Retour de Trump: comment l’Europe va-t-elle se préparer au choc ?

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Retour de Trump: comment l’Europe va-t-elle se préparer au choc ?

Par Ghorban-Ali Khodabandeh

Le 47e président des États-Unis est officiellement investi le lundi 20 janvier. Absents de la cérémonie en dehors de quelques dirigeants d’extrême droite, les Européens se préparent à un deuxième mandat placé sous le signe de la confrontation.

Alors que Donald Trump est de retour à la Maison-Blanche, il est bien difficile de savoir à quoi vont ressembler les échanges entre les dirigeants européens et le nouveau président des États-Unis. En effet, Donald Trump inquiète une partie de ses alliés européens, à la fois sur le plan géopolitique comme le plan économique.

Quelle position l’UE doit-elle adopter face à ce nouveau rapport de force ? Faut-il désormais observer une distance plus importante vis-à-vis de Washington ? Ou au contraire conserver coûte que coûte les liens préférentiels entre l’UE et son allié outre-Atlantique ?

Si la nécessité de conserver des liens importants avec l’allié américain est mise en avant, plusieurs expertes mettent en garde contre la vulnérabilité de l’Union européenne et appellent à une transformation majeure de la relation transatlantique.

À quoi pourraient ressembler les relations entre l’UE et les États-Unis sous Donald Trump ?

Deux mois et demi après son élection, le 5 novembre dernier, Donald Trump a été investi lundi comme le 47e préside des États-Unis. Au terme d’une cérémonie à Washington, le républicain a prêté serment devant plusieurs milliers de spectateurs, mais aussi un parterre d’invités présents pour l’occasion… et une seule dirigeante européenne, la Première ministre italienne Giorgia Meloni.

La présence de la responsable n’est pas anodine : au moment où l’Europe cherche la bonne relation à entretenir avec Donald Trump, celle-ci fait le choix de la proximité affichée avec le républicain. Une position qui n’est pas forcément la même dans chacun des États membres de l’Union européenne, dont les diplomates redoutent parfois les premiers mois de ce second mandat trumpien. Avant même qu’il soit investi, Donald Trump a par exemple déjà ferraillé avec le Danemark. Ces dernières semaines, il avait menacé à maintes reprises de s’emparer du territoire autonome du Groenland, rattaché à Copenhague.

Après la pandémie, la guerre en Ukraine et la crise énergétique inflationniste qui s’ensuivit, le retour à la Maison-Blanche de Donald Trump, ce 20 janvier, pose un nouveau défi à une Union européenne en décrochage économique. En effet, l’UE est mal armée pour faire face à un président américain qui se dit prêt à recourir à la coercition économique ou à la force militaire pour annexer de nouveaux territoires, à se retirer de l’OTAN, ou encore à se lancer dans une guerre commerciale avec les autres blocs.

Selon les analystes, il faut d’abord replacer l’élection de Donald Trump au sein de plusieurs tendances structurelles qui ont redéfini ces dernières années la relation de l’UE aux États-Unis. La doctrine économique du nouveau président américain – l’Amérique d’abord – n’a en réalité pas vraiment évolué depuis le premier passage du milliardaire au pouvoir.

Cette configuration s’inscrit dans un mouvement plus général depuis une vingtaine d’années aux États-Unis, avec l’émergence d’un « nouveau consensus de Washington » partagé entre républicains et démocrates. Ce concept, mêlant volonté de puissance commerciale et protectionnisme économique, « va guider la politique économique du président Trump ». Barrières douanières, nouvelle politique tarifaire, plus grand contrôle des importations et des exportations… Le clan Trump prépare l’Europe à une relation économique encore plus contraignante que lors de son premier mandat.

Un « deal » sur la défense européenne en échange de la paix commerciale ?

L’Union européenne veut proposer à Donald Trump qu’elle investisse davantage pour sa défense, mais lui réclamer en échange de ne pas lancer de guerre commerciale, a déclaré lundi Stéphane Séjourné, vice-président de la Commission européenne, en charge de la stratégie industrielle.

« Le deal avec les États-Unis, c’est oui pour un désengagement de la défense européenne et pour construire des garanties de sécurité européennes en plus de l’OTAN, mais nous ne pouvons pas le faire avec une guerre commerciale à nos portes. Et les budgets nationaux ne sont pas en capacité de monter partout à 3 % (du PIB) le budget de la défense », a-t-il dit.

Le retour à la Maison-Blanche de l’imprévisible Donald Trump fait craindre aux Européens que Washington se désengage progressivement de la sécurité européenne.

Le dirigeant américain a déjà dit vouloir que les pays de l’OTAN augmentent leur budget de défense à 5 % du PIB, répétant à l’envi que ses membres ne payent pas suffisamment pour la protection assurée par les États-Unis.

Dans ce rapport de force incertain, plusieurs chefs d’État européens, dont le Français Emmanuel Macron, appellent à un renforcement de la sécurité au niveau de l’UE, sans parvenir à convaincre toutes les chancelleries dans ce projet à ce stade.

Même si Donald Trump ne mettra probablement pas à exécution toutes ses menaces, « personne en Europe ne prend aucun sujet évoqué jusqu’ici à la légère », assure un autre diplomate. Les chancelleries du continent ont été plutôt rassurées par les messages envoyés par Washington au sujet de l’Ukraine. Donald Trump ne compte plus résoudre le conflit « en vingt-quatre heures », mais désormais en quelques mois. Signe qu’il ne veut pas d’un accord à tout prix, qui serait défavorable à Kiev.

