abâ ‘Abdillah (p). Il fut capturé le jour d’Achoura, puis libéré lorsqu’il leur fit savoir qu’il n’était qu’un esclave. Se trouvait également un autre homme du nom de Ḥumayd ibn Muslim qui était le chroniqueur de l’armée de ‘Umar ibn Sa‘d. L’un de ceux qui avaient également assisté aux événements était la noble personne de l’Imam Zayn al-‘Âbidîn (p) qui rapporta tous les événements. Il n’y a dans l’histoire de l’Imam Houssayn (p) aucun point obscur. Malheureusement, al-Ḥâjj Nûrî nous rapporte une histoire inventée concernant l’Imam Zayn al-‘Âbidîn (p). Il dit : « Le jour d’Achoura, alors qu’il ne restait plus personne pour venir en aide à Abâ ‘Abdillah (p), ce dernier se rendit sous la tente de l’Imam Zayn al-‘Âbidîn pour lui faire ses adieux. L’Imam Zayn al-‘Âbidîn lui aurait demandé : « Ô cher Père ! Où en êtes-vous avec ces gens ?» (Ce qui implique que l’Imam Zayn al-‘Âbidîn ne savait rien de ce qui s’était passé.) L’Imam Houssayn (p) lui aurait répondu : « Mon cher fils ! Nous sommes en 87 guerre ! » Alors l’Imam Zayn al-‘Âbidîn demanda : « Qu’est-il advenu de Ḥabîb ibn Muẓâhir ? » Son père répondit : « Il a été tué. » « Et Zuhayr ibn alQayn ? » « Il a été tué. » « Et Burayr ibn Khuḍayr ? » « Il a été tué. » L’Imam Houssayn lui aurait fait la même réponse pour chaque compagnon sur lequel son fils s’enquérait. Ensuite, il l’aurait interrogé sur les Banî Hâshim. « Qu’est-il advenu de Qâsim ibn al-Ḥasan ? De mon frère ‘Alî al-’Akbar ? De mon oncle Abû al-Faḍl ? » « Ils ont été tués. » Il s'agit ici d'une altération et d'un mensonge ! L’Imam Zayn al-‘Âbidîn (p), Dieu nous en garde, n’était pas malade et inconscient au point de ne pas comprendre ce qui se déroulait autour de lui. L’histoire révèle que même dans l’état où il se trouvait, il était lucide. Il avait même demandé à sa tante : « Chère tante [Zaynab (p)] ! Apporte-moi ma canne et une épée ! » Donc, parmi ceux qui étaient présents et qui relatèrent les événements, il y avait l’Imam Zayn al- ‘Âbidîn en personne. Nous devons nous repentir pour ces crimes et ces trahisons que nous commettons envers la personne d’Abâ ‘Abdillah (p), de ses compagnons, de ses 88 alliés et de sa famille ! Nous leur ôtons tout honneur ! Faisons acte de pénitence et retirons ensuite les bienfaits de cette institution. LA GRANDEUR D’ABÛ AL-FAḌL (P) Que manque-t-il à la vie de ‘Abbâs ibn ‘Alî tel qu’il est rapporté dans les livres historiques fiables sur l’événement de Karbala ? Sa loyauté envers l’Imam Houssayn est à elle seule suffisante pour lui rendre tous les honneurs. Les ennemis n’avaient rien contre lui. À part l’Imam Houssayn (p), ils n’avaient affaire avec personne d’autre. L’Imam Houssayn (p) avait déclaré : « Ils n’ont que faire de vous ! Et s’ils me tuent, ils n’en auront après nul autre ! » Lorsque Shimr ibn Zhî al-Jawshan s’apprêtait à quitter Kûfa pour se rendre à Karbala, il y avait un homme parmi eux qui informa Ibn Ziyâd que des membres de la famille de sa mère étaient avec Houssayn ibn ‘Alî (p), puis il le supplia de leur délivrer un saufconduit ; ce que fit Ibn Ziyâd. Shimr appartenait à une tribu qui avait des liens de parenté avec la tribu d’Umm al-Banîn (la mère d’Abû al-Faḍl). L’après-midi du neuvième jour du mois de Muharram (tâsû‘a), cette autorisation fut apportée par cet individu qui se rendit près de la 89 tente de Houssayn ibn ‘Alî (p) et il se mit à crier : « Où sont les fils de notre sœur ? » Abû al-Faḍl (p), accompagné de ses frères, était assis en présence de l’Imam Houssayn (p). Personne ne répondit à l’appel, jusqu’à ce que l’Imam Houssayn (p) leur dise : « Répondez-lui, même s’il est mauvais ! » Le maître venait de donner sa permission, alors ils lui répondirent : « Qu’as-tu à dire ? ». Il leur dit : « Je vous apporte une bonne nouvelle ! Je vous apporte la sécurité de la part de l’Émir ‘Ubaydullâh. Vous êtes libres ! Si vous décidez de vous en aller maintenant, vous aurez la vie sauve ! » Ils répondirent : « Maudis sois-tu ! Toi, ton émir Ibn Ziyâd ainsi que le sauf-conduit que tu nous apportes ! Crois-tu que nous abandonnerons notre Imam et notre frère parce que vous nous accordez la sécurité ?! »1 La veille d’Achoura, celui qui fut le premier à déclarer son soutien à l’Imam Houssayn (p) était son brave frère, Abû al-Faḍl (p). Laissons de côté ces exagérations stupides ! Ce qui est incontestable dans l’histoire, c’est que Abû al-Faḍl était très vaillant, 1 Maqtal al-Houssayn de Muqarram, p 252. Bihar al-Anwar, tome 44, p 391. Al-Luhûf, p 37, 58 90 courageux et audacieux. Il avait une haute stature et un visage éclatant. Il était beau. On le surnommait Qamar Banî Hâshim (la lune des Banî Hâshim), ce qui est la stricte vérité. Quant à son courage, il l’a bien sûr hérité de ‘Alî (p). L’histoire de sa mère est une histoire véridique. ‘Alî avait demandé à son frère ‘Aqîl de lui choisir une épouse « Waladat-hâ al-fuḥûla » (mise au monde par une brave) « Litalida lî fârisan shujâ‘an » (afin qu’elle me donne un chevalier courageux). ‘Aqîl choisit alors Umm al-Banîn et dit à son frère : « Voici la femme que tu voulais ! » L’histoire est jusque-là authentique. À travers Abû al-Faḍl, le vœu de ‘Alî se réalisa. Selon l’une des deux narrations, Abû al-Faḍl s’avança et demanda : « Cher frère ! J’ai le cœur serré, je ne peux plus attendre, donne-moi l’autorisation car j’ai hâte de sacrifier ma vie pour toi ! » J’ignore dans quel intérêt l’Imam donna cette réponse à Abû al-Faḍl mais il est le seul à le savoir. Il lui dit : « Mon frère ! Va si tu le souhaites. Puisque tu y vas, essaie de rapporter de l’eau pour mes enfants. » Le surnom de Saqqâ’ (celui qui étanche la soif) avait été donné auparavant à Abû al-Faḍl car 91 au cours des nuits précédentes il était parvenu une ou deux fois à fendre les rangs de l’ennemi et apporter de l’eau aux enfants d’Abâ ‘Abdillah. Ce n’est pas vrai qu’ils soient restés durant trois jours et trois nuits sans boire de l’eau ! Non ! Cela faisait trois jours et trois nuits qu’ils en avaient été interdits mais ils avaient réussi à une ou deux reprises, dont la veille d’Achoura, à s’en procurer. Ils avaient même pu accomplir leurs grandes ablutions et se laver. Ainsi, Abû al-Faḍl partit chercher de l’eau. Regardez combien cette scène est pleine de splendeur, de grandeur, de courage, de bravoure, d’humanité, d’honneur, de savoir et de sacrifice ! À lui seul, il se lança face à une horde entière. Il est relaté que le nombre de ceux qui encerclaient le point d’eau s’élevait à quatre mille soldats. Sur son cheval, il s’engagea dans le bras de l’Euphrate (tout cela est relaté). Il saisit tout d’abord son outre qu’il parvint à remplir, puis la mit à son épaule. Il faisait très chaud, la soif l’assaillait et il avait dépensé beaucoup d’énergie. Alors qu’il était sur sa monture, l’eau du fleuve recouvrait les flancs de son cheval, il trempa ses deux mains dans le fleuve, prit de l’eau et la porta à ses lèvres saintes. Ceux qui l’observaient de loin racontèrent qu’il s’arrêta un 92 instant, puis après avoir rejeté l’eau de ses mains, il sortit du fleuve sans boire. Personne ne comprit pourquoi il n’avait pas bu à ce moment-là ! En sortant du fleuve, il déclama un rajaz (court poème) adressé à sa propre personne. On comprit ainsi pourquoi il avait renoncé à boire : Ô mon âme ! Mon souhait est que tu ne vives pas après Houssayn ! Voilà Houssayn qui boit à la coupe de la mort Tandis que tu veux boire à la fraîche fontaine ! Par Dieu ! Tel n’est point l’agissement dicté par ma foi, Ni l’agissement dicté par celui qui a la certitude véridique.1 Où serait alors ta bravoure, ton honneur, ta compassion et ta solidarité ? Houssayn (p) n’est-il pas ton Imam ? N’as-tu pas été guidé par lui ? N’estil pas celui que tu suis ? Voici Houssayn qui boit à la coupe de la mort, tandis que tu boirais à la froide fontaine. Jamais ! Jamais ma foi ne me permettrait cela ! Jamais ma loyauté ne me le permettrait ! Abû 1 Biḥâr al-Anwâr, tome 45, p41 93 al-Faḍl décida alors de s’en aller. Alors qu’à l’aller il avait pris le chemin direct, il préféra pourtant emprunter au retour, le chemin qui traversait des palmiers. Il savait qu’il transportait un dépôt précieux et sa seule aspiration était de pouvoir le remettre intact. Il prit donc un autre chemin au cas où une flèche viendrait percer l’outre qui pourrait se vider de sorte qu'il ne puisse plus atteindre son objectif. En cet instant d’émotion, Abû al-Faḍl changea les vers de sa poésie, et l’on comprit alors que quelque chose venait de se passer. Il s’écria : Par Dieu, même si vous me coupiez la main droite À jamais je défendrai ma religion Et un Imam, dont la certitude est inébranlable, Fils du Prophète, le pur et l’honnête. Peu de temps s’ensuivit qu’il se mit à réciter d’autres vers : Ô âme, ne crains pas les mécréants Et reçois la bonne nouvelle de la miséricorde du Tout Puissant. 