Est-ce que l'Armée syrienne libre (ALS) existe encore?
La question se pose avec acuité après la déconfiture à la vitesse grand V de l'opposition armée dite «modérée» en Syrie et la montée en puissance des groupes extrémistes.
24 heures après la suspension par les États-Unis et le Royaume-Uni de toute aide «non létale» (véhicules de transport de troupes, matériels de communication, treillis militaires, rations alimentaires, aides médicales etc...), le chef du Conseil militaire de l'ALS, le général dissident Salim Idriss, a fui la Syrie vers Doha à travers la Turquie, dimanche dernier. C'est le Wall Street Journal qui a révélé la nouvelle. Des sources de l'opposition syrienne citées par la chaine panarabe al-Mayadeen ont ajouté que l'adjoint d'Idriss, le général Moustapha al-Cheikh, s'est réfugié en Suède, où il a demandé l'asile politique, alors que le colonel Riad al-Assaad, le fondateur de l'ASL, s'est enfuit en Hollande.
Et ce n'est pas fini. Des sources bien informées ont indiqué, ce samedi, que l'un des derniers chefs de l'Armée syrienne libre, le colonel Ammar al-Wawi, a été arrêté avec ses gardes du corps par l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL, proche d'Al-Qaïda), alors qu'il rentrait en Syrie en provenance de Turquie.
Ces développements spectaculaires et dramatiques ne constituent pas une surprise aux observateurs avertis du dossier syrien. Ces derniers mois, l'ALS perdait du terrain au profit des groupes les plus extrémistes, qui ont étendu leur hégémonie à la majorité des régions en dehors du contrôle de l'Etat, à coups d'assassinats et d'exécutions de responsables de l'ALS ou après de violents affrontements avec des unités de cette armée. De nombreux bataillons de l'ALS ont rejoint les rangs de l'EIIL ou du Front al-Nosra (également proche d'Al-Qaïda). Cette hémorragie a fait dire à de nombreux experts de la Syrie que l'ALS a perdu, depuis l'été dernier, plus de la moitié de ses effectifs et du terrain qu'elle contrôlait.
Idriss livre les arsenaux de l'ASL?
Le dernier épisode de la déliquescence de l'ALS s'est joué à la fin de la semaine dernière près du point de passage de Bab al-Hawa, entre le nord syrien et la Turquie. Le Front islamique (une coalition de sept groupes extrémistes formée il y a près d'un mois à l'initiative des services de renseignements saoudiens) a pris les dépôts d'armes de l'ALS dans la région et a même occupé les bureaux de Salim Idriss. Les dépôts comprenaient quatre chars, des dizaines de véhicules équipées de mitrailleuses lourdes, des milliers de fusils-mitrailleurs AK 47 et des tonnes de munitions de tous calibres.
Cependant, des zones d'ombres entourent cette affaire. L'ALS affirme avoir été victime d'un piège tendu par le Front islamique, qui a dépêché ses unités dans la région sous prétexte de défendre les arsenaux de l'ALS contre l'EIIL qui s'apprêtait à s'en emparer. Une fois sur place, les combattants du Front ont pris le contrôle de toute la région.
Mais d'autres informations émanant de sources fiables ont indiqué que le général Idriss a livré ses dépôts de plein gré conformément à un accord secret conclu avec les extrémistes, en contrepartie d'une forte somme d'argent.
Avec la fuite de l'état-major de l'ALS, cette armée n'a pratiquement plus de poids sur le terrain, désormais contrôlé par Al-Qaïda ou par des groupes non moins extrémistes d'obédience saoudienne. Le plus célèbre représentant de cette mouvance est le dénommé Zahrane Allouche, chef de «Liwaa al-Islam», considéré comme l'homme du prince Bandar Ben Sultan, responsable des services de renseignements saoudiens.
Tous ces développement sont le résultat naturel de l'évolution de la situation politique et militaire en Syrie.
En fin de compte, Salim Idriss a compris qu'il n'avait plus aucun rôle à jouer dans la période à venir. L'homme est tiraillé entre les pressions américaines pour annoncer son soutien à la solution politique et à la conférence de Genève 2, et le refus intransigeant des groupes combattants qui veulent «poursuivre le combat jusqu'à la chute du régime». Ces dernières semaines, Idriss a prouvé sa totale inefficacité en ne parvenant pas à convaincre les groupes armés de soutenir le processus politique souhaité par les Etats-Unis. Sa fuite constitue le scénario idéal pour lui. Il se retire pour aller profiter de la fortune colossale qu'il a certainement dû amasser ces deux dernières années.
Ces revers subis par l'ASL posent un «gros problème» et reflètent «la dangerosité de la situation ainsi que son imprévisibilité», a convenu le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel. «Il est clair que l'état-major de l'ASL est de plus en plus faible et qu'il a perdu du pouvoir», affirme pour sa part à l'AFP Aron Lund, un expert sur la rébellion syrienne basé en Suède, précisant que «l'ASL a perdu d'importants groupes et des combattants avec la création du Front islamique». Selon lui, la perte du passage-clé de Bab al-Hawa signifie que Salim Idriss, «pourrait ne plus rentrer en Syrie».
Les grands perdants de ces développements sont les Etats-Unis, qui se retrouvent sans véritable bras exécutif sur le terrain syrien, où leur influence s'est érodée au profit d'Al-Qaïda et des groupes pro-saoudiens, lesquels refusent toute solution politique. Washington se rend donc à la conférence de Genève privé de toute carte opérationnelle. C'est ce qui explique son attachement au général Idriss, à qui il a renouvelé sa confiance, l'encourageant à rentrer en Syrie.
Le principal gagnant de ces développements est le régime syrien, qui aura en face de lui, à Genève, une opposition divisée, qui, de surcroit, ne possède aucune influence réelle sur les groupes armés. C'est-à-dire une opposition incapable de garantir la mise en œuvre de tout accord politique conclu lors de la conférence paix.
Au final, Genève 2 pourrait se transformer en conférence internationale pour la lutte contre le terrorisme qui se propage en Syrie, à cause des graves erreurs commises par les Occidentaux dans ce pays.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov, est d'ailleurs en train de préparer le terrain à un tel scénario, lorsqu'il a appelé, samedi, "le pouvoir syrien et l'opposition nationale à unir leur efforts pour combattre le terrorisme".
Le danger du terrorisme en Syrie est désormais pointé du doigt quotidiennement par les gouvernements occidentaux, qui ont fait la sourde oreille pendant plus de deux ans face aux mises en garde contre ce phénomène. Le dernier en date n'est autre que l'ancien directeur de la CIA, Michael Hayden, qui a estimé qu'une victoire de Bachar al-Assad en Syrie pourrait être «le meilleur de trois très, très horribles scénarios», dont aucun ne prévoit la victoire de la rébellion.
Nous sommes bien loin du renversement du régime syrien, le slogan ressassé inlassablement par l'Occident depuis le début de la crise syrienne.