Près de trois ans après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et alors que le président américain Donald Trump prend ses fonctions, les Européens se demandent comment ils pourraient peser et ne pas être exclus d’éventuels pourparlers de paix cette année.

Les diplomates de l’Union européenne (UE) s’inquiètent surtout d’un scénario dans lequel Donald Trump serait tenté d’organiser des discussions bilatérales avec Vladimir Poutine au détriment des Européens.

Sur le front commercial, la Commission a déjà préparé des représailles potentielles à des hausses de droits de douane sur les produits européens. L’UE s’est dotée, dans la précédente législature, de puissants instruments de défense commerciale.

Les dirigeants européens auront l’occasion d’échanger sur le lien transatlantique dès le 3 février, lors d’une réunion informelle organisée au château de Limont, près de Liège en Belgique. L’objet principal de la rencontre est la défense européenne et les moyens de financer la montée en puissance de l’industrie de défense européenne.

Comment résoudre le problème Musk ?

Le magnat de la tech, Elon Musk est en relation avec de nombreux responsables politiques dans le monde. Les gouvernements européens n’ont pas encore trouvé comment gérer le fait d’être dans son collimateur.

C’est un milliardaire trublion, à l’avant-garde des technologies vertes, propriétaire d’un puissant réseau social — et il a l’oreille du président élu des États-Unis.

Il n’est donc pas étonnant que les gouvernements européens se préoccupent de savoir comment gérer Elon Musk, tout en évitant ses critiques erratiques et souvent mal informées sur leur politique intérieure.

Le propriétaire de Tesla et de X — pressenti pour mener une campagne d’efficacité administrative au cours du second mandat de Donald Trump — n’hésite pas à critiquer les gouvernements en place et à soutenir les mouvements d’opposition de la droite populiste. Bien qu’il se plaigne d’ingérence étrangère lorsque d’autres tentent de s’impliquer dans la politique américaine.

Sa principale cible semble être le gouvernement travailliste britannique dirigé par le Premier ministre Keir Starmer. Mais il a également vivement critiqué le chancelier allemand Olaf Scholz et soutenu les mouvements de droite dure dans les deux pays.

D’autres dirigeants européens ont tenté de courtiser Musk dans l’espoir d’éviter son ire et d’adoucir leurs relations avec Trump, que Musk a aidé en finançant sa campagne à hauteur de millions de dollars.

Emmanuel Macron a invité le propriétaire de Tesla et de Twitter à la réouverture de la cathédrale Notre-Dame et souhaite qu’il participe à un sommet sur l’intelligence artificielle à Paris.

Musk n’a pas encore apporté son soutien à Marine Le Pen et à l’extrême droite française. Mais le président Macron — qui, comme Scholz en Allemagne, est politiquement fragile et confronté à des turbulences internes — cherche désespérément à le rallier à sa cause.

La Première ministre italienne Georgia Meloni a tissé ses propres liens avec Musk. Et le président ukrainien Volodymyr Zelensky a été contraint de se montrer gentil avec lui lors d’un appel post-électoral avec Trump, malgré de profonds désaccords sur la réponse à apporter à l’invasion russe.

Les dirigeants européens attendent de voir où Musk portera son attention une fois que Trump aura pris ses fonctions. La seule certitude est que les anciennes règles de la diplomatie ne sont plus d’actualité.

Les Européens victimes d’un nombre incalculable de vulnérabilités

À en croire des analystes, « face aux Américains, les Européens sont paralysés, car ils sont victimes d’un nombre incalculable de vulnérabilités ». La double menace – « d’agression » à l’est, « d’abandon » à l’ouest – fragilise la position de l’UE. Ils estiment que « l’attachement » à l’Histoire de nombreux gouvernements européens, incapables de se défaire de l’image des Américains, contraint aussi l’UE à un rôle limité face à Washington. Dans l’optique de ces observateurs, les chancelleries européennes n’arrivent pas à comprendre que les États-Unis pourraient être un problème, voire un ennemi, pour les intérêts européens. »

Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un tournant décisif pour la politique américaine et l’avenir des relations bilatérales avec l’Union européenne, loin de réjouir la plupart des habitants du Vieux Continent.

Selon les résultats d’une enquête menée par le think tank « Conseil européen pour les relations internationales » publié mercredi 15 janvier, 38 % des personnes interrogées dans onze Etats membres de l’Union européenne redoutent le retour au pouvoir du milliardaire pour leur pays.

L’imprévisibilité du républicain en matière de politique étrangère, notamment dans son approche à l’égard de l’OTAN et de la guerre en Ukraine, suscite en effet de plus en plus d’inquiétudes à travers l’Europe. Par exemple sur le soutien des États-Unis à leurs alliés en cas de conflit.

Certes, les Européens ont déjà « pratiqué » une première administration Trump, de 2017 à 2020. Les récentes déclarations à l’emporte-pièce du président impulsif depuis le scrutin du 5 novembre, le contrôle des deux chambres par les républicains et le soutien d’une partie de la tech laissent toutefois présager un second mandat plus radical et agressif, susceptible de créer la division en Europe.

Quatre années ont passé depuis le départ tumultueux de Donald Trump de la Maison-Blanche et il n’a pas changé. On prend les mêmes tactiques éprouvées et on recommence. Créer le chaos de façon à mettre les autres parties sur la défensive, avant de s’engager dans une vraie négociation pour obtenir ce qu’il souhaite, telle est la stratégie du président le plus inattendu de l’histoire des États-Unis.

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