94 Avec le Prophète, Seigneur des Élus. Ils tranchèrent, par leur turpitude, mon bras gauche.1 À travers ce rajaz, il fit connaître cette fois que sa main gauche venait d’être tranchée. Les historiens écrivent qu’avec la maîtrise de l’art de l’équitation et son agilité, il parvint tant bien que mal à se rouler sur l’outre. Je ne compte pas raconter ce qui s’est passé car c’est réellement déchirant. Cependant, il est de coutume de retracer la tragédie de ce grand homme, la veille du neuvième jour du mois de Muharram. J’y reviendrai. Umm al-Banîn, la mère d’Abû al-Faḍl, était encore vivante à l’époque de l’événement de Karbala. En revanche elle ne se trouvait pas à Karbala mais plutôt à Médine. Elle fut informée que ses quatre fils étaient tombés en martyrs à Karbala. Cette grande dame se rendait alors au cimetière du Baqî’ et se mettait à psalmodier des chants funèbres en l’honneur de ses fils. Il est relaté que les élégies de cette femme étaient si douloureuses que tous ceux qui les entendaient ne pouvaient retenir leurs 1 Biḥâr al-Anwâr, tome 45, p 40 95 larmes, même Marwân ibn Ḥakam, qui était le plus hostile des ennemis. Dans ses élégies, Umm alBanîn célébrait tantôt tous ses fils, tantôt l’ainé. Abû al-Faḍl était l’aîné quant à son âge, et le plus fort quant à ses qualités physiques et le plus élevé quant à sa spiritualité. Je vais vous réciter une des deux élégies de cette dame que j’ai mémorisées. (De façon générale, les arabes lisent les élégies de manière très émouvante). Dans cette complainte déchirante, cette mère en deuil déclamait : Ô vous qui avez vu al-‘Abbâs attaquer la masse rivale Et derrière lui les fils de Haydar tels des lions à la dense crinière On m’annonça que mon fils, à la tête fut frappé et sa main tranchée Ô hélas à mon lionceau, une lance de fer frappa à la tête Si ton épée avait été dans ta main, nul, de toi, ne se serait approché.1 1 Muntahâ al-Âmâl, tome 1, p 386 96 Ô vous qui de vos yeux avez vu ! Qui étiez à Karbala et avez vu ces scènes ! Vous qui avez vu ces moments où mon lion, mon fils Abû al-Faḍl devant et mes autres lionceaux derrière, qui se lancent sur cette horde vile. On m’a rapporté ce récit mais j’ignore si ceci est vérité ou mensonge. Ils racontent qu’alors que les deux mains de mon enfant étaient coupées, une lance en métal s’abattit sur sa tête ! Est-ce la vérité ? Ô Malheur ! Abû al-Faḍl ! Mon cher fils ! Je sais que si tu avais eu tes deux mains, aucun homme sur cette terre n’aurait osé t’affronter. Ceux qui ont osé, l’ont fait parce que tes deux mains n’étaient plus ! Il n’y a de pouvoir et de puissance hormis Allah, L’Élevé, Le Tout Puissant. Et que la prière d’Allah soit sur Muḥammad et sa pure famille. 97 CHAPITRE TROIS : LES ALTÉRATIONS SÉMANTIQUES DANS L’ÉVÉNEMENT DE KARBALA Comme précisé, les récits historiques si importants de l’événement de Karbala que nous avons entre les mains ont fait l’objet d’altérations aussi bien sémantiques que verbales. L’altération verbale réside dans le fait que nous ayons bâti un agglomérat sans harmonie autour du corpus de cet événement historique, ce qui en obscurcit les faces splendides et resplendissantes. Nous avons malencontreusement enlaidi son aspect et quelques exemples ont déjà été exposés à ce sujet. Il est malheureux de constater que cet événement historique a subi, par nos mains, des altérations sémantiques bien plus dangereuses que l’altération verbale. Ce qui a fait perdre à cet événement son caractère particulier est l’altération du sens et non celle du terme. Ainsi, les méfaits de l’altération du sens sont plus importants que ceux de l’altération verbale. 98 LA SIGNIFICATION D’« ALTÉRATION SÉMANTIQUE » Que signifie altération sémantique ? Il est fort possible que dans une phrase, aucun mot ne soit ni omis ni ajouté. Néanmoins, lorsque nous voulons donner à cette phrase une explication et une interprétation, nous le faisons d’une manière à donner un sens totalement contraire et opposé au sens voulu. Pour ce fait, voici un seul exemple pour illustrer l’idée. Un jour, alors que les musulmans construisaient la mosquée de Médine et que ‘Ammâr ibn Yâsir déployait de manière extraordinaire et sincère des efforts acharnés, on rapporte du Prophète Muḥammad (p) (récit rapporté de source sûre) le propos suivant : « Ô ‘Ammâr ! Tu seras tué par le groupe des injustes ! » En référence au verset du Saint Coran dans lequel il est dit que si deux groupes de musulmans se battent, et que l’un des deux se rebelle, alors vous devez combattre celui qui se rebelle, puis instaurer la conciliation entre eux. La phrase prononcée par le Prophète (p) à propos de ‘Ammâr ibn Yâsir conféra un grand statut à ce 99 compagnon. Durant la bataille de Ṣiffîn, lui qui était au service de l’Émir des croyants ‘Alî (p), sa présence dans l’armée de ‘Alî (p) y donnait un poids important. Ceux dont la foi était fébrile n’étaient pas convaincus d’être dans la voie de la vérité en combattant dans les rangs de ‘Alî (p) tant que ‘Ammâr ibn Yâsir n’avait pas encore été tué ! La mort de ‘Ammâr dans les rangs de ‘Alî (p) rendrait le combat contre Mu‘âwiya et ses hommes légitime. Le jour où ‘Ammâr ibn Yâsir fut tué par l’armée de Mu‘âwiya, des cris s’étaient élevés de toutes parts : « Le Prophète avait dit vrai ! » Ainsi, la preuve la plus probante que Mu‘âwiya et ses hommes n’étaient pas dans la voie de la vérité fut justement qu’ils étaient ceux qui avaient tué ‘Ammâr comme annoncé par le Prophète Muḥammad (p) dans le passé : « Ô ‘Ammâr ! Tu seras tué par le groupe des injustes ! » En référence au verset : {« Si deux groupes de croyants se combattent, faites la conciliation entre eux. Si l’un d’eux se rebelle contre l’autre, combattez le groupe qui se rebelle jusqu’à ce qu’il se conforme à l’ordre d’Allah... »} [49:9] Aujourd’hui, il paraît limpide comme de l’eau de roche que l’armée de Mu‘âwiya était le groupe 100 d’injustes, de rebelles, d’oppresseurs et de tyrans et que l’armée de ‘Alî (p) était dans le vrai. Cette affaire avait ébranlé les esprits dans les troupes de Mu‘âwiya. Ce dernier, habitué à user de ruses et de fourberies dans son intérêt, avait eu recours à une distorsion sémantique car il ne pouvait nier les paroles du Prophète (p) et dire : « Non ! Le Prophète n’a jamais dit cela à propos de ‘Ammâr ! » Alors que – peut-être – près de cinq cents personnes pouvaient témoigner avoir entendu cette phrase du Prophète (p) ou de quelqu’un qui l’avait entendue de ce dernier (p). Par conséquent, cette phrase concernant ‘Ammâr ibn Yâsir était indéniable. Les soldats de Shâm protestèrent contre Mu‘âwiya : « Nous avons tué ‘Ammâr et le Prophète avait précédemment annoncé : “Tu seras tué par le groupe des injustes !” » Mu‘âwiya leur répondit alors : « Vous vous trompez ! Certes, le Prophète avait dit que ‘Ammâr serait tué par le groupe des injustes, mais nous ne l’avons pas tué ! » Ils lui dirent : « Notre armée l’a tué ! » Il répondit : « Non ! Il a été tué par ‘Alî ! ‘Alî s’est arrangé pour le faire venir ici et est responsable de sa mort ! » Chaque fois que quelqu’un venait et 101 contestait, Mu‘âwiya et ‘Amr ibn al-‘Âṣ le persuadaient en lui brouillant l’esprit avec de telles explications et le renvoyaient aussitôt rejoindre l’armée. ‘Amr ibn al-‘Âṣ avait deux fils. L’un était comme lui, avide de la vie d’ici-bas et des plaisirs mondains tandis que l’autre, ‘Abdallâh, était un jeune homme relativement croyant et qui ne s’entendait pas avec son père. Lors d’une réunion à laquelle ‘Abdallâh assistait, cette manœuvre fallacieuse avait été employée. ‘Abdallâh dit alors : « Mais qu’est-ce donc ces paroles ! Qu’est-ce donc ce sophisme ! Parce que ‘Ammâr était dans l’armée de ‘Alî alors c’est ‘Alî qui l’a tué ? » Ils répondirent : « Oui ! » Il dit : « Dans ce cas, Ḥamza, le seigneur des martyrs, a été tué par le Prophète puisqu’il était dans son armée ! » Mu‘âwiya se mit en colère et dit à ‘Amr ibn al-‘Âṣ : « Pourquoi ne fais-tu donc pas taire ton fils mal élevé ? » Voilà donc l’exemple de ce que l’on appelle une altération sémantique. Si nous voulons altérer le sens d’un événement ou d’un fait historique, comment devons-nous procéder ? Les événements et les faits historiques 102 ont d’une part causes et motifs, et d’autre part, objectifs et intentions. L’altération d’un événement historique peut se faire soit en formulant les causes et les motifs de manière autre que ce qui a été dit, soit en interprétant les objectifs et les intentions de manière différente de ce qu’il en était à l’origine. Supposons que vous alliez rendre visite à une personne revenue de son pèlerinage à la Mecque car vous savez que ceci est un acte recommandé. Quelqu’un dit : « Savez-vous pourquoi untel est allé rendre visite à cette personne ? » On lui demande : « Pourquoi ? » Il dit : « Cette personne lui a rendu visite car il souhaite demander la main de sa fille pour son fils. Le pèlerinage à la Mecque n’est qu’un prétexte ! » Votre intention a été ainsi déformée et c’est ce qu’on appelle l’altération du sens (ou l’altération sémantique). Nous, musulmans, chiites de Houssayn ibn ‘Alî (p), avons altéré l’événement d’Achoura de la même manière que Mu‘âwiya ibn Abî Sufyân a altéré la phrase du Prophète Muḥammad (p) concernant ‘Ammâr ibn Yâsir « Tu seras tué par le groupe des injustes ! » 103 Houssayn ibn ‘Alî (p), par sa révolte, avait un motif et nous lui en avons forgé d’autres ! Il avait un objectif et une intention spécifiques mais nous lui en avons inventé d’autres, différents ! Abâ ‘Abdillah (p) a mené une révolte extraordinaire et sacrée. Toutes les conditions qui procurent le caractère sacré à une révolte étaient réunies dans la révolte d’Abâ ‘Abdillah (p) et celleci n’a de pareille dans le monde. Mais quelles sont ces conditions ? LES CONDITIONS D’UNE RÉVOLTE SACRÉE La première condition d’une révolte sacrée est que ses intentions et objectifs ne doivent pas être personnels ou individuels mais collectifs, généraux et humanitaires. Parfois, il se peut qu’une personne mène une révolte pour ses propres intérêts mais parfois, elle peut être menée pour la société, pour l’humanité, pour une réalité, pour la vérité, pour l’Unicité de Dieu, pour la justice, pour l’égalité et non pour la personne elle-même. En réalité, dès lors qu’elle se soulève, ce n’est plus à titre individuel mais en son nom et celui de tous les autres. C’est pourquoi ceux dont les mouvements, actions, 104 soulèvements à travers le monde n’ont pas été pour leur propre personne mais pour l’humanité, la vérité, la justice et l’égalité, pour l’Unicité de Dieu, la connaissance divine et la foi, ceux-là sont respectés de tous. De la même façon que le Prophète (p) dit : « Houssayn est de moi et je suis de Houssayn », nous disons : « Nous sommes de Houssayn et Houssayn est de nous ! » Pourquoi le disons-nous ? Nous pensons ainsi, parce que mille trois cent vingthuit années auparavant, Houssayn, que la paix soit sur lui, s’est soulevé pour nous et pour toute l’humanité. Sa révolte était une révolte sacrée et pure, loin de tout intérêt personnel. La deuxième condition pour qu’une révolte soit sacrée est qu’elle soit inspirée de perspicacité, clairvoyance et d’une forte perception. Que veut dire cela ? Parfois, le peuple est insouciant, désinformé, il ne comprend pas, il est dans l’ignorance ! Arrive alors une personne, clairvoyante, perspicace et consciente, qui perçoit les maux des gens à cent pour cent mieux qu’euxmêmes. Surgit un individu qui identifie le remède alors que les autres n’y comprennent rien ni ne le voient ni ne le perçoivent. Apparaît une personne illuminée et éveillée qui devine même dans la brume 105 ce que les gens ne voient pas dans un ciel dégagé ; elle se lève et se révolte. Vingt, trente, cinquante années s’écoulent et les gens viennent alors à réaliser combien les intentions de cette personne qui s’est révoltée étaient sacrées ! Ils se disent : « Durant les vingt, trente, cinquante années passées, nos pères n’ont pas pris conscience de la valeur de ce mouvement. » Prenons par exemple feu Sayyid Jamâl ad-Dîn Asad Âbâdî, qui, il y a environ soixante ou soixantedix ans, (cet homme est mort en l’an 1310 de l’hégire, quatorze ans avant la révolution constitutionnelle persane) s’était soulevé et avait initié une révolte islamique dans les pays musulmans. Si vous parcourez aujourd’hui son histoire, vous constaterez combien il était esseulé et abandonné des gens. Il ressentait les maux des peuples et en connaissait les remèdes mais il était incompris. Le peuple le raillait et le tournait en dérision, personne ne l’a soutenu ! Maintenant que soixante ou soixante-dix années se sont écoulées, que les angles de l’histoire se sont éclaircis, nous voyons que cet homme avait élucidé à l’époque ce que quatre-vingt-dix-neuf pour cent du peuple iranien ne percevait pas. Lisez au moins les deux 106 lettres que ce grand homme a écrites. L’une à l’attention de feu Ayatollah Mîrzâ Chîrâzî Buzurg, que Dieu élève son rang, et l’autre était une circulaire adressée à l’ensemble des Oulémas d’Iran. Demeurent également les lettres écrites à feu al-Ḥâjj Muḥammad Taqî Bujnurdî à Mashhad ainsi qu’à des grands savants d’Isfahan ou de Chiraz ! Lisez donc, afin de constater combien cet homme avait parfaitement cerné le colonialisme et était disposé à éveiller le peuple (laissons de côté ces absurdités que certains instruments du colonialisme répandent encore de nos jours, et puis comme l’indique le dicton : la couleur de ce henné n’a plus de teinte). La révolte de Houssayn est sacrée car cet homme s’est levé à une époque où derrière les apparences se trouvaient des réalités qu’il pouvait cerner et que les hommes de son temps ni ne comprenaient ni ne réalisaient. Aujourd’hui, nous assimilons parfaitement qui était Yazîd, ce que signifiait le gouvernement de Yazîd. Nous saisissons les stratagèmes de Mu‘âwiya et les plans des Omeyyades ! Mais quatre-vingt-dixneuf pour cent des musulmans de cette époque n’en étaient pas conscients, tout particulièrement avec 107 l’inexistence de moyens d’informations comme il en existe aujourd’hui. Les gens de Médine ne réalisaient pas, et un jour, ils comprirent qui était Yazîd et ce qu’impliquait son califat. Une fois que l’Imam Houssayn (p) fut assassiné, ils furent choqués, et s’interrogèrent sur la cause du martyre de Houssayn (p). Une délégation constituée des grands de Médine, dont à la tête un homme du nom de ‘Abdallâh ibn Ḥanẓala Ghasîl al-Malâ’ika, avait été envoyée à Shâm. Lorsqu’ils parcoururent la distance qui sépare Médine de Shâm, ils se rendirent à la cour de Yazîd et y restèrent quelques temps, ils comprirent à ce moment la réalité des choses. De retour à Médine, on leur demanda ce qu’ils avaient vu. Ils répondirent : « Ce que nous pouvons dire c’est que tout le temps où nous étions à Shâm, nous priions pour que Dieu ne nous inflige d’un châtiment comme une pluie de pierres, abbatue du ciel à nos têtes ! » On leur demanda : « Mais que s’est-il passé ? » Ils répondirent : « Nous avions en face de nous un calife qui consommait ouvertement du vin, jouait et pariait, s’amusait avec des chiens et des singes et avait même des relations incestueuses avec les femmes de sa famille ! » 108 ‘Abdallâh ibn Ḥanẓala Ghasîl al-Malâ’ika avait huit fils. Il déclara aux gens de Médine : « Que vous le vouliez ou non, je vais mener une révolte, même si je dois agir seul avec mes huit fils ! » Et c’est ce qui se passa : lors de la révolte de Ḥarra contre Yazîd, il envoya ses huit fils se battre. Ces derniers tombèrent en martyrs avant que lui-même ne tombe à son tour. Où était ‘Abdallâh ibn Ḥanẓala Ghasîl alMalâ’ika lorsque deux ou trois ans auparavant, Abâ ‘Abdillah (p), qui s’apprêtait à quitter la Mecque, avait dit au moment de sortir : « Salut à l’islam quand la communauté est affligée par un chef comme Yazîd ! » « Qu’adviendrait-il de l’islam si Yazîd prenait en main le califat islamique ? » Ce jour-là, ‘Abdallâh ibn Ḥanẓala n’était pas conscient ! Houssayn (p) a dû être tué, le monde interloqué, pour que ‘Abdallâh ibn Ḥanẓala Ghasîl al-Malâ’ika, ainsi que des centaines d’autres personnes comme lui à Médine, à Kûfa et ailleurs, ouvrent les yeux et se disent : « Houssayn, que la paix soit sur lui, avait raison de parler ainsi ! » La troisième condition pour qu’une révolte soit sacrée, c’est qu’elle doit être unique en son genre, isolée. Que veut dire cela ? Elle doit être tel un éclair fulgurant dans une totale obscurité, un cri au beau 109 milieu du silence, un mouvement au milieu de l’inertie absolue. Cela veut dire que dans des conditions où l’étouffement est absolument dominant, que les hommes n’ont plus le pouvoir de s’exprimer, que l’obscurité et le désespoir restent absolus, la désespérance totale et le silence formel, surgit un homme qui brise ce silence, dissipe l’inertie et donne le mouvement ! Un éclair qui resplendit dans l’obscurité ! C’est ainsi que certains se mettent à avancer derrière lui. La révolte de Houssayn (p) relevait-elle de ce ressort ou non ? Oui, elle en relevait ! L’Imam Houssayn (p) avait mené une révolte pareille. Mais quel était son objectif ? Nous verrons par la suite ce que les Imams ont dit quant au fait de maintenir à jamais vivant le deuil d’un tel Imam et d’un tel événement. Par cette révolte, quel était le but de Houssayn ? Pourquoi les purs Imams ont tant insisté sur le fait de maintenir pérenne la tradition des cérémonies de deuil de Houssayn (p) ? C’est ce que nous allons essayer de comprendre. Pourquoi l’Imam Houssayn (p) s’est-il soulevé ? En quoi aurions-nous besoin d’avancer nos arguments alors que Houssayn ibn ‘Alî (p) a lui- 110 même expliqué ses raisons : « Je ne me suis pas soulevé de gaîté de cœur ni par orgueil ni par subversion ni injustement. Je me suis soulevé pour réformer la nation de mon grand-père. » Il déclare avec une grande clarté : « Notre monde est envahi par la subversion, la communauté de mon grandpère a été corrompue. C’est pour la réformer que je me suis levé. Je suis un réformateur. Je veux commander le Bien et interdire le Mal et poursuivre la voie de mon grand-père et de mon père. Je n’ai d’autre but que d’ordonner ce qui est bien et interdire ce qui est mal. » L’Imam Houssayn (p) a clairement expliqué ses objectifs. « Ne voyez-vous pas que la vérité n’est pas suivie, que le mal n’est pas banni, afin que le croyant puisse rencontrer son Seigneur conformément à la Vérité ? » Il explique donc, personnellement, la nature de son objectif. DEUX ALTÉRATIONS SÉMANTIQUES DANS LES OBJECTIFS DE L’IMAM HOUSSAYN (P) C’est là où nous voulons en venir et nous exprimer ! Là où se trouve la distorsion du sens ! Houssayn ibn ‘Alî (p) dit : « Je me suis levé pour ordonner le Bien, pour redonner vie à l’islam, pour 111 combattre les corruptions. Ma révolte est une révolte réformatrice-islamique. » Tandis que nous, nous disons autre chose ! Nous avons habilement eu recours à deux altérations très étonnantes du sens (j’ignore si je dois dire habileté ou ignorance !) : Nous avons dit que l’Imam Houssayn (p) s’était soulevé pour être tué, pour expier les péchés de la Umma ! Où donc cela a-t-il été dit ? L’Imam Houssayn (p) aurait-il lui-même dit une telle chose ? Le Prophète l’aurait-il dit ? L'un des Imams l’auraitil dit ? Mais nous répondons avec mépris, que de telles interrogations ne nous importent. L’Imam Houssayn (p) a été tué pour que nos péchés soient pardonnés ! Je me demande si nous n’avons pas pris cette pensée des chrétiens ? Sans le savoir, la communauté musulmane prélève beaucoup de concepts de la pensée chrétienne au désavantage de l’islam. L’un des fondements du dogme de la chrétienté est la question du sacrifice de Jésus-Christ par le crucifiement. Le sacrifié était le surnom donné à Jésus-Christ. Dans la doctrine chrétienne, une partie des textes mentionne que Jésus a été mené au gibet pour expier les fautes du peuple. C'est-àdire qu'ils réparent leurs péchés à travers le sacrifice de Jésus. N'avons-nous pas pensé que cela est le 112 discours du monde chrétien et qu’il ne s’accorde ni avec l'esprit de l'islam ni avec les dires de Houssayn (p) ? Par Dieu, c’est une accusation portée à l'égard de Abâ ‘Abdillah ! Par Dieu ! Si pendant le jeûne du mois de Ramadan, quelqu'un attribuait ces paroles à l'Imam Houssayn (p), son jeûne serait invalide car c'est un mensonge sur Houssayn (p) ! Abâ ‘Abdillah s'est soulevé pour combattre le péché, mais nous avons dit qu'il s'était soulevé pour être un rempart contre nos péchés ! Nous avons dit qu’il a créé une assurance, qu’il avait fondé une compagnie d’assurance ! Pour garantir quoi ? « Nos péchés ! » aurait-il dit. « Voilà, vos péchés sont assurés, qu’aurai-je en échange ? » « Des larmes ? » Vous verserez des larmes pour moi ? Et moi en échange, je compense vos péchés ! Soyez qui vous voulez ! Ibn Ziyâd, ‘Umar ibn Sa‘d ! Il n’y a pas assez d’Ibn Ziyâd dans ce monde ! Pas assez de ‘Umar ibn Sa‘d ! Pas assez de Sinân ibn ’Anas ! Pas assez de Khawlî ! L’Imam Houssayn (p) aurait-il voulu qu’il y ait plus de Khawlî, plus d’Ibn Ziyâd, alors il aurait annoncé : « Ô gens ! Soyez aussi mauvais que vous le pouvez car je suis votre garant ! » ? 113 La seconde altération sémantique a été du point de vue de l’interprétation et de l’explication de l’événement de Karbala, lorsqu’on dit : « Savezvous pourquoi l’Imam Houssayn (p) s’est soulevé et a été tué ? » Si on demande : Pourquoi ? Ils répondent : « Un ordre particulier lui a été exclusivement adressé ! » On lui aurait dit va et faistoi tuer ! Donc, ni vous ni moi ne trouvons de lien direct avec lui ! Cela voudrait dire que nous ne devons pas reproduire cet ordre qu’il reçut ! Ce qui ne s’accorde pas avec les commandements de l’islam qui sont des commandements à la fois particuliers et généraux ! Ô combien notre discours et celui de l’Imam sont différents ! L’Imam Houssayn (p) cria haut et fort que les raisons et les motivations de son soulèvement étaient conformes aux fondements généraux de l’islam. Il n’y avait pas besoin de commandement particulier ! De plus, un commandement particulier n’est donné que lorsque les commandements généraux ne sont pas suffisants. L’Imam Houssayn (p) avait déclaré sans équivoque : « L’islam est une religion qui en aucun cas n’autorise à un croyant (il ne dit même pas « Imam ») de rester indifférent face à l’oppression, la tyrannie, la subversion et le péché. » L’Imam 114 Houssayn (p) a mis au monde une idéologie pratique qui est l’idéologie même de l’islam. L’islam a fourni les enseignements et l’Imam Houssayn (p) les a mis en pratique. Nous avons décontextualisé cet événement de son idéologie, en avons fait un cas particulier et par conséquent inapte à être reproduit. Dans cette lancée, nous ne pouvons tirer aucun profit de Houssayn (p) ni de l’événement de Karbala. Résultat, nous avons rendu cet événement stérile du point de vue de son apport. Il semble très improbable de penser qu’il s’agissait là d’un ordre exceptionnel. En revanche, on peut parler d’un commandement particulier dans le sens où le commandement général à ce sujet n’était pas suffisant. S’il n’y avait pas cet ordre singulier, l’islam n’aurait pas comporté le commandement de se soulever et de se révolter dans de telles conditions et dans une situation pareille. En l’absence de ce type de commandement particulier, il semblerait que l’islam nous demande d’agir comme bon nous semble. [Autrement,] C’est une trahison envers l’Imam Houssayn ibn ‘Alî (p) ! Existe-t-il dans cette vie une trahison plus haute que celle-là ? Voilà ce que je ciblais à propos des altérations du sens dans les événements de Achoura, 115 et elles sont cent fois plus dangereuses que les altérations verbales. Dans les altérations verbales par exemple, quelqu’un commence par supposer que le jour de Achoura avait duré soixante-douze heures, puis il insiste sur les soixante-douze heures. Ce ne sont que des balivernes de dire que Houssayn ibn ‘Alî a tué trois cent mille hommes ou parler des noces de Qâsim (car en réalité il s’agit d’une offense envers Houssayn ibn ‘Alî) ! Prétendre la venue de Za‘far le génie, que Zaynab aurait dit ceci et cela à Abâ ‘Abdillah et qu’Abâ ‘Abdillah aurait demandé : « Qui pourrait m’apporter ma monture ? », qu’il n’avait ni aide ni partisans, que Zaynab est allée chercher le cheval d’Abâ Abdillah, et bien d’autres mensonges ! Tout cela n’est pas un danger si grave sur le but fixé par Houssayn ibn ‘Alî comparé à ces altérations du sens qui sont gravement dangereuses. La conséquence est que nous avons déformé voire transformé les objectifs et intentions de l’Imam Houssayn (p). 116 LA PHILOSOPHIE DES COMMANDEMENTS DES PURS IMAMS (P) Nous avons mentionné que les purs Imams (ainsi qu’une narration rapportée du Prophète) nous incitaient à garder vivant le souvenir de ce soulèvement (p), à ne pas l’oublier et à pleurer l’Imam Houssayn (p). Quel est l’objectif de ces directives ? Nous avons déformé le véritable objectif, en disant que c’était seulement pour consoler la douleur de Fâṭima az-Zahrâ’ (p) alors même qu’elle est au paradis avec son honorable fils ! On attend de nous que nous versions pour elle quelques larmes afin de la consoler ! Croyez-vous trouver une offense plus grande que celle-là à l’égard de Fâṭima az-Zahrâ’ (p) ? Ils prétendent que les Imams auraient demandé de pleurer dans l’objectif de consoler Fâṭima az-Zahrâ’. D’autres personnes formulent des pensées différentes [à propos des raisons des directives des Imams]. Ils prétendent que l’Imam Houssayn (p) a été assassiné à Karbala par un certain nombre de malfaiteurs et qu’il est mort innocemment. Nous en sommes donc profondément touchés ! Je suis d’accord avec le fait que l’Imam Houssayn (p) a été 117 tué alors qu’il était innocent, mais est-ce tout ?! Un homme innocent tué par des brigands ?! Chaque jour un millier de personnes innocentes sont tuées par des personnes non innocentes ! Chaque jour, des milliers de personnes innocentes dans le monde se font tuer par des transgresseurs et c’est bouleversant. Pourtant, cela vaut-il la peine que pendant tant d’années, tant de siècles, on en soit encore à en parler, à s’asseoir et à montrer combien nous sommes touchés et combien il est dommage que Houssayn ibn ‘Alî (p) ait disparu et que son sang ait coulé pour rien ! Houssayn (p) a été tué en innocent par un groupe de malfaiteurs qui l’a attaqué ! Houssayn ibn ‘Alî (p) a été tué innocent, mais qui affirme que son sang a coulé en vain ? S’il existe bien quelqu’un dans le monde dont la plus infime goutte de sang n’a pas été versée en vain, c’est Houssayn ibn ‘Alî (p) ! S’il existe quelqu’un dans ce monde dont un fragment de sa personnalité n’a pas été vain, c’est bien Houssayn ibn ‘Alî ! Chaque goutte de son sang a une telle valeur qu’il est impossible de l’estimer ! Si nous évaluions les richesses dépensées pour lui jusqu’au Jour de la Résurrection, pour chaque goutte de son sang, des milliards et des milliards de Tomans ont été 118 dépensés par les êtres humains. L’être dont la mort a fait que son nom fait à jamais trembler les fondements des palais des tyrans a-t-il disparu vainement ? Son sang a-t-il été versé en vain ? Nous avons du chagrin parce que Houssayn ibn ‘Alî (p) a disparu vainement ? C’est toi qui disparaîtras vainement, pauvre ignorant ! C’est toi et moi qui disparaîtrons en vain ! C’est notre vie, à toi et à moi qui est partie vainement ! Aie du chagrin sur ton propre sort car tu as offensé Houssayn (p) en disant qu’il a disparu vainement ! Houssayn ibn ‘Alî (p) est celui à qui il a été dit : « Certes, tu as auprès de Dieu un degré que tu n’atteindras que par le martyre. » Houssayn ibn ‘Alî (p) qui aspirait à mourir en martyr, aurait-il aussi aspiré à disparaître vainement ? Ceux (les Imams) qui recommandèrent de maintenir le deuil de Houssayn ibn ‘Alî (p) vivant, l’ont fait parce que son but était sacré. Houssayn ibn ‘Alî (p) a bâti une institution et ils ont souhaité qu’elle perdure. Vous ne trouverez aucune institution dans ce monde semblable à celle de Houssayn ibn ‘Alî (p). Si vous y parvenez, alors vous pourrez à ce moment vous demander pourquoi il faut chaque année raviver son souvenir ? [Existe- 119 t-il] une institution semblable à celle de l’Imam Houssayn (p) durant les événements d’Achoura, dans la calamité et l’affliction, dans l’Unicité, dans sa manifestation de la foi et de la connaissance de Dieu, dans sa croyance totale en l’autre monde, dans sa satisfaction et son renoncement, dans sa patience, sa bravoure, dans la sérénité de son âme, de sa persévérance et de son obstination, dans sa fierté et sa dignité, dans son désir de liberté, dans son humanité, dans son désir de servir l’humain ? Si vous trouvez un modèle semblable, alors vous pourrez dire : « À quoi bon raviver le nom de Houssayn (p) ? » (Mais il n’a ni de semblable ni de pareil). L’objectif de leur directive était de faire resplendir dans nos âmes l’esprit de Houssayn ibn ‘Alî. Si les larmes que nous pleurons sur lui sont en harmonie avec notre âme, ce serait alors un petit envol de notre esprit vers l’âme de Houssayn (p). Si un atome de sa détermination, de son sens de l’honneur, de sa liberté, si un atome de sa foi, de sa vertu, de son Unicité de Dieu, rayonnait en nous, et si de là des larmes s’écoulaient de nos yeux, elles auraient alors une valeur inestimable. S’ils (les Imams) disent que même si elles sont de la taille 120 d’une aile de mouche, elles valent la terre entière, croyez-le donc ! Mais non pas ces larmes qui sont versées pour un Houssayn (p) disparu vainement mais celles versées pour la grandeur de Houssayn (p) et de sa personnalité ! Les larmes qui reflètent notre harmonie avec Houssayn ibn ‘Alî (p) et notre subordination à lui valent la terre entière même si elles sont de la taille d’une aile de mouche. Ils (nos Imams) voulaient que cette institution soit à jamais visible par les gens, que les gens de la famille du Prophète (p) soient la preuve et les témoins de la véracité du Prophète (p). S’il est par exemple dit que tel musulman a fait preuve de foi et de courage dans la bataille contre la Perse ou l’Empire Romain, cela n’est pas tant une preuve légitime de la véracité du Prophète (p) autant que lorsque le fils du Prophète (p) lui-même accomplit tel ou tel acte, car les proches d’une personne sont bien plus sujettes au doute et au soupçon plutôt qu’un tiers. Donc voir la famille du Prophète (p) comme étant un modèle de sincérité et de croyance est le meilleur témoignage en faveur de la véracité du Prophète Muḥammad (p). Personne n’a été aussi proche du Prophète que ne l’a été ‘Alî (p), élevé par son grand cousin. Personne n’a cru au Prophète (p), ni ne lui a été aussi loyal que 121 ne l’a été ‘Alî (p). Il est en son être même la preuve première de la véracité du Prophète (p). Houssayn (p) est la progéniture du Prophète (p) et lorsqu’il montre sa foi envers les enseignements de ce dernier, Houssayn (p) reflète le Prophète (p) comme si c’est le Prophète (p) lui-même qui se manifestait. [Les gens disent :] « Regardez combien ce Prophète est véridique, son fils a su choisir entre deux voies ; d’un côté la fortune, la richesse, les promesses, mille sortes de plaisirs, de garanties mais la vérité et la foi n’y sont pas, de plus les opprimés sont nombreux et toutes les richesses du peuple sont spoliées dans l’intérêt d’un groupe particulier d’individus. De l’autre côté, se trouve la mort, le martyre des jeunes, la captivité des femmes et enfants, la soif, l’affrontement de la puissance et des épées mais la vérité est vivante, tout comme le vrai, la justice et par extension l’islam ! » Vous voyez que le fils du Prophète s’est engagé sur cette voie. Ainsi, les gens réalisent à quel point le Prophète était véridique ! Ces valeurs, auxquelles aspire l’être humain mais qui se reflètent très peu dans les actes, se révèlent 122 pleinement dans l’existence de Houssayn (p) ! Comment l’esprit de l’humain peut-il devenir à ce point invincible ? Qu’Allah soit Exalté ! Jusqu’où l’humain peut-il s’élever ! Jusqu’à quel point l’esprit de l’homme devient-il invincible alors que son corps est mis en pièces, que ses jeunes enfants sont décimés devant ses yeux et qu’il est accablé d’une soif intense au point où lorsqu’il regarde le ciel, sa vue s’assombrit. Il voit ses proches devenir captifs dans un futur proche ; mais il lui reste cependant un élément : son esprit ! Jamais son esprit ne sera vaincu. Citez-moi un seul événement, théâtre d’une telle démonstration de vertus humaines autre que la tragédie de Karbala et dont nous devrions célébrer la mémoire ? Nous devons donc maintenir vivant un tel événement durant lequel un groupe de soixantedouze personnes a vaincu, du point de vue psychologique, une armée de trente-mille hommes. Comment les ont-ils vaincus ? Premièrement, malgré leur petit nombre et leur mort certaine, aucun d’entre eux n’a rejoint le camp adverse, tandis que des trente-milles hommes, certains ont rejoint les rangs de Houssayn (p). Parmi eux, un des commandants de l’armée, Ḥurr ibn Yazîd ar-Riyâhî 123 ainsi que trente autres soldats. Ceci reste la preuve que, du point de vue psychologique, ils ont gagné et les autres ont perdu. ‘Umar ibn Sa‘d a pris certaines mesures qui indiquent sa propre défaite morale. En effet, son armée s’abstint de combattre en duel alors qu’ils avaient au départ accepté cette tactique. Selon l’usage de l’époque, au commencement d’une bataille et dans le jargon militaire, avant les tirs des archers, deux personnes de chaque camp devaient s’affronter en duel. Les quelques personnes qui s’étaient aventurées face aux compagnons de l’Imam Houssayn (p) [et qui avaient été défaites] leur avaient donné tant de force morale que ‘Umar ibn Sa‘d ordonna à ses hommes de ne plus combattre en duel. LA FORCE MORALE DE L’IMAM HOUSSAYN (P) À quel moment Abâ ‘Abdillah (p) s’était-il engagé sur le champ de bataille ? Imaginez que ce soit l’après-midi du jour d’Achoura. À midi, un certain nombre de ses compagnons étaient encore vivants et ils avaient même pu accomplir leur prière. Du matin jusqu’à l’après-midi, il s’était efforcé, seul la plupart du 124 temps, à ramener les corps de ses compagnons un à un jusqu’à la tente des martyrs. Il se rendait auprès de ses compagnons mourants et réconfortait les gens de sa famille, ajouté à cela, toutes les horribles souffrances qu’il voyait. Il a été le dernier à s’engager sur le champ de bataille. Les ennemis s’étaient imaginés que dans de telles circonstances, ils pouvaient le combattre aisément, en ne lui laissant aucun répit. ‘Umar ibn Sa‘d s’écria : « Que votre mère sanglote sur votre sort ! Savez-vous qui vous combattez ? Il est le fils du guerrier dévastateur des arabes ! Le fils de ‘Alî ibn Abî Ṭâlib (p) ! Par Dieu, l’esprit de son père est en lui. N’allez pas le combattre ! » N’est-ce pas là un signe de défaite ? Face à un seul homme, qui malgré toutes les souffrances endurées, tous ces efforts déployés, assoiffé et tiraillé par la faim, trente mille soldats en corps à corps s’avouent vaincus et battent en retraite. Ils avaient non seulement été vaincus par l’épée d’Abâ ‘Abdillah (p) mais aussi par sa logique. Le jour d’Achoura, juste avant que les combats ne commencent, Abâ ‘Abdillah (p) avait prononcé deux à trois sermons vraiment magnifiques ! Ceux qui prononcent des discours savent parfaitement 125 qu’il est impossible pour une personne se trouvant dans un état ordinaire de prononcer un discours si extraordinaire qui soit à l’apogée du sublime. L’âme de l’être humain doit vibrer, particulièrement si ce discours a une nature élégiaque. L’âme doit avoir enduré une grande souffrance pour que l’élégie retentisse. Si l’on veut composer un ghazal (poésie lyrique), le cœur doit avoir ressenti une émotion de passion intense pour que le ghazal produit en soit à la hauteur. Si l’on souhaite faire le récit d’une épopée, il faut ressentir de fortes émotions épiques pour que le récit soit digne de l’épopée. Lorsque Abâ ‘Abdillah (p) voulait prononcer ses sermons, en particulier celui du jour d’Achoura, qui est le plus détaillé des sermons (durant lequel ‘Umar ibn Sa‘d avait craint pour ses troupes), l’Imam Houssayn (p) descendit de son cheval et chercha un lieu assez élevé afin que sa voix porte au plus loin. Il monta alors sur un chameau et cria à haute voix : « Malheur à vous, nous nous sommes empressés de venir à votre secours lorsque vous avez fait appel à nous ! » N’est-ce pas là un échantillon des sermons de ‘Alî (que la paix soit sur lui) ? Si nous comparions ces sermons à ceux de ‘Alî (p), nous ne pourrions trouver des sermons plus 126 ardents en ce monde ! Houssayn (p) s’était exprimé à trois reprises et ‘Umar ibn Sa‘d craignait que ses hommes ne soient influencés par ses mots. Lorsque l’Imam reprit de plus belle et que le moral de l’ennemi tomba, ‘Umar ibn Sa‘d ordonna à ses hommes de hurler en frappant sur leur bouche afin que personne ne puisse entendre la voix de Houssayn (p). N’est-ce pas là un signe de défaite ? N’est-ce pas là un signe de la victoire de l’Imam Houssayn ? Si l’humain possède la foi, la croyance en l’Unicité de Dieu et s’il Lui est relié, s’il croit en l’au-delà, alors il peut moralement vaincre vingt ou trente mille hommes à lui seul. Cela ne devrait-il pas être une leçon pour nous ? Où pourrions-nous trouver un tel exemple ? Où trouveriez-vous dans le monde une personne qui, dans les circonstances vécues par Houssayn ibn ‘Alî (p), pourrait prononcer des mots semblables à ceux de ce sermon ? Qui pourrait énoncer le sermon que Zaynab (p) avait prononcé aux portes de Kûfa ? Si les Imams nous ont demandé de commémorer le deuil de Houssayn (p), de maintenir son souvenir vivant, c’est pour que nous comprenions et percevions ce point. C’est afin que nous réalisions la grandeur de Houssayn (p), et si nous versons des 127 larmes, que ce soit alors en connaissance de cause. Notre connaissance de Houssayn (p) nous élève et nous rend humains, elle fait de nous des êtres libres, des gens épris de véracité et de vérité, des gens justes, elle fait de nous des musulmans véritables. L’idéologie de l’Imam Houssayn (p) est une idéologie qui édifie l’humain mais n’en fait pas un transgresseur ! Houssayn (p) est une base pour les bonnes actions et non pour les péchés. Telle est la philosophie de ceux qui nous incitent à garder vivant le deuil de Houssayn ibn ‘Alî (p). Regardez, quelle calamité a frappé Houssayn (p) ibn ‘Alî ! Quelle difficulté il a affrontée ! Quel malheur et peine il a endurés ! Regardez, face à tout cela, Houssayn (p) n’est-il pas sorti glorieux ? Alors, soyez, vous aussi, un tant soit peu de bons chiites et de bons partisans ! Soyez portés vers l’Unicité divine, croyez au jour du jugement et en l’au-delà ! Le matin du jour d’Achoura, il avait prononcé une phrase dont peut-être, à cette époque, aucun homme ne comprit combien elle était inspirée de vérité. Ils écrivent : « Alors que l’Imam Houssayn (p) venait d’accomplir ses prières avec ses compagnons, il se tourna vers eux et leur dit : “Mes amis, la mort n’est rien d’autre qu’un pont 128 qui vous aide à passer d’un monde vers un autre. D’un monde très dur vers un monde extraordinaire, noble et empli de douceur.” » Voici son discours, alors imaginez ses actes ! Cette dernière phrase n’est pas celle de Houssayn (p) mais des chroniqueurs qui assistaient à la bataille. Hilâl ibn Nâfi’, qui était le chroniqueur de ‘Umar ibn Sa‘d, rapporte également : « Je m’étonne de voir que plus la mort se rapproche de Houssayn ibn ‘Alî (p), plus ses difficultés s’intensifient et plus son visage resplendit, comme le visage de celui qui s’apprête à retrouver sa bien-aimée. » Il rapporte aussi les derniers instants de la vie de Houssayn, alors que cet être maudit à jamais (son bourreau) était en train de séparer la noble tête du corps : « Je me suis dirigé vers Houssayn ibn ‘Alî (p), quand mon regard s’est posé sur lui, son sourire et la splendeur de son visage m’ont fait oublier sa mort. La lumière de son visage et la beauté de son allure m’ont fait oublier qu’il se faisait tuer. » Trouveriez-vous un modèle semblable ? Si vous en trouvez un, alors nous le commémorerons à la place du deuil de Houssayn (p), nous célébrerons son souvenir plutôt que celui de Houssayn (p). 129 Les historiens ont relaté qu’Abâ ‘Abdillah (p) avait choisi un point d’attaque tout proche des tentes des femmes et cela pour deux raisons : La première était qu’il savait combien les ennemis étaient lâches, inhumains et manquaient de sens de l’honneur. Ainsi, les ennemis sauraient qu’ils avaient affaire à Houssayn (p) et qu’ils ne devaient s’en prendre au campement. Il voulait que tant que son âme habite son corps et que la vie batte encore en lui, personne ne puisse s’attaquer au camp des femmes. Lorsqu’il attaquait, les ennemis fuyaient mais lui ne les poursuivait pas trop. Il retournait aussitôt près des tentes afin qu’elles ne soient pas exposées à une attaque. La seconde raison était que tant qu’il vivait, il voulait que les gens de sa maison sachent qu’il était toujours en vie, c’est pourquoi il avait choisi un point d’où il était possible d’entendre sa voix. Lorsqu’il revenait à son point, il s’écriait : « Il n’y a de pouvoir et de puissance en dehors de Dieu, Le Très Haut, Le Très Grand ! » Ainsi, sa famille s’apaisait et comprenait qu’il était toujours là. L’Imam Houssayn (p) leur disait de ne pas sortir des tentes tant qu’il était en vie. (Ne croyez pas ceux qui 130 disent que les gens de la maison de l’Imam accouraient toujours à l’extérieur des tentes ! Jamais ! Il leur avait ordonné que tant qu’il vivait, ils ne devaient pas sortir des tentes.) Ne prononcez pas de viles paroles qui pourraient effacer vos récompenses. Soyez sûrs que votre fin sera bonne et que vous trouverez le salut. Dieu châtiera bientôt vos ennemis. Ils n’avaient pas la permission de sortir des tentes et ils ne sortaient pas. Le sens de l’honneur de Houssayn (p) ne le permettait pas, la dignité et la pudeur des femmes les retenaient de sortir. Ainsi, la voix de l’Imam (p) qu’ils entendaient « Il n’y a de pouvoir et de puissance en dehors de Dieu, Le Très Haut, Le Très Grand ! » rassurait leur esprit car, bien qu’il ait fait ses adieux, l’Imam (p) était revenu une ou deux fois auprès d’eux, pour qu’ils puissent prendre de ses nouvelles. C’est pourquoi les gens de sa maison étaient constamment dans l’attente qu’il revienne. À cette époque, les chevaux arabes étaient dressés pour les champs de bataille, le cheval étant un animal docile. Lorsque le propriétaire du cheval était tué, l’animal manifestait une réaction très particulière. 131 [Imaginez :] Les gens de la maison d’Abâ ‘Abdillah (p) sont à l’intérieur de la tente, ils espèrent entendre la voix de l’Imam Houssayn (p) ou alors, une fois encore, ils auront la chance de voir la beauté du maître. Soudain, le cri du cheval d’Abâ ‘Abdillah s’élève, la famille se précipite vers l’entrée de la tente pensant que le maître Houssayn (p) est revenu, mais le cheval est seul et sa selle est renversée. C’est là que les enfants et les proches de Houssayn (p) se mettent autour du cheval et se mettent à crier fort « Ô Houssayn ! Ô Muḥammad ! » (La lamentation fait partie de la nature de l’homme, lorsque ce dernier veut exprimer une émotion douloureuse, il le fait sous forme de lamentation, il s’adresse alors au ciel, à un animal ou à un humain.) Tous les membres de la famille de l’Imam Houssayn (p) pleurent et se lamentent. Le maître leur avait bien dit que tant qu’il était en vie, ils n’avaient pas le droit de pleurer, mais après sa mort ils pouvaient le faire. Tous se mirent à pleurer. Il est écrit que l’Imam Houssayn (p) avait une fille du nom de Sukayna qu’il aimait énormément. Plus tard, elle devint une femme savante et lettrée à laquelle les grands savants et écrivains accordèrent une grande importance et un profond respect. Abâ 132 ‘Abdillah (p) avait un amour profond pour cette fille qui lui était attachée de manière extraordinaire. Il est rapporté que cette fille avait prononcé, sous forme de lamentation, une phrase qui déchira les cœurs. En se lamentant, elle s’adressa au cheval et lui dit : « Ô cheval de mon père ! Mon père a-t-il été désaltéré ou bien est-il mort assoiffé ? » À quel moment cette phrase a-t-elle été prononcée ? Au moment où Abâ ‘Abdillah (p) est tombé de son cheval. Cette guerre débuta par le tir d’une flèche et s’acheva pareillement ! Avant l’après-midi du jour d’Achoura, et après que l’Imam Houssayn (p) ait accompli l’achèvement de son argument, ‘Umar ibn Sa‘d arma son arc d’une flèche et l’envoya vers…1 1 L’enregistrement du discours fut interrompu durant quelques secondes. 133 CHAPITRE QUATRE : NOS RESPONSABILITÉS FACE AUX ALTÉRATIONS Au cours des trois dernières soirées, notre étude portait sur les altérations qui ont touché le récit historique de l’événement d’Achoura. Nous avions divisé ce sujet en quatre parties dont la première abordait la définition du mot arabe taḥrîf (altération) et ses différentes formes. La deuxième partie portait sur l’explication des altérations survenues dans le récit de l’événement d’Achoura avec des exemples de distorsions. Dans la troisième partie, nous avons étudié les différents facteurs, les causes et effets de ces altérations de manière générale, de même que les facteurs particuliers intervenus dans le récit historique d’Achoura. La quatrième partie concerne la responsabilité des personnes face à ces altérations, aussi bien celle des savants de la communauté que celle de la masse des gens. De ces quatre sections, nous en avons abordé trois au cours des trois nuits précédentes. Ce soir, par la grâce de Dieu, nous parlerons de la quatrième partie. 134 Ce grand événement historique a manifestement et graduellement subi des altérations à travers le temps. Sans nul doute, nous détenons un devoir de lutte face à ces distorsions, et pour être plus juste, si nous convoitons quelconque mérite et respect, ce serait que notre génération est impartie de la mission de lutter contre ces altérations. Cependant, avant de discuter de cette responsabilité et de cette mission, qu’il s’agisse des savants de la communauté (en d’autres termes, les élites) ou de la masse populaire (en d’autres termes, les communs), je vais exposer, en guise d’introduction, deux points : le premier est que nous devons analyser le passé et identifier les responsables de ces altérations. Les savants en seraient-ils les responsables ou la masse des gens ? Repérer aujourd’hui le devoir et à qui il incomberait est une chose, et savoir qui dans le passé a été fautif et qui en était responsable en est une autre. Habituellement, dans ce genre d'affaire, les savants rejettent la responsabilité sur le dos des gens et ces derniers pointent du doigt les premiers. Selon les savants, la faute revient à la masse populaire, à son ignorance, à sa tendance à vouloir entendre de telles absurdités et à son inaptitude à cerner la réalité. 135 J’ai personnellement entendu de feu Ayatollah Sadra, que Dieu élève son rang, que Tâj Nishâpûrî prononçait des inepties en chaire. Lorsque le reproche lui fut adressé de ne pas prononcer de mots convenables devant toute cette assemblée, il répondit que les gens n’en étaient pas dignes ! Et par un argument, il en a même, soi-disant, donné la preuve ! Face aux élites, le commun a également son propre raisonnement selon lequel le poisson s’avarie toujours par la tête, en attribuant aux savants la fonction de tête et à la masse des gens celle de la queue. L’ÉLITE EST TOUT AUTANT RESPONSABLE QUE LE COMMUN DES GENS En réalité, les savants (l’élite) et la masse du peuple sont tous deux égaux face à ces responsabilités et manquements. Que les élites et les savants soient responsables est un fait qui ne nécessite pas d’explication mais j’en parlerai tout de même lors de l’exposé sur la responsabilité des savants. Néanmoins, sachez que la généralité des gens et la masse partagent cette responsabilité, au même degré et parfois même davantage. Dans ce 136 genre d’affaire, la masse des gens contribue à détruire la vérité et à répandre les superstitions. Dans un célèbre hadith dont la fiabilité est reconnue par les savants, un homme interrogea l’Imam aṣ-Ṣâdiq (p) à propos du verset coranique « Et il y a parmi eux des illettrés qui ne savent rien du Livre hormis des prétentions et ils ne font que des conjectures. » (Dans ce verset, Dieu critique la masse populaire des juifs. Pourtant, après l’avoir présentée comme illettrée et inculte, Il la considère comme responsable.) L’homme demanda à l’Imam : « Il est vrai que les savants juifs détenaient une responsabilité mais alors, quelle était celle de la généralité des gens ? Faire partie de la généralité n’exempte-il pas des responsabilités ? (Le hadith est bien plus détaillé). L’Imam répondit : « Ce n’est pas ainsi... ! » Il existe des cas où avoir étudié est indispensable, et des réalités que seules les personnes ayant fait des études peuvent percevoir. Dans ce cas, il peut être dit que la généralité des gens n’est pas responsable car elle n’a pas étudié. Même si parfois, la responsabilité des gens réside dans le fait de ne pas avoir étudié. Mais pourquoi en serait-il ainsi ? C’est 137 là une question légitime ! Mais si la généralité des gens n’a pas de responsabilité, il n’empêche que dans certains cas, il est nécessaire d’avoir des personnes qui ont étudié, qui savent lire, qui ont eu un professeur ! Lorsque la masse n’a jamais vu de professeur, connu d’école ni jamais lu de livre, pourquoi serait-elle responsable ? Toutefois, il y a des faits où l’être humain doué de bon sens perçoit naturellement et ce sont des situations qui ne nécessitent pas d’être allé à l’école, d’avoir lu des livres ou d’avoir eu un professeur ! Dans un jargon plus simple : il ne faut pas avoir obtenu le diplôme du secondaire ni même avoir été jusqu’en sixième, il suffit d’être doté de raison et de bon sens ! Puis l’Imam (p) cita un exemple : « Imaginons un savant qui inviterait les gens à la foi et à la vie vertueuse mais lui-même agirait contrairement à la foi et à la vie pieuse ! Il appellerait les gens au repentir mais n’agirait pas dans ce sens. La généralité des gens constaterait qu’il ne met pas en pratique ce qu’il prêche ! L’Imam poursuit : « L’être humain doit-il avoir étudié et avoir eu un professeur pour comprendre qu’un tel individu ne devrait pas être suivi ? La généralité des juifs voyait et percevait consciemment. Par instinct 138 naturel, ils savaient qu’ils ne devaient pas suivre de telles personnes, mais malgré cela, ils les ont sui

vis et sont donc responsables. » Nombreuses questions ne demandent pas d’études, ni de savoir lire, écrire, de connaître l’arabe ou même le persan, encore moins la morphologie et la grammaire ou bien la jurisprudence et leurs principes, et en dernier lieu la logique ou la philosophie ! Il suffit d’avoir une nature saine et cette nature saine, tout le monde la possède et perçoit à travers elle. Le Prophète Muḥammad (p) prononça une phrase pleine de bon sens et qui fait écho à l’instinct raisonné : « Les actes ne valent que selon les intentions qui les animent et chacun n’a pour lui que ce qu’il a eu réellement l’intention d’entreprendre. » Les actes dépendent de l’intention. Si vous agissez sans être animé d’intention particulière, vous ne serez pas responsable de votre agissement s’il est mauvais mais vous ne serez pas non plus rétribué si l’acte est bon. Si une personne vous raconte un rêve qui serait une soi-disant histoire, dans laquelle quelqu’un aurait atteint le plus haut degré de l’élévation avec pardon de tous ses péchés dans le 139 monde des songes et cela, parce qu’il avait autrefois agi par contrainte lors d’un quelconque événement, ou même sans avoir eu la plus infime intention d’agir, ou encore avec une intention contraire, dans ce cas devrions-nous le croire ? Devrions-nous avoir lu un livre pour ne pas y croire ? Devrions-nous connaître la langue arabe pour ne pas y adhérer ? Devrions-nous savoir lire et écrire pour ne pas croire ? Les péchés de l’homme ne s’effacent qu’en faisant pénitence. Seul un retour à la vérité balaie les péchés « … Les bonnes œuvres dissipent les mauvaises… » Ce sont les bonnes actions qui font disparaître les conséquences des mauvaises et non une action réalisée sous contrainte ou sans intention précise. Jamais ne nous servons-nous de ce don divin qu’est notre nature ? On retrouve le récit suivant dans certains ouvrages : « Un brigand bloquait la route des voyageurs et les tuait. Un jour, il apprit qu’une caravane de pèlerins allait passer pour se rendre à Karbala. Il s’était embusqué dans le col d’une montagne afin de surprendre les visiteurs de l’Imam 